Cent ans de la justice burkinabè (Suite)

La justice, attribut de l’administration colonial

 

La condition du nouvel empire colonial français au 19e siècle était caractérisée par un système politique fort, institué pour réaliser l’unité de commandement et asseoir solidement l’autorité des représentants de la France. L’administrateur colonial était en même temps juge. Ce cumul s’est porté plus spécialement sur les chefs de circonscriptions administratives : commandants de cercle et chefs de subdivision. Les arguments qui avaient été avancés sont à la hauteur de leur portée historique. Les chefs des circonscriptions administratives locales que sont les commandants de cercle et les chefs de subdivision représentant les éléments de base de l’action colonisatrice. Le pouvoir central leur a donc donné tous les moyens d’action dont l’exercice du droit de juger et particulièrement celui de punir. Et l’exercice du droit pénal, par la facilité qu’il donnait de sanctionner tout manquement à l’autorité, toute entrave à l’action administrative, constituait, au-delà de son but répressif, un moyen de commandement. Ce cumul de fonctions administratives et judiciaires n’avait pas apparu choquant (sinon que parce que c’étaient des Blancs) dans une société où ce cumul entre les mains des chefs coutumiers existait depuis longtemps, bien avant la pénétration française. Enfin, une dernière justification non moins importante est celle qui consistait à dire que les chefs de circonscriptionsadministratives sont installés dans le pays de façon stable. Ils sont les  plus proches de la population ca ils circulent fréquemment dans leur circonscription, dans les villages éloignés. Ils recevaient, , rendaient visite, consultaient les notables et de ce fait, ils étaient les mieux à même de connaitre la coutume et de l’appliquer devant les juridictions de droit local qui étaient les tribunaux de conciliation, les tribunaux du premier degré, les tribunaux du deuxième degré.

Les juridictions de droit local ou juridictions coutumières

  1. Tribunal de conciliation

Une personne pouvait constituer à elle seule une juridiction. Aussi, la tentative de conciliation qui était obligatoire en matière civile et commerciale pouvait-il avoir lieu devant une personne, mais aussi devant une juridiction. Ainsi constituaient des tribunaux de conciliation, les chefs de villages, les chefs de tribus, les assesseurs des tribunaux du premier degré. Tous avaient qualité pour concilier les parties. Le tribunal du 1er degré se composait d’un président, de deux assesseurs, d’un secrétaire.

  1. Tribunal du premier degré

La présidence du tribunal du 1er degré, selon le décret du 3 décembre 1931 revenait dans les subdivisions, au chef de subdivision, dans les cercles sans subdivision, à l’adjoint au commandant de cercle ou à un fonctionnaire désigné par le gouverneur, dans les communes de plein exercice à un fonctionnaire désigné par le gouverneur.

Les assesseurs, au nombre de douze, choisis parmi les notables de la population autochtone étaient nommés par le gouverneur. La composition de la liste des assesseurs devait refléter la représentation locale des différentes coutumes. Et par leurs connaissances des coutumes et de la société, les assesseurs devaient éclairer le tribunal. Ils étaient amenés à dire la coutume applicable dans chaque affaire à juger.

Le tribunal du 1er degré selon les décrets de 1931 et de 1954 avait une compétence contentieuse et non contentieuse. Il était compétent en premier et dernier ressort pour toutes les actions dont l’intérêt peut être évalué en argent et n’excède pas 15 000FCFA au principal : en premier ressort seulement et à charge d’appel devant le tribunal du second degré « les actions de même nature dont l’intérêt n’excède pas 50 000 FCFA au principal ; en premier ressort toujours et charge d’appel « tous les litiges dont le taux ne peut être évalué en argent et ceux relatifs à l’état des personnes à la famille, au mariage et au divorce, à la filiation ».

Cette compétence du tribunal du 1er degré sera reprise avec quelques légères modifications par le décret du 27 décembre 1954.

