Terrorisme : « Faut-il craindre un éventuel départ de la France du Sahel?

Le débat sur la présence des troupes militaires étrangères dans les pays du Sahel est loin d’être clos. Si pour les uns, les armées étrangères « amies » sont là pour aider les pays africains à traquer les terroristes, d’autres pensent le contraire et appellent à leur départ. Pour sa part, le consultant en extrémisme violent au Sahel, Mahamoudou Savadogo estime que le départ de la France du Sahel serait une catastrophe pour les pays du Sahel.

Au sein de la société civile burkinabè, plusieurs voix s’élèvent contre la présence des bases militaires étrangères. (Ph d'illustration) D.R

Le débat sur la présence des troupes militaires étrangères dans les pays du Sahel est loin d’être clos. Si pour les uns, les armées étrangères « amies » sont là pour aider les pays africains à traquer les terroristes, d’autres pensent le contraire et appellent à leur départ. Pour sa part, le consultant en extrémisme violent au Sahel, Mahamoudou Savadogo estime que le départ de la France du Sahel serait une catastrophe pour les pays du Sahel.

C’était au cours d’un forum organisé par le Centre national de presse Norbert Zongo en partenariat avec Média Foundation for West Africa le 30 août dernier à Ouagadougou, autour du thème « Média et sécurité ». A l’occasion, Mahamoudou Savadogo, chercheur et consultant sur les questions de sécurité et d’extrémisme violent au Sahel a donné une communication sur le contexte sécuritaire du Burkina Faso. Interrogé par un journaliste de notre rédaction sur les enjeux de la présence de l’armée française au Sahel, l’homme s’est voulu catégorique : « aujourd’hui si la France quitte le Sahel, on est mort. Parce qu’on n’a pas suffisamment préparé et armé nos armées pour faire face à la menace terroriste. En plus, ajoutera-t-il, « les pays africains ne sont pas solidaires » Pour lui, la présence de la France au Sahel est donc utile.

Bien avant, dans un entretien accordé à nos confrères sénégalais du journal en ligne www.ouestaf.com publié le 31 décembre 2019, l’expert Savadogo expliquait au sujet des forces militaires étrangères : « Les forces étrangères qu’on le veuille ou non sont un mal nécessaire parce que pour ce qui concerne clairement le cas de la France, c’est la seule armée pour le moment qui arrive un peu à évoluer dans le Sahel, les autres armées, elles ne viennent qu’en appui. Et donc qu’on les critique ou qu’on ne les critique pas, à mon avis les forces étrangères ont leur place et elles doivent être impliquées dans la résolution du conflit dans le Sahel ; d’autant plus que nos armées ne sont pas encore bien structurées pour y faire face. Et si on rejette ces forces étrangères, c’est ouvrir un boulevard pour les groupes terroristes qui vont envahir carrément tout le Sahel. »

Son opinion n’est évidemment pas partagée par tous. Selon un officier supérieur burkinabè, « les troupes françaises présentes au Burkina Faso ne prennent pas part directement au combat. Il y a des détachements militaires burkinabè qui sont sur le terrain. A l’instant actuel, ce ne sont pas les Français qui sécurisent le Burkina Faso. Ce sont des soldats burkinabè qui combattent l’ennemi sur le terrain. Il faut reconnaitre que nos troupes montent en puissance. La difficulté est que l’ennemi est au sein de la population…»

Le 15 janvier 2016, la force française a participé à la traque des terroristes pendant l’attaque de Cappucino et de l’Hôtel Splendid, reconnait-il. « Mais les terroristes ont été abattus par les soldats burkinabè », a-t-il rétorqué.

Selon un point fait par l’état-major des armées françaises, des soldats français ont mené avec l’armée burkinabè, les forces armées maliennes et la force conjointe G5 Sahel du 1er au 17 novembre 2019,  l’opération Bourgou IV, dans les régions de Déou au Burkina Faso et de Boulikessi au Mali. Plus de 1 400 soldats burkinabè, maliens, nigériens et français ont participé à cette opération qui « a permis de mettre hors de combat 24 individus, ainsi que la saisie de 64 véhicules, d’une centaine de téléphones et de munitions. L’opération, menée simultanément au Mali et au Burkina Faso en coopération avec les forces partenaires et la force conjointe G5 Sahel, avait pour but de perturber la logistique des groupes armés terroristes et d’entraver leur activité dans la région », précise le communiqué de l’état-major des armées françaises.

