Affaire Thomas Sankara : Ce qu’en sait Ismaël Diallo

Le procès de l’assassinat du président Thomas Sankara et de ses 12 compagnons avance. Ismaël Abdoulaye Diallo est le 23^ème témoin à faire sa déposition à la barre du Tribunal militaire de Ouagadougou le jeudi 2 décembre 2021.

Ismaël Abdoulaye Diallo a aujourd’hui 77ans. Sa mémoire reste encore fine. Quand il parle de l’affaire Thomas Sankara, c’est avec des détails. Le témoin a fait savoir qu’il n’était pas un conseiller de Thomas Sankara mais il lui donnait souvent des conseils et avait des échanges fréquents avec le PF (ndlr Président du Faso).

« Le 15 octobre 1987, très tôt le matin, j’ai appelé le président Thomas Sankara pour lui parler de la situation qui prévalait. Il m’a interrompu pour me demander si j’avais fait le rapport sur la situation en Afrique du Sud en rapport avec l’apartheid. J’ai répondu oui et même que le rapport a été déposé à son secrétariat », introduit le témoin. Il souligne avoir relancé le président pour dire que ce pourquoi il appelle est très sérieux.

« J’ai dit au président Sankara que la situation était sans issue. Il m’a vite coupé pour dire qu’il écrit depuis 3heures et qu’il allait me rappeler. Je n’étais pas satisfait de sa réponse », indique Ismaël Abdoulaye Diallo.

Il précise avoir tenté de joindre ensuite Blaise Compaoré. Ce dernier n’était ni au conseil de l’entente ni au ministère de la justice au matin du 15 octobre 1987. « J’ai fini par l’avoir. Il m’a dit qu’il était chez lui à la maison. J’ai demandé ce qu’il fait à la maison à cette heure. Il m’a dit qu’il est malade. Je suis allé le voir. Il m’a reçu sur la terrasse. J’ai répété à Blaise ce que j’ai dit à Sankara. Il m’a demandé si je n’ai pas croisé Gilbert Diendéré qui sortait quand j’entrais. J’ai répondu non. Blaise Compaoré m’a dit que c’est la première fois qu’ils ont parlé politique. J’ai proposé de faire une déclaration très courte mais ferme sur la situation. J’ai proposé que cette déclaration soit lue par le capitaine Pierre Ouédraogo ou le commandant en chef Lingani. La déclaration devait dire en substance que le vert était dans le fruit et que les leaders de la révolution en étaient conscients et qu’ils allaient réduire les manœuvres de déstabilisation. Blaise m’a dit que si on le dit à Sankara, il dira oui et il fera autre chose. J’ai dit alors, c’est dangereux. Surtout pour des hommes en armes. Quelque temps après, Blaise m’a dit qu’il est malade, il va rester se coucher. C’est la première fois qu’il mettait fin à une conversation avec moi. J’ai été interloqué, je suis parti », décrit le témoin Ismaël Abdoulaye Diallo.

Retour à la maison. Vers 15h le 15 octobre 1987, il tente de joindre à nouveau le président Sankara. Il n’était pas à son bureau. Il ressaie une deuxième fois vers 16h. Le standardiste l’informe que le « capitane président » venait de bouger pour le conseil de l’entente. « Plus tard, ma nièce qui travaillait dans une ambassade m’a appelé pour me dire qu’il y a des tirs au conseil de l’entente(…). Vers 17H-17H30, un journaliste français m’a téléphoné pour me demander s’il y avait des coups de feu. J’ai dit oui. C’est lui qui m’a informé que Sankara est mort », relate Ismaël Abdoulaye Diallo.

Dans la matinée du 16 octobre 1987, il dit avoir reçu la visite du capitaine d’alors Jean Pierre Palm. « Il m’a dit qu’il est venu voir comment je me portais de la part de Blaise Compaoré. Quelques instants après, Blaise m’a téléphoné pour demander de venir au conseil de l’entente. J’ai dit de faire venir son véhicule. Effectivement il a fait venir son véhicule et son chauffeur Hamidou Maïga. J’ai démarré avec mon chauffeur pour les suivre. Arrivé au conseil de l’entente, Blaise Compaoré était en tenue de sport. Il m’a reçu dans une villa. Il m’a demandé de m’asseoir. Je l’ai demandé si c’est bien lui qui a fait tuer Sankara. Il m’a dit non, qu’il voulait le faire arrêter le samedi (ndlr 17 octobre 1987). J’ai répondu non. Nous sommes vendredi. Sankara a été tué jeudi. Et le commandant Lingani est arrivé. Je suis parti », foi du témoin.

Avant lui, certains témoins ont soutenu que c’est lui qui a rédigé la déclaration de Blaise Compaoré lue le 19 octobre 1987. Ismaël Abdoulaye Diallo réfute cette allégation et demande même une confrontation. Il poursuivra son témoignage le lundi 6 décembre 2021.

Aya Ouédraogo