Fonds minier de développement local: Quatre ans après, les communes attendent toujours

Les populations des communes du Burkina attendent impatiemment l'application de la loi sur le Fond minier

Le Fonds minier de développement local a été créé dans le code des Mines de 2015 afin de maximiser la contribution du secteur minier à la croissance économique et au développement durable  des collectivités au Burkina Faso. Cependant, quatre années après, les communes et régions minières sont toujours en attente de le percevoir. 

 

La création du Fonds minier de développement local est partie d’un certain nombre de constats. La première c’est que depuis 2009, les mines sont devenues la première source de recettes d’exportation et de recettes pour le budget de l’Etat burkinabè. Selon les chiffres de l’Organisation pour le Renforcement des Capacités de Développement (ORCADE), la part des industries minières dans le PIB était de 8,3% en 2016 et de 11,4% en 2017. En 2016, la production minière était de 38,5 tonnes et de 45,6 tonnes en 2017. Au 31 décembre 2017, 404 permis étaient valides décomposés comme suit: 348 permis de recherche, 23 permis d’exploitations industrielles et 33 permis d’exploitation semi-mécanisée.

En termes de recettes directes, 189, 9 milliards de francs CFA ont été payés au budget de l’Etat en 2016 et 226 milliards de francs CFA en 2017, pour l’ensemble des sociétés minières en phase de production. En termes de recettes d’exportation minière, c’est 1 022,8 milliards pour l’année 2016 et 1 308 milliards pour l’année 2017. Le Burkina Faso occupe de nos jours le 4ème rang des pays producteurs d’or en Afrique après l’Afrique du Sud, le Ghana et le Mali. En 2017, le pays a été le deuxième pays minier le plus dynamique d’Afrique après la République démocratique du Congo (RDC) sous l’angle des ressources mobilisées par les partenaires pour investir dans la recherche. Le second constat c’est que, malgré l’activité minière intense, les communautés des sites miniers continuent à vivre la pauvreté, ce qui favorise des mouvements d’humeur contre les sociétés minières à cause de leur faible contribution au développement local et contre les effets négatifs de l’activité minière industrielle sur leur vie, lit-on dans le rapport de l’ORCADE. Face à ces préoccupations récurrentes  dans toute l’Afrique de l’Ouest, le Conseil des Ministres de la CEDEAO, lors de sa soixante deuxième (62è) session ordinaire tenue à Abuja, en République fédérale du Nigeria, les 26 et 27 mai 2009, a adopté la Directive n°C/DIR3/05/09 du 27 mai 2009 portant sur l’harmonisation des principes directeurs et des politiques dans le secteur minier. L’article 3, alinéa 3 de cette directive, dispose que «les ressources minérales sont la propriété de l’Etat et sont gérées au profit de la population de l’Etat membre. Les Etats membres ont l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires, comprenant notamment mais pas exclusivement, l’adoption de règles juridiques et administratives appropriées pour protéger leurs ressources.» L’alinéa 7 de l’article 7 de la directive dispose que «les Etats membres créent un Fonds de développement socioéconomique auquel les titulaires de droit et titres miniers et autres parties prenantes ont l’obligation de contribuer pour le développement des activités de conversion de l’après mine dans les communautés locales affectées.» Et pour terminer, l’article 22 de la directive invite «les Etats membres à prendre toutes les dispositions nécessaires pour se conformer à la Directive au plus tard le 1er juillet 2014. C’est dans ce contexte qu’on a abouti à l’adoption le 26 juin 2015, de la loi N° 036-2015/CNT portant code minier du Burkina Faso.  Laquelle loi stipule en son article 25 qu’il est «crée un Fonds minier de développement local». Et l’article 26 du code dit, que «Le Fonds minier de développement local est affecté au financement des plans régionaux de développement et des plans communaux de développement».

Le mode de financement du Fonds est aussi défini dans l’article 26 du code des mines de 2015. «Il est alimenté par la contribution, d’une part de l’Etat à hauteur de 20% des redevances proportionnelles collectées, liées à la valeur des produits extraits et/ou vendus et d’autre part des titulaires de permis d’exploitation de mines et les bénéficiaires d’autorisation d’exploitation industrielle de substances de carrières à hauteur de 1% de leur chiffre d’affaires mensuel hors taxes ou de la valeur des produits extraits au cours du mois».

 

Dilatoire ?