Le tribunal du 1er degré avait aussi compétence non contentieuse. En effet, il existe des situations qui relèvent de l’état des personnes et qui ne sont pas évaluables en argent : ce sont des situations non contentieuses parmi lesquelles on peut retenir les jugements supplétifs d’acte de l’état civil, les jugements rectificatifs des actes d’état civil.

  1. Tribunal du second degré

En ce qui concerne le tribunal du second degré, il était composé, selon les décrets de 1931 et 1954, du commandant de cercle qui le présidait dans le cercle et d’un fonctionnaire qui le préside dans la commune. Aussi bien en ce qui concerne les cercles que les communes, les assesseurs, désignés de la même façon que pour les tribunaux du 1er degré, jouaient le même rôle dans les tribunaux du second degré. Et tirant sa compétence essentiellement contentieuse des décrets du 3 décembre 1931, du 26 juillet 1944, du 27 décembre 1954, du 20 mai 1955 et du 10 juillet 1956, le tribunal du second degré statuait tantôt comme une juridiction d’appel contre toute décision contentieuse rendue en premier ressort par le tribunal du 1 er degré, tantôt comme une juridiction de premier ressort. Et dans ce dernier « il connaissait de toutes les affaires pouvant être évaluées en argent et dépassant 50 000 F CFA en principal et de toutes les affaires qui relèvent des constatations  des droits fonciers et coutumiers ».

  1. Tribunal colonial d’appel

Institué en 1951, le tribunalcolonial d’appel a subi deux modifications : en 1954 l’expression tribunal colonial d’appel a été remplacée par celle de tribunal supérieur de droit local pour tenir compte de la suppression des termes « colonie et indigène ».

Le tribunal supérieur de droit local était composé du président du tribunal de première instance ou du juge de paix à compétence étendue, du procureur de la République, de deux fonctionnaires du cadre, des administrateurs, de deux notables, d’un greffier.

Le tribunal supérieur de droit local était la juridiction d’appel pour les tribunaux du second degré pour connaitre des décisions rendues en premier ressort par les tribunaux du second degré. Ces décisions en premier ressort sont rendues pour « touts les affaires pouvant êtreévaluées en argent ne dépassant 50 000F CFA en principal » (article 42 du décret de décembre 1954). Les affaires les plus courantes avaient trait à la constatation des droits fonciers coutumiers.

  1. La chambre d’annulation

La chambre d’annulation était une juridiction chargée non pas de juger les affaires, mais de contrôler si les règles coutumières ont été respectées. Les décisions rendues par les juridictions de droit local étaient portées devant la chambre d’annulation de Dakar présidée par un président de chambre de la Cour d’appel de Dakar.

La justice de droit français ou justice de droit écrit

Les juridictions de droit français sus la colonisation étaient organisées sensiblement sur le même modèle que les juridictions de la France continentale. C’est ce que rapporte M.JEOL dans son ouvrage « la réforme de la justice en Afrique Noire » cité par Fiebo NBAYE dans l’encyclopédie juridique de l’Afrique, organisation judiciaire, procédures et voies d’exécution.

Le texte de base concernant les juridictions de droit français est le décret du 22 juillet 1939 portant réorganisation de la justice française en Afrique occidentale française. Ce décret a été modifié successivement par les décrets des 16 janvier 1947, 11 avril 1951,   2 avril 1955 et 2 août 1956. Ces juridictions de droit français avaient pour mission de juger les citoyens français ou les non indigènes. L’ordre de juridiction était ainsi indiqué par le statut civique du justiciable. Les juridictions de droit français étaient les juridictions de droit commun et le législateur a essayé d’adapter le système reconnu valable pour la métropole aux conditions particulières des colonies en posant quelques principes généraux et en organisant les juridictions.

 

 

Source: Yenouyaba Georges Madiéga et Oumarou Nao

                                                       Burkina Faso cent ans d’histoire, 1895-1995

                                                         Pages 1174 -1178

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