Burkina Faso : De lourdes peines requises contre des opposants au régime Kaboré
Le procureur du Faso près le Tribunal de grande instance Ouaga-1 a requis des peines allant de 12 à 24 mois d’emprisonnement contre des initiateurs de la marche de protestation contre le pouvoir du président Roch Kaboré tenue le 27 novembre 2021.
A la fin des débats le mercredi 15 décembre 2021, le procureur du Faso près le Tribunal de grande instance de Ouaga-1 a requis 24 mois de prison fermes à l’encontre de Abdoul Karim Baguian dit Lotha, 18 mois fermes contre Mamadou Drabo et Hervé Ouattara et 12 mois fermes contre Adama Tiendrébeogo et Marcel Tankoano. Le tout avec 1 000 000 de francs d’amende ferme contre chacun des prévenus. Ils sont tous des acteurs politiques proches de l’opposition politique et de la société civile et sont poursuivis pour organisation d’une manifestation illicite interdite par le maire de Ouagadougou avec cette circonstance que la manifestation a entrainé la destruction de biens publics mais également pour provocation à un attroupement armé ou non armé.
Selon le procureur, l’objectif de la marche était bien noble mais les organisateurs n’ont pas suivi les règles en la matière. Ils n’étaient pas dans les délais pour faire leur déclaration à la mairie. Les leaders de la société civile ont saisi la mairie le 24 novembre à 14h de leur lettre d’information pour la manifestation. De sorte que pour une manifestation prévue le 27 novembre à 8h, ils ne pouvaient pas être dans les délais de 72h prévus par la loi. Mieux, poursuit le parquet, leur déclaration ne comportait pas l’identité complète des organisateurs de la marche comme l’impose la loi. Ce qui rend la manifestation illicite. Dans cette circonstance si vous êtes une administration responsable, vous ne prenez pas. Dans ce pays, les gens ont un comportement paradoxal. Ils dénoncent l’incivisme alors qu’eux-mêmes sont inciviques. Vous avez le pouvoir de moraliser la vie publique. On doit taper du poing sur la table de façon aveugle », a développé le représentant du parquet pendant le procès.
Après ces réquisitions, les quatre avocats constitués auprès des leaders politiques et de la société civile se répartissent les rôles. « Le seul péché de ces cinq personnes traduits arbitrairement devant le tribunal, c’est d’avoir donné leur avis sur la vie de la nation. S’ils doivent être condamnés, c’est pour leur patriotisme. C’est dans ce dossier que j’ai vu pour la première fois une arrestation à titre préventif », plaide un avocat du cabinet Prosper Farama.
Me Isaac N’Dorimana, lui, a dénoncé l’attitude du parquet. Pour lui, le ministère public ayant constaté que les préventions contenues dans l’acte de poursuite ne peuvent pas tenir, est venu au procès pour transformer la prévention. A l’en croire, « le parquet n’a pas pu faire la démonstration de l’existence de l’organisation de la manifestation qualifiée d’illicite et interdite. Il n’a apporté le moindre document qui montre que le maire de Ouagadougou a interdit la manifestation du 27 novembre. La manifestation avait un caractère légal. Le maire ne pouvait donc pas l’interdire. Les casses ne peuvent pas être imputées à nos clients. Ces jeunes sont des leaders d’opinion. Ils sont de la société civile, ils constituent une sorte de 5ème pouvoir et veuillent à ce que la force brutale des pouvoirs publics ne brutalise pas les citoyens », a-t-il martelé.
« Au moins grâce à eux, on a changé de gouvernement »
L’avocat Me Prosper Farama est remonté. Il ne comprend pas pourquoi « le procureur pense que la place de Hervé Ouattara, de Marcel Tankoano, de Mamadou Drabo, d’Abdoul Karim Baguian dit Lotha et d’Adama Tiendrebeogo dit Colonel, c’est la prison. C’est comme si on disait à ces gens, on ne peut pas combattre les terroristes, mais vous, on va vous combattre. Et comment ? On va vous foutre en prison. » Selon l’avocat, les poursuites initiées par le procureur sont mal à propos, mal orientées et mal dirigées. « Le procureur a dit de moraliser la vie publique. Si moralisation, il doit y avoir, elle doit être dirigée vers ceux qui ont laissé mourir 50 de nos frères au front en une journée avec la faim au ventre. Dans l’histoire d’aucune guerre au monde j’ai entendu qu’on a laissé des combattants mourir dans la faim. C’est une non-assistance à personne en danger. J’aurais applaudi le procureur qu’il avait initié des poursuites pour ces laxismes au sommet sous de fond de non-assistance à personne à danger », a dénoncé l’avocat.
Pour Me Farama, les infractions reprochées à ses clients ne sont pas caractérisées. Il prie le tribunal de relaxer les cinq jeunes détenus à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou depuis au moins une semaine. A l’écouter, « les manifestants ont été à la mairie de déposer leur déclaration. La mairie a refusé de réceptionner la déclaration. Pourtant nous ne sommes plus dans un régime d’autorisation mais dans un régime de déclaration. Le parquet dit que d’une façon ou d’une autre, les organisateurs de la marche ont eu vent de l’interdiction. Mais nous nous disons que d’une façon ou d’une autre la mairie a eu vent de la déclaration. En droit, une interdiction qui se fait sans la forme s’appelle la répression. »
« Ayez de l’estime pour les organisations de la société »
Sur les casses, Me Prosper Farama note que dans le dossier aucun élément ne fait état de ces dégradations. Il a appelé les Burkinabè à avoir de l’estime pour les manifestants. Car, « au moins grâce à eux, on a changé de gouvernement. Je ne dis pas que ce gouvernement pourra sortir le Burkina Faso de l’ornière mais de par leur action, on a eu un nouveau gouvernement. »
Son confrère Me Paul Keré a également plaidé la relaxe pure et simple pour les prévenus. « Le droit de manifester, souligne-t-il, a été décreté par la constitution. Abordant la question des casses, est-ce qu’il y a un élément dans le dossier qui rattache des casses à nos clients. Assurément non. Vous allez donc les relaxer au bénéfice du doute. Ces leaders de la société civile se battent pour nous. A la suite de la marche, le Premier ministre a été changé, le gouvernement a été changé. C’est déjà quelque chose. 18 mois de prison pour des gens qui n’ont jamais été condamnés ? Quand même. Relaxez-les. Vous ne le regretterez pas. Dans ce dossier, l’autorité politique veut manger son piment dans la bouche du parquet. Mais pas vous. Jugez les faits », argumente vigoureusement l’avocat Paul Keré.
Aya Ouédraogo