Papa et maman Traoré: Intercédez auprès de votre fils Président…

Ceux qui ont enlevé le Directeur de Publication de L'Evénement veulent éteindre définitivement les quelques petites bougies qui permettent encore à notre peuple de voir un peu plus clair dans les nuits lugubres dans lesquelles le pays est aujourd’hui plongé" ( Ph CENOZO)

Atiana Serge Oulon. Journaliste, Directeur de publication du journal d’investigation L’Evénement. Plusieurs fois lauréat du Prix de lutte anti-corruption (PLAC) du Réseau national de lutte anti-corruption (Ren-Lac) et de plusieurs autres prix. Auteur de plusieurs livres à succès, panafricaniste convaincu, démocrate et humaniste dans l’âme, il est passé tour à tour à la Radio Liberté, au journal Courrier Confidentiel avant de rejoindre L’Evénement.

Atiana Serge Oulon fait aujourd’hui partie des journalistes les plus brillants du Burkina Faso. Dans le milieu du journalisme d’investigation, son nom fait autorité, aussi bien au Burkina Faso, en Afrique que hors du continent.  Homme intègre, professionnel et audacieux, il a su cheviller à son corps les principes et valeurs de son métier. Très humble et disponible, patriote dans l’âme, il a le souci permanent du travail bien fait et de l’intérêt général.

Malgré les pressions, les intimidations, les menaces venant de milieux divers, il est resté stoïque, et focus sur son travail. Serge feignait d’ignorer que ses détracteurs lui en voulaient justement pour la simple raison qu’il était professionnel. Il rétorquait ceci à ceux qui l’invitaient à arrêter d’écrire sur les Forces armées nationales, notamment sur les putschistes, afin de ne pas s’attirer leur courroux : ” J’essaye juste de faire mon travail de journaliste. Je tâcherais de toujours rester professionnel et rigoureux. Il est vrai que nul n’est à l’abri d’erreurs. Mais je ferai l’effort de demeurer professionnel et de minimiser au mieux les fautes professionnelles. Je ne ferai rien de mal, surtout pas contre mon pays, ça vous le savez. Le reste ne dépend pas de moi…“.

Serge Oulon a été enlevé à son domicile le 24 juin vers 5h du matin devant son épouse et son fils, pour une destination jusque-là inconnue. Ses ravisseurs sont revenus quelques heures plus tard après son enlèvement pour chercher son téléphone portable et son ordinateur. Que lui reproche-t-on exactement ? Pourquoi ne pas lui avoir adressé une convocation en bonne et due forme ?

Victoires sur ses ravisseurs

Eh bien, le tort de Serge Oulon, c’est d’avoir voulu apporter un peu plus de lumière, dans un pays plongé dans les abysses des ténèbres. Serge Oulon a refusé de se soumettre, il a toujours refusé de dévoiler ses sources, il a choisi de ne pas courber l’échine, il a choisi le camp de la vérité, de l’honneur et de la dignité… Il a choisi d’informer son peuple. Des informations justes, équilibrées et utiles. Son seul souci, comme on le dit chez nous, c’est d’avoir « préféré être avec les moutons qu’on tue, que d’être avec les boucs qui puent. »

Après son rapt, Serge Oulon a remporté sur ses ravisseurs une double victoire : primo, c’est que ses confrères et ses compatriotes qui peuvent encore s’exprimer aussi bien au niveau national qu’international ont donné un écho inattendu à son enlèvement. Son professionnalisme, son sens de la mesure et son patriotisme ont été salués par tous. Secundo, Serge Oulon en remportant pour la 4e fois le Prix de lutte anti-corruption du Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC), 72h après son enlèvement, révèle aux yeux de ceux qui ne le connaissaient pas, mais aussi à ceux qui ont commandité et exécuté son kidnapping, l’étendue de la qualité et de l’utilité de son travail, son professionnalisme et sa contribution à un Burkina Faso où règne la bonne gouvernance et l’Etat de droit.