Des OSC persistent et signent

Au sein de la société civile burkinabè, plusieurs voix s’élèvent contre la présence des bases militaires étrangères. Le 18 août 2021, les Comités de défense et d’approfondissement des acquis de l’insurrection populaire (CDAIP) ont clairement exigé le départ des armées étrangères du Burkina Faso.

« La présence de celles-ci (ndlr de ces armées) n’a pas vocation à lutter contre un quelconque terrorisme. Bien au contraire, c’est leur présence qui est la source principale du terrorisme…Sinon comment comprendre que des centaines de personnes armées, à motos, arpentent les pistes en plein Sahel pour massacrer des dizaines de personnes et emporter leurs biens y compris des troupeaux d’animaux sans être détectés par les matériels d’observation  dont se vante cette armée française », ont dénoncé les CDAIP de Ouagadougou pendant la conférence de presse.

Plusieurs autres mouvements de jeunes dans le pays comme l’Organisation démocratique de la Jeunesse (ODJ) exigent depuis des années le départ des armées étrangères. Plus récemment la Coalition des patriotes du Burkina Faso (COPA/BF) a embouché la même trompette. Le 15 juin 2021, le porte-parole de ce mouvement, Roland Bayala a noté que « désormais le pays a besoin de tisser des partenariats avec d’autres puissances plus crédibles et compter sur sa propre armée pour éradiquer le terrorisme…Que vaut aujourd’hui le partenariat entre la France et notre pays quand c’est pour ne pas avoir la possibilité d’avoir des armes qu’il faut pour combattre l’ennemi qui a des armes de dernière génération sur nos sols ? »

L’Ambassade de France pointe du doigt les ‘’idiots utiles’’

Dans son discours à l’occasion de la fête nationale française le 14 juillet 2021, l’ambassadeur de France au Burkina Faso, Luc Hallade, a répondu aux organisations de la société civile qui demandent le départ des armées étrangères. « Au plan national bien sûr, mais au plan international aussi. Nous faisons face à une menace commune. Nous gagnerons ou nous perdrons ensemble. J’entends ou je lis trop souvent qu’il faudrait, pour gagner cette guerre, chasser les armées étrangères amies et stopper toute collaboration, vécue par certains comme une compromission, avec elles. A commencer bien sûr par l’armée française. J’avoue ne pas bien comprendre, malgré mes efforts, la logique d’un tel raisonnement. C’est un peu comme si la France et les Français, au moment de la lutte contre les nazis et de la libération de notre territoire national, avaient scandé : « US go home ». Je ne suis pas certain que nous aurions gagné la guerre ….Je considère pour ma part qu’il s’agit, selon la terminologie utilisée lors de la guerre froide, d’« idiots utiles » aux terroristes », s’est offusqué le diplomate français.

Dans tous les cas, au niveau des autorités politiques burkinabè, l’on se dit conscient que la lutte contre l’insécurité doit être avant tout endogène. C’est du reste ce que le chef de l’Etat Roch Kaboré a laissé entendre au cours d’une de ces sorties en juin 2021, lors d’une visite au Burkina du Président Ghanéen Nana Akufo-Addo. Mais que fait-il réellement pour que les populations sur le terrain se sentent directement concernées et impliquées dans cette guerre qui a fait environ 2 millions de déplacés et plusieurs milliers de morts ? Du reste, le Mali étant un laboratoire à ciel ouvert pour le Burkina Faso depuis le depuis du terrorisme dans notre pays, l’annonce de la venue de la société Russe Wagner et le retrait supposé de l’armée française ne doit-elle pas nous emmener à repenser nos stratégies de lutte ?

Aya Ouédraogo

 

 

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