Affaire Adja la guérisseuse : « Aucune intimidation ne saurait nous faire fléchir », Bruno Zabsonré, SG du SAMAB

"L'indépendance de la justice s’est trouvée heurtée par, je ne dirai pas des militaires mais, par les premières autorités de ce pays"

Depuis le lundi 31 juillet 2023, les magistrats observent un mouvement d’humeur suite à la libération manu militari d’une guérisseuse du nom de Amsetou Nikiema par des militaires alors qu’elle avait été placée sous mandat de dépôt par le procureur du Faso près le Tribunal de grande instance de Ouaga 2. Le magistrat à la Cour d’appel de Ouagadougou et Secrétaire général du Syndicat autonome des magistrats burkinabè (SAMAB) Bruno Zabsonré explique les raisons de cet arrêt de travail. Pour lui, l’indépendance de la justice est une quête permanente. Le Juge Zabsonré dénonce les manœuvres souterraines de l’Exécutif pour influencer certaines procédures judiciaires. Interview.

 

Ces derniers jours, l’Intersyndicale des magistrats dont le SAMAB est membre a appelé les magistrats à observer un mouvement d’humeur suite à la libération d’une guérisseuse placée sous mandat de dépôt par le procureur du Faso près le Tribunal de grande instance de Ouaga 2. Quatre jours après, le mouvement est-il vraiment suivi dans les juridictions du pays ?

Sur le suivi du mot d’ordre lancé par l’Intersyndicale des magistrats, je dirai que quatre jours après, le constat est que le mot d’ordre est très bien suivi. C’est un succès. Le constat est clair : aucun magistrat aujourd’hui  ne se rend au bureau pour travailler. Il est vrai que cela porte un préjudice sérieux à nos justiciables mais je crois que ce combat n’est pas mené uniquement pour les magistrats mais aussi et surtout pour les justiciables. Si nous n’œuvrons pas à ce que l’Exécutif puisse laisser les magistrats travailler en toute indépendance et en toute sérénité, je pense que les premières victimes, c’est bien nos justiciables. Comme on a l’habitude de le dire, entre deux maux, il faut prendre le moindre. Aujourd’hui peut-être que la situation de suspension des activités leur porte un préjudice très pesant sur leurs personnes mais je pense que ce combat en vaut la peine. Et nous ne pouvons que leur demander compréhension et indulgence du fait que naturellement ça va impacter leur quotidien, leur soif d’actes de justice. Mais c’est un mal nécessaire. C’est en cela que je dirai que le suivi de ce mot d’ordre est naturellement dû au fait que la cause est juste de sorte qu’aucun magistrat pour peu qu’il ait un minimum de conscience ne saurait se mettre en marge d’une telle lutte. C’est une question de survie de la magistrature, c’est une question d’autorité de la magistrature. C’est une question de respect des textes. Nous avons été mandatés par le peuple burkinabè tout comme les autres pouvoirs qu’il s’agisse du pouvoir exécutif ou du pouvoir législatif de sorte que nous avons le devoir de ne pas trahir ce peuple. Nous avons le devoir de ne pas laisser trahir ce peuple. Il nous appartient de mettre tout en branle pour que la confiance que nos populations ont placé en leur justice demeure de sorte qu’on ne puisse pas avoir des incompréhensions. Lorsque les choses vont mal en justice, vous allez voir tout de suite le politique ou l’exécutif se débiner en prétextant d’une soit disant indépendance de la justice, de la magistrature pour dire que s’il y a des comptes à demander, on ne peut que les demander aux acteurs de la justice bien qu’ils sachent qu’ils manœuvrent  généralement de façon souterraine pour entraver les procédures judiciaires. Dieu faisant bien les choses, cette manœuvre a été dévoilée cette fois-ci. Elle a été très visible de sorte que personne ne trouve à redire. Comme on le dit, toujours pour le voleur, un jour pour le propriétaire.

Les Burkinabè sont-ils fondés à craindre une remise en cause de l’indépendance de la justice ?

Bien évidemment les Burkinabè sont fondés à craindre une remise en cause de l’indépendance de la justice. Parce que les entraves et les dérives de nature à mettre à mal l’indépendance de la justice généralement ne sont pas perceptibles par les populations. Il s’agit de manœuvres implicites qui j’avoue plombent ou du moins mettent le magistrat en difficulté lorsqu’il s’agit d’exprimer ou de faire valoir son indépendance. Toujours est-il que les magistrats travaillent à sauvegarder, à préserver cette indépendance. C’est ce pour quoi nous avons suspendu le travail parce que cette indépendance s’est trouvée heurtée par, je ne dirai pas de militaires mais, les premières autorités de ce pays.  Parce que dire qu’il s’agit de certains militaires, je pense que c’est un raccourci. Si on a un président qui contrôle vraiment les choses, à moins qu’il n’en soit l’auteur principal de ces agissements-là, je ne vois pas comment il peut laisser faire, comment il peut observer passivement cette dérive, ce fait se poursuivre dans le temps.