Un journaliste qui fait peur

À la vérité, ce journaliste faisait peur aux commanditaires de son enlèvement. Il en savait trop, beaucoup trop sur la gouvernance catastrophique du secteur de la sécurité, mais de façon plus globale sur la lutte contre le terrorisme au Burkina Faso. Il y a du reste consacré un livre, et y travaillait sur un autre.  En choisissant d’enlever Serge Oulon, les putschistes au pouvoir veulent simplement éteindre une lampe qui éclairait, mais aussi, faire disparaitre, définitivement le dossier sur l’affaire du détournement des 400 millions de FCFA, dans laquelle seraient impliqué un officier de l’armée burkinabè, un capitaine qui officiait à Kaya, au temps où le Président Traoré, y était comme chef d’artillerie. Ils veulent arrêter la parution de L’Evénement, mais aussi et surtout envoyer un message fort à tous les journalistes, à toutes les voix critiques, afin qu’ils se taisent tous à jamais, sur la gouvernance actuelle du pays. Ils veulent éteindre définitivement les quelques petites bougies qui permettent encore à notre peuple de voir un peu plus clair dans les nuits lugubres dans lesquelles le pays est aujourd’hui plongé. Ils ne pourront heureusement pas. Car, ce peuple et ses médias ont toujours fait preuve de résilience, d’audace et d’engagement. Ils ont toujours su rebondir au moment où les fossoyeurs de la liberté croyaient les avoir enterrés. Ceux qui ont tué et brûlé le journaliste Norbert Zongo le 13 décembre 1998, croyaient faire taire, définitivement les voix critiques au Burkina Faso. Ils ont plutôt assisté au contraire. Les bourreaux actuels de la presse et de la liberté d’expression dans notre pays n’ont hélas pas tiré toutes les leçons de cette histoire récente de notre pays. C’est le lieu de traduire à nos confrères, particulièrement ceux de L’Evènement, de Lefaso.net, de la télévision BF1, ainsi qu’à toutes les victimes silencieuses des croque-morts de la liberté, tous nos encouragements et solidarité et les invitons à garder le cap et à tenir fermement la barre.

Démocrates de tout le Faso, unissons-nous et dénonçons !

Pendant combien de temps allions nous supporter ces odeurs pestilentielles et nauséabondes de la dictature de ce régime ? Me Guy Hervé Kam, Dr Louré Arouna, Zinaba Rasmané, Bassirou Badjo, Wendpouiré Charles Sawadogo, l’iman Mahamadou Diallo, l’expert Younoussa Sanfo, l’homme d’affaire Anselme Kambou, Dr Ablassé Ouédraogo, Kalifara Seré, Serge Oulon, Adama Bayala… La liste se prolonge hélas, dangereusement. Combien de personnes faut-il qu’ils enlèvent pour qu’enfin, nous nous décidions à sortir de notre zone de confort pour dire non au fascisme grimpant ? Comment avions-nous pu descendre si bas au point d’accepter que les armes que notre peuple a mises à la disposition de certains de ses fils et filles pour assurer notre défense et notre sécurité, soient retournées contre une partie du peuple pour l’obliger au silence ? Comment et pourquoi ceux qui hier, aux côtés de Thomas Sankara criaient ‘’malheur à ceux qui bâillonnent leur peuple’’, peuvent fermer leurs yeux et leur cœur face aux cris de détresse de ceux qui sont victimes de la baïonnette de Ibrahim Traoré ?  Souvenons-nous ce que nous disait Norbert Zongo : « le pire, ce n’est pas la méchanceté des gens mauvais, c’est le silence des gens bons ».

Alors, que tous ceux qui sont dans le camp des gens bons et qui ne sont pas à portée de main des ravisseurs brisent le silence. Nous devons, ensemble, réparer l’erreur que nous avons jusque-là commise, à savoir que “quand ils sont venus chercher les socialistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas socialiste. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus chercher les juifs, je n’ai rien dit, je n’étais pas juif. Puis, ils sont venus me chercher. Et il ne restait personne pour protester ». Martin Niemöller.

