Burkina Faso: Que reste-t-il de Thomas Sankara ?

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Sankara et ses camarades ont fait rêvé les Burkinabè et les africains à travers un véritable programme de transformations profondes des conditions et des habitudes de leurs compatriotes.

"Ses idées continuent à animer les débats et inspirer la littérature ; mais on observe sur le continent aucune mise en oeuvre de sa vision"

Il y a 37 ans, le Burkina Faso entamait un vaste processus révolutionnaire conduit par le Capitane Noel Isidore Thomas Sankara. C’était le 04 août 1983. Le capitaine et certains de ces camarades, militaires comme civils achevaient ainsi un processus qui était enclenchée depuis le 17 mai 1983. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Sankara et ses camarades ont fait rêvé les Burkinabè et les africains à travers un véritable programme de transformations profondes des conditions et des habitudes de leurs compatriotes. L’agriculture, l’économie, la santé, l’éducation, l’environnement, la culture, le logement, la gouvernance, tous les segments de la vie de la Nation ont été touchés. Mieux, le pays a changé de nom, d’hymne nationale, de devise, etc. 37 ans après, le Burkina est certes à la croisée des chemins, mais il reste encore quelque chose a tiré de l’œuvre du capitaine Sankara. A en croire le camerounais Roland Tsapi qui écrivait en 2006 cet article que nous vous proposons in extenso.

 

Né le 21 décembre 1949 dans un pays alors appelé Haute-Volta (qui deviendra plus tard Burkina Faso patrie des hommes intègres). Ce nom en lui seul résume l’homme Thomas Sankara, qui pris le pouvoir du Burkina Faso du 4 août 1983 (suite à un coup d’Etat) à la tête du Conseil national de la révolution (Cnr) ; il préside aux destinés de ce pays et dirigea jusqu’au 15 octobre 1987. L’homme tranchait des autres présidents par sa simplicité et la rigueur imposée aux membres de son gouvernement. Il avait mis au garage les Limousines du parc automobile de l’Etat, imposant des Renault 5 comme voitures de fonction pour lui et ses ministres, selon divers témoignages. Très remonté contre la colonisation et les influences des Occidentaux qu’il jugeait néfastes, il était arrivé à tenir en horreur tous ce qui était exporté, les idées comme les produits manufacturés. C’est pour cela qu’il obligera les fonctionnaires à tronquer les costumes trois pièces venus d’ailleurs contre les tenues en cotonnade tissées localement. Consommons Burkinabé, ne cessait-il de répéter, en prêchant par l’exemple.

Action
On retiendra de lui, sur le plan politique de grandes actions : la campagne massive de vaccination des Burkinabés qui fera chuter le taux de mortalité infantile alors le plus haut d’Afrique, la construction considérable d’écoles et d’hôpitaux, la campagne de reboisement (plantation de millions d’arbres pour faire reculer le Sahel), grande réforme agraire de redistribution des terres aux paysans, élévation des prix et suppression des impôts agricoles, institution de Tribunaux Populaires de la Révolution (Tpr), grandes mesures de libération de la femme (interdiction de l’excision, réglementation de la polygamie, participation à la vie politique, etc.), aides au logement (baisse des loyers, grandes constructions de logement pour tous), et tant d’autres.

Idées
Dans ses discours, des formules rebelles revenaient sans cesse ; il était déterminé à en découdre avec les bourreaux de l’Afrique Tant qu’il y aura l’oppression et l’exploitation, il y aura toujours deux justices et deux démocraties : celle des oppresseurs et celle des opprimés, celle des exploiteurs et celle des exploités. Dans la foulée, il déclare à la tribune de l’Oua (actuelle Union africaine) à Addis-Abeba, il déclare à l’attention de ses pairs africains : Je dis que les Africains ne doivent pas payer la dette. Celui qui n’est pas d’accord peut sortir tout de suite, prendre son avion et aller à la Banque mondiale pour payer.
Il militait également pour l’émancipation de la femme : Il n’y a pas de révolution sociale véritable que lorsque la femme est libérée. Que jamais mes yeux ne voient une société où la moitié du peuple est maintenue dans le silence.

Principes et éthique
Sur les qualités extraordinaires de l’homme, Bruno Jaffre, un écrivain qui s’intéresse à sa biographie écrit : Thomas Sankara aurait pu se débarrasser de ses ennemis, il en avait les moyens Peut-être aurait-il dû mieux se protéger ? Il ne pouvait en tout cas pas imaginer que son ami viendrait à être responsable de son assassinat. En tout cas, il ne voulait pas tomber dans le cycle sans fin des clarifications sur fond d’assassinat, sous prétexte d’étapes supérieures qui cachent souvent une simple lutte pour le pouvoir. Au contraire il a cherché à élargir la base de la révolution et s’est opposé à ceux qui portaient des exclusives. Il s’est battu politiquement, mais en face on a préféré l’éliminer physiquement, ce que nous pourrions interpréter comme un aveu de faiblesse. Thomas Sankara savait que s’il venait à employer ces méthodes, il aurait cessé d’être celui qu’on aimait, celui en qui on avait confiance, celui qui rassurait au moment des doutes par son intégrité et sa rigueur morale…

Héritage
Que reste-t-il de l’homme aujourd’hui ? La jeunesse continue de voir en lui une idole, et se demande pourquoi il a été assassiné si jeune, à 38 ans (le 15 octobre 1987.) Ses idées continuent à animer les débats et inspirer la littérature ; mais on observe sur le continent aucune mise en oeuvre de sa vision. Les présidents africains se moquent de sa modestie et accumulent des richesses sur le dos de la population ; les produits locaux sont traités avec mépris par ces dirigeants dont les épouses prennent l’avion pour aller faire des emplettes à l’étranger, notamment en Occident. Nos pays sont de plus en plus dépendants.
De l’homme Sankara, on ne connaît presque pas de biens matériels accumulés comme c’est la mode pour nos dirigeants. L’héritage de Sankara peut enfin se résumer en un rêve brisé. Mais pas perdu.

 

Roland Tsapi

 

Article publié dans le journal camerounais le messager (voir à l’adresse http://www.lemessager.net/) du 18/10/2006

 

 

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