Assassinat de Thomas Sankara : « Les gens sont descendus et ont tiré en désordre »

Jour 2 de la déposition du soldat de première classe Yamba Elysée Ilboudo et troisième jour de procès dans l’affaire Thomas Sankara. A la retraite depuis 2004, âgé de 62 ans, jamais condamné, père de sept enfants, décoré de la médaille militaire et de la médaille de la résistance du 17 mai, l’accusé explique son rôle dans les tragiques événements du 15 octobre 1987. Dans la soirée, il a reçu cet ordre de Hyacinthe Kafando : « Elysée, prends ta voiture. On part au conseil. Hyacinthe a dit : « un tel, un tel dans le véhicule de Elysée, un tel, un tel dans le véhicule de Maiga ».

Ainsi dans son véhicule de marque Galland, tient-il à préciser, il y avait l’adjudant Hyacinthe Kafando. Ce dernier était le chef de bord. A l’arrière, il y avait les militaires Wampasba Nakoulma, Nabonswendé Ouédraogo et Idrissa Sawadogo. Ils étaient donc cinq dans le premier véhicule. Le second véhicule était conduit par Hamidou Paté  Maïga et d’autres militaires.

Une fois au Conseil de l’Entente, ils sont d’abord allés au pied à terre du capitaine ministre de la justice et commandant du centre d’entrainement commando de Pô, Blaise Compaoré. Par la suite, le commando dirigé par Hyacinthe Kafando selon l’accusé Yamba Elysée Ilboudo, a démarré à nouveau. A un moment donné, le chef de bord a tiré le volant du véhicule et « on est allé cogner la porte du secrétariat du conseil national de la révolution. Les gens sont descendus et ont commencé à tirer en désordre », a confié l’accusé. Mais selon les avocats des parties civiles, l’accusé n’est pas resté constant. Car, indiquent-ils, devant le juge d’instruction en octobre 2016, il avait laissé entendre : « on est descendu et on a tiré en désordre. Je suis descendu et j’ai cherché à prendre mon arme, mais quelqu’un d’autre l’avait pris. Sankara et Frédéric Kiemdé sont sortis, ils ont tiré sur eux. Le président s’est affaissé avant de s’écrouler.»

Après les tirs, la salle a pris feu. L’accusé explique avoir été instruit par l’adjudant Hyacinthe Kafando de descendre du véhicule et d’éteindre le feu. Puis il lui a été ordonné de conduire trois rescapés pour les enfermer dans une salle avant que le cortège du commando ne bouge pour le domicile de Blaise Compaoré.

« Seul un médecin psychiatre peut nous dire si son état mental est affecté ou pas »

Le soldat de première classe Yamba Elysée Ilboudo a pour avocat, Me Eliane Kaboré. Elle a relevé beaucoup d’incohérences dans les déclarations de son client. « Il y a des choses qui sont floues. Dans le procès-verbal de confrontation, les rescapés disent qu’ils ont été conduits par Nsoni Nadié et Otis Ouédraogo. Elysée Ilboudo dit que c’est lui qui les a conduits. Tantôt il dit qu’il est descendu du véhicule, tantôt qu’il n’est pas descendu du véhicule. Tantôt il avait une arme, tantôt il n’en avait pas. Je l’ai reçu, il n’a pas été capable de me donner le nombre exact de ses enfants. Les enquêtes n’ont pas été poussées jusqu’au bout. Son épouse dit qu’il parle seul depuis son évacuation en France pour des soins. Au regard de tous ces éléments, nous pensons qu’il faut une expertise pour déterminer si mon client Yamba Elysée Ilboudo est capable de recevoir jugement. Je vous demande d’ordonner une expertise psychiatrique », introduit Me Eliane Kaboré. Elle est soutenue par Me Olivier Y. Somé, Zaliatou Aouba et d’autres avocats de la défense.

Mais du côté des avocats des familles des victimes, cette requête de l’avocat de l’accusé Ilboudo doit être rejetée. Selon eux, l’arrêt de renvoi dit au sujet de l’accusé qu’il jouit d’une bonne santé physique et mentale. « Je ne sais pas pourquoi  cette demande intervient près de 24 heures après le début de l’interrogatoire de l’accusé », indique Me Guy Hervé Kam. Son confrère, Me Jean Patrice Yameogo du cabinet Benewendé Sankara, lui souligne que les documents médicaux présentés par l’avocate de l’accusé sous-tendent qu’il souffre d’un problème de fémur. « Je ne pense pas qu’un problème de fémur puisse justifier une telle demande d’expertise psychiatrique. On ne peut pas venir dire que parce que l’accusé a été évacué en France en 1989 après un accident qu’il est devenu subitement dément », analyse l’avocat.

Pour sa part, le parquet militaire s’est opposé à cette demande d’expertise. Pour lui, depuis le début de l’instruction, l’accusé a fait des déclarations cohérentes et logiques. « Le juge d’instruction a ordonné une expertise psychiatrique qui montre qu’il n’est atteint d’aucune tare susceptible d’affecter son discernement », indique le ministère public.

Me Eliane Kaboré réplique. Pour elle, sa demande n’est pas tardive. Elle veut seulement que son client soit examiné par un expert, c’est-à-dire un médecin psychiatre, « seule personne capable de nous dire que l’accident évoqué a affecté ou non la santé mentale de son client ».

Le tribunal a rejeté la demande d’expertise parce qu’injustifiée et a poursuivi l’interrogatoire de l’accusé. L’audience reprend le jeudi 28 octobre avec l’interrogatoire du soldat Idrissa Sawadogo. Il bénéficie de l’assistance de Me Aouba Zaliatou. L’avocate a été commise d’office en fin août 2021.

Fatim Traoré

 

 

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