Faisons-en sorte d’obtenir la libération rapide de Oulon Serge ainsi que de tous ceux qu’ils ont enlevé ou séquestré. Faisons surtout le pari que Kalifara Séré, Serge Oulon et Adama Bayala, les tout derniers chroniqueurs à être enlevés, soient, les derniers citoyens burkinabè, victimes des ravisseurs de Ouagadougou.

Pour cela, nous devrons nous unir, parler d’une seule et même voix. Nous devons user de tous les moyens légaux à notre disposition pour contraindre les autorités à recourir à la justice pour ramener les « citoyens égarés » à la raison. Autrement, dressons-nous majestueusement contre l’injustice et l’arbitraire de la junte au pouvoir.  Démocrates, défenseurs des droits humains, journalistes, avocats, magistrats, enseignants-chercheurs, coutumiers, religieux, leaders d’opinions, paysans, étudiants, ménagères, commerçants, travailleurs du secteur informel, Burkinabè de la diaspora, malgré nos désaccords, nous devrons pouvoir nous entendre sur l’essentiel : l’Etat de droit, l’unité nationale et le vivre-ensemble.

Papa et maman Traoré, au secours !

Nous voulons spécialement interpeller ici et très respectueusement et en toute humilité les parents du capitaine Ibrahim Traoré. Papa Traoré, Maman Traoré. Je ne vous connais pas. Je m’excuse de vous adresser la parole. Je vous prie de m’excuser de le faire de cette façon. Parlez à votre fils. Il est certes le chef de l’Etat. Mais il demeure votre fils. S’il y a encore des hommes et femmes qu’il écoute plus que tous au monde, c’est certainement vous. Intercédez auprès de lui. Demandez-lui sa clémence. Vous devriez pouvoir vivre dans ce pays comme les parents de tous ceux qui ont eu le privilège de diriger notre pays, sans craindre l’opprobre, après la Présidence de votre fils.  Rappelez à votre bien aimé Ibrahim, que nul n’est éternel.  Qu’il n’a pas le droit d’humilier inutilement les parents des autres. Dites-lui qu’il doit arrêter d’endeuiller inutilement les familles d’honnêtes citoyens, qu’il a juré de protéger. Dites-lui qu’il y a des parents comme vous qui attendent le retour de leurs fils que la justice burkinabè n’a pas condamné. Demandez à votre fils Président d’attendrir son cœur, d’être juste et de respecter les décisions de justice. Dites-lui aussi qu’il y a une vie après la Présidence. Car, le pouvoir, surtout celui des humains, est éphémère, très éphémère. Tout a une fin dans cette vie. Dites à votre fils-Président que vous aimez tant, que la mère et l’épouse de Serge Oulon, ainsi que les géniteurs et familles des autres Burkinabè injustement séquestrés aiment aussi leurs enfants et que tous ont le droit de vivre librement sur la terre libre du Burkina Faso. Et qu’un jour viendra, tôt ou tard où il répondra de tous ses actes. Rappelez-lui simplement, qu’il est certes Président, puissant, fort, craint, applaudis partout, de tous, mais nous ne sommes que des humains et tous, nous sommes mortels, ceux qui ont le pouvoir de faire disparaitre leurs concitoyens, tout comme ceux qui disparaissent pour ne plus gêner le festin du capitaine-Président ! Rappelez-lui enfin ces sages conseils du roi Aguibou Tall, dans « Amkoullel l’enfant peul », de Amadou Hampaté Bâ : « Le faste des tam-tams et les louanges des flatteurs ne me grisent pas au point de me faire perdre la mesure. Le risque que tout chef court en ce bas monde ne me trouble pas non plus au point de me faire commettre sciemment un crime.  Je sais une chose, et vous aussi, mes frères, sachez-le : au pays où les audiences se donnent à l’ombre des grands arbres, le roi qui coupe les branches tiendra ses assises en plein soleil. »

Inoussa Ouédraogo

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