 

Les acteurs judiciaires observent, comme indiqué plus haut, un mot d’ordre d’arrêt de travail jusqu’à la réintégration de la guérisseuse à la Maison d’arrêt. Ne craignez-vous pas des coupures sauvages de salaires comme l’on a pu le voir en 2020 lors de la lutte contre l’extension de l’Impôt unique sur les traitements et salaires (IUTS) sur les primes et indemnités des travailleurs ?

Ce sera encore une autre grosse erreur de la part de nos gouvernants que d’aller dans cette logique qui ne va faire qu’envenimer la situation. Les magistrats, de mon point de vue, ne sont pas en grève. Les magistrats ont suspendu leur travail parce qu’ils ont constaté une entrave, un obstacle à leur travail. La levée de cet obstacle ne dépend pas des magistrats de sorte qu’on ne peut pas reprocher aux magistrats de n’avoir pas travaillé pendant une certaine période alors que l’entrave, l’empêchement ne dépendait pas d’eux. Ceux qui ont les clés de la situation, ceux qui peuvent lever ces entraves, nous les connaissons tous. Il suffit de lever ces entraves et vous allez constater la reprise des activités juridictionnelles en bonne et due forme. A ce niveau, nous ne pensons pas qu’on puisse vraiment aller dans ces logiques qui ne vont faire que radicaliser davantage les magistrats. Si nous étions dans une logique de grève, la procédure pour aller en grève, nous la connaissons, nous aurions bien pu effectivement observer les règles en la matière. Nous ne sommes pas en grève ; nous sommes face à une situation qui nous empêche de travailler. Nous demandons purement et simplement que cet empêchement soit levé pour que nous puissions aller sereinement travailler.

Qu’est-ce que les Burkinabè doivent comprendre de cette crise opposant les acteurs judiciaires et l’Exécutif burkinabè ?

Les populations doivent comprendre que l’indépendance de la justice tant proclamée par nos gouvernants est une quête permanente et qu’il appartient à tout un chacun d’œuvrer à la sauvegarde de cette indépendance. Le constat est que l’Exécutif a toujours développé des velléités de contrôle de l’appareil judiciaire lequel contrôle n’est pas en faveur des populations au nom de qui la justice est rendue. Il appartient donc à ses populations d’être le bouclier, d’être les fervents défenseurs de cette indépendance qui loin d’être un privilège pour le magistrat est une protection pour les justiciables. C’est pourquoi, nous pensons que nous sommes à l’avant-garde de ce combat mais le soutien de la population, le soutien des justiciables nous permet de comprendre que nous sommes dans le droit chemin. Et ce soutien, nous l’avons constaté ici et là à travers des déclarations d’un certain nombre de structures, à travers l’intervention des citoyens qui réfléchissent avec leur substance grise, non pas avec leur ventre. Vous aurez constaté aussi que malheureusement la manipulation est au rendez-vous ces derniers temps de sorte que même ceux qui avaient demandé des poursuites contre dame Nikiema Amsetou se retrouvent en train de fustiger la justice pour avoir poursuivi et avoir émis un mandat de dépôt contre dame Nikiema Amsetou. Mais nous comprenons cette catégorie de citoyens parce que nous savons que ces genres de personnes qui réfléchissent de par leur ventre ne peuvent pas être constants, ne peuvent pas mener des combats utiles. Pour ces gens, c’est l’occasion de dire que leurs menaces proférées ici et là, nous ne faisons qu’en rigoler. Nous restons de marbre et nous sommes convaincu de notre idéal. Nous sommes convaincus de ce que nous recherchons et aucune menace, aucune intimidation ne saurait nous faire fléchir.

Vous exercez à la Cour d’appel de Ouagadougou depuis des années. Quelles sont les différents postes que vous avez occupés dans la magistrature depuis votre sortie de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (ENAM) ?

De 2006 à 2008, j’ai été substitut du Procureur du Faso près le Tribunal de grande instance de Bogandé (ndlr à l’Est du Burkina Faso). De 2008 à 2009, j’ai été membre de la Direction des affaires civiles, pénales et du Sceau au Ministère de la Justice. De 2009 à 2012, j’ai été également membre de la Direction des affaires civiles, commerciales, administratives et sociales au Ministère de la Justice. De 2012 à 2014, j’ai été substitut du Procureur du Faso près le Tribunal de grande instance de Ouagadougou. De 2014 à 2016, je suis reparti à la Chancellerie, au ministère, comme membre de la Direction des Affaires pénales et du Sceau. De 2016 à 2021, j’ai été Procureur du Faso près le Tribunal de grande instance de Djibo. Et enfin, depuis 2021, je suis Conseiller (ndlr magistrat du siège) à la Cour d’appel de Ouagadougou.

 

 Interview réalisée par Aya Ouédraogo

Laisser un commentaire

shares