 

Quatre ans après l’adoption de la loi de 2015, si l’Etat a versé une grande partie de ses parts de 20%, cela n’est pas le cas des sociétés minières. Les sociétés minières évoquent des raisons diverses pour justifier leur refus de payer le Fonds minier de développement local. Selon le directeur exécutif de la chambre des Mines du Burkina Toussaint Bamouni, représentant les sociétés minières à une conférence publique organisée sur le sujet par le Centre national de presse Norbert Zongo, la mise en œuvre du Fonds minier connait quelques difficultés parce que la plupart des sociétés minières avaient signé des conventions avec l’Etat qui leur garantissait une stabilité fiscale durant toute la période de l’exploitation de leurs mines. «Donc en instituant le Fonds en 2015, nous nous sommes trouvés dans une situation où une nouvelle contribution venait déranger le modèle économique qui avait été mis en place. Les sociétés ont donc voulu que l’on tienne compte d’un certain nombre de préoccupations, avant la mise du Fonds», a-t-il expliqué. Les sociétés minières ont aussi évoqué le fait qu’elles ont fait des réalisations dans les communes minières où elles sont installées et qu’il était indispensable de tenir compte de ces dernières avant qu’elles ne contribuent au Fonds minier. Cette argumentation est balayée par les organisations de la société civile qui estiment que les réalisations évoquées par les sociétés minières qui entrent dans le cadre de la responsabilité sociale des mines, ne peut pas remplacer le Fonds minier qui est régie par la loi.

 

La plus grande mine d’or à la traine…

 

A cet effet, le rapport de l’ORCADE fait le parallèle entre le coût des réalisations de la mine d’or d’Essakane qui est la plus grande mine au Burkina Faso, et ce qu’elle devait payer comme contribution au Fonds minier pendant quatre ans. De 2014 à 2017, la mine d’Essakane a contribué au financement des plans communaux et régionaux de développement selon le tableau ci-dessous:

 

Collectivités 2014 2015 2016 2017 TOTAUX
Commune de Dori 40 000 000 40 000 000 40 000 000 90 000 000 210 000 000
Commune de Falangountou 200 000 000

 

200 000 000

 

200 000 000

 

225 000 000

 

725 000 000

 

Commune de Gorom-Gorom 200 000 000

 

200 000 000

 

200 000 000

 

225 000 000

 

725 000 000

 

Commune de Markoye   8 000 000

 

8 000 000

 

70 000 000

 

78 000 000

 

Conseil régional du Sahel       80 000 000

 

80 000 000

 

Total 440 000 000

 

448 000 000

 

448 000 000

 

690 000 000

 

1 818 000 000

 

Source : Rapport de développement durable de la Mine d’Essakane publié en 2018

 

Selon le tableau, la mine en quatre années, a soutenu les plans communaux et régionaux de développement à hauteur de 1 818 000 000 F CFA. Et pourtant en 2017, elle a fait un chiffre d’affaires de 323 000 000 000 F CFA. En application de 1% sur ce chiffre d’affaires, Essakane doit verser 230 000 000 F CFA au fonds minier de développement local pour la seule année de 2017. Si l’on estime cette somme en quatre années, Essakane devait verser au fonds minier de développement local, environ 12 920 000 000 F CFA.

Or, le tableau ci-dessus montre qu’en quatre années, les communes et la Région ont bénéficié seulement de 1 818 000 000 F CFA sur 12 920 000 000 F CFA, soit un manque à gagner de  plus de 11 milliards de F CFA.

 

Sémafo sort du lot

 

En 2018, à l’exception de la mine de Sémafo Bourgou, logé dans la région de l’Est, aucune autre société minière n’a versé un franc. L’Etat quant à lui a payé sa part des 20% du Fonds minier de l’année 2018 qui représente 10 milliards de FCFA. Un sous-comité présidé par Jonas Hien de l’ONG ORCADE, a été mis en place au niveau du ministère des mines et des carrières pour la répartition de l’argent auprès des bénéficiaires. «Nous avons fini la répartition suivant les clés de répartitions. Nous avons tenu une réunion du comité national qui est chargé de suivre le Fonds minier, nous avons validé ses données et nous avons donné quitus au ministère de l’économie et des finances de procéder au transfert des Fonds parce que toutes les 351 communes  du Burkina ont droit à quelque chose ainsi que toutes les 13 régions du Burkina» a déclaré Jonas Hien. A en croire M. Hien, si toutes les sociétés minières avaient payé leur contribution comme il faut pour les années 2017 et 2018, le montant serait autour de 28 milliards FCFA. Pour sa part, le directeur exécutif de la chambre des Mines Paulin Bamouni rassure qu’à partir du 1er janvier 2020, les sociétés minières vont contribuer au Fonds minier à hauteur de 1% comme prévu par le code des mines. «Nous attendons juste la signature du protocole et ce protocole est une façon élégante de sortir du conflit» a-t-il concédé.

En attendant, les populations du Burkina continuent à se poser la question de savoir où va l’argent de leur or.

 

  1. SANOU

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