Burkina Faso : De grandes questions juridiques après l’investiture de Paul-Henri Damiba
Le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba a été investi président de la Transition le mercredi 2 mars 2022. Cette investiture intervient après l’adoption de la Charte de la Transition par les « forces vives » de la Nation au petit matin du mardi 1er mars dernier et de sa désignation comme président de la Transition. Seuls les militaires au pouvoir connaissent les critères de désignation des personnes ayant participé à ces assises. Des organisations de la société civile, syndicales et de journalistes n’ont pas été invitées. Plusieurs journalistes n’ont pas eu accès à la salle. Il semble qu’il y avait une liste de média et de journalistes accrédités à cet effet. Nous avons du reste tenté d’accéder à la salle de conférences de Ouaga 2000 le mardi 28 février dernier dans l’après-midi. La sécurité a excipé d’une liste d’organes de presse accrédités pour nous prier gentiment de repartir.
Avant ces travaux, le 16 février 2022 l’officier supérieur auteur du putsch du 24 janvier 2022 avait prêté serment devant le Conseil constitutionnel comme Président du Faso. Les grands juges l’avaient renvoyé à l’exercice de ses fonctions.
L’attitude du Conseil constitutionnel a été critiquée par des juristes. Le professeur titulaire de Droit public Abdoulaye Soma a été le plus virulent. Pour lui, « le conseil constitutionnel a tué la constitution. »
Pour le professeur Luc Marius Ibriga, « la prestation de serment de Paul-Henri Damiba n’a pas sa raison d’être au plan juridique. Parce que la prestation de serment n’est pas une cérémonie à part. La constitution ne connait pas que l’investiture du chef de l’Etat. Et au cours de l’investiture du chef de l’Etat, il y a plusieurs phases dont la prestation de serment et la remise de la déclaration de biens. Et la constitution dit quel est le serment que le président doit prêter. Or le coup d’Etat n’existe pas dans la constitution comme mode de prise de pouvoir. La constitution dit que le coup d’Etat est illégal et illégitime. En tant que citoyen, un pouvoir qui arrive par coup d’Etat, je suis fondé à ne pas lui obéir. Ayant pris l’acte 1 qui a rétabli la constitution, il appartenait au conseil constitutionnel de constater la vacance du pouvoir (…), d’aller vérifier que c’est librement que le président a démissionné. L’acte fondamental n’est pas supérieur à la constitution. Le conseil constitutionnel devait constater la vacance du pouvoir, et compte tenu de l’état de nécessité, prendre acte du pouvoir de fait et d’appeler les forces vives de la nation à doter le pays d’une charte transitoire. Maintenant après son adoption, on pourrait avoir une investiture. Alors que là, on a séparé prestation de serment et investiture. Le président a déjà prêté serment, est-ce que dire qu’après l’adoption de la charte de la transition, il ne prêtera plus serment ? S’il ne prête plus serment, cela veut dire qu’il peut prendre des libertés avec la charte puisqu’il n’a pas prêté serment de respecter et de faire respecter la charte. (…).»
Luc Marius Ibriga s’exprimait ainsi le vendredi 25 février 2022 au Club de la presse, un rendez-vous mensuel organisé par le Centre national de presse Norbert Zongo entre un invité et des journalistes.
Fatim Traoré