« L’échec sur le front sécuritaire est celui des militaires et non de Roch Kaboré » Drissa Komo, enseignant de Philosophie

Enseignant de philosophie au lycée Nelson Mandela de Ouagadougou, Drissa Komo est aussi militant du Front des Forces Sociales (FFS), un parti politique qu’il a fondé en octobre 1996 avec certains camarades. Ancien commissaire à la Commission électorale nationale indépendante (CENI), l’homme est connu par ses contemporains comme un défenseur intrépide des causes justes,  de la veuve et de l’orphelin. S’inspirant des idéaux du président Thomas Sankara, Drissa Komo s’est longtemps laissé bercer par l’engagement musical de Bob Marley et par les théories panafricanistes de l’égyptologue Cheick Anta Diop. Avec lui, nous sommes revenus sur le coup d’état perpétré par le Lieutenant-Colonel Damiba, la lutte contre le terrorisme, le comportement d’une partie de la classe politique nationale, et bien sûr le verdict du procès de l’assassinat de Thomas Sankara et ses compagnons…

Bendré : Le verdict du procès Sankara vient de tomber. Prison à vie pour Compaoré, Diendéré et KafandoQue pensez-vous de ce verdict?

Drissa Komo : Au-delà des peines prononcées, ce qui compte pour moi, c’est que justice est rendue aux familles des suppliciés du 15 octobre 1987. Trente-cinq (35) ans après la forfaiture, la Justice du Faso vient de se réhabiliter et nous enseigne que nul n’est au dessus de la loi. Les hommes forts d’hier sont aujourd’hui rattrapés par la Justice qu’ils ont passé le temps à torpiller. Par là même, c’est une leçon pour les hommes dits forts du moment. C’est cela la dimension pédagogique de ce procès et du verdict qui en est sorti. Les familles peuvent maintenant faire sereinement leur deuil.

 

Quelles peuvent être les conséquences d’un tel verdict sur la paix sociale et la réconciliation nationale au Burkina ?

Rien de bon et de solide ne peut se construire sur du mensonge et du faux. Ce verdict situe les responsabilités des uns et des autres dans les évènements macabres du 15 octobre 87. La vérité est dite, maintenant les gens peuvent être disposés au pardon, en vue d’une réconciliation véritable. Il reste bien évidemment le dossier Norbert Zongo. Ce sont les deux dossiers qui ont profondément divisé la société burkinabè. A mon sens si ce dernier dossier venait à être évacué, l’unité nationale s’en trouvera renforcée et les Burkinabè pourraient dès lors regarder et marcher dans la même direction.

 

Quels enseignements tirez-vous de ce procès 35 ans après l’assassinat de Sankara et de ses compagnons…

Ce procès invite tout homme intelligent à l’humilité. Le plus fort d’un moment peut ruser avec les lois de son pays, un moment mais pas tout le temps. La force est toujours précaire, il faut le savoir. Le slogan des rentiers du 15 octobre , ” si tu fais , on te fait et il n’y a rien ! ” , est aujourd’hui démenti . L’impunité ne saurait être une règle pour le gouvernement des peuples et il n’y a aucune force au dessus de celle du peuple. Ça aussi il faut le savoir !

 

Sept  ans après la chute de Compaoré, le Burkina Faso est toujours à la croisée des chemins… Certains Burkinabè en viennent même à regretter Blaise Compaoré… Qu’est-ce qui n’a pas marché ?

Ceux qui regrettent Blaise Compaoré , aujourd’hui , sont ceux là qui jouissaient de l’impunité dont je parlais tantôt , c’est humain et je les comprends. Heureusement il s’agit d’une petite minorité. Mais quant au fond de votre question, après la chute de Blaise Compaoré , ce qui n’a pas marché , il y a beaucoup à dire. D’abord, le peuple insurgé qui a chassé Blaise Compaoré , s’est vu voler son pouvoir par des usurpateurs ( militaires avec Zida du RSP et certaines OSC ) mus par la boulimie de l’avoir, l’argent. L’insurrection de 2014 a été une révolution avortée. Une révolution est radicale et prend les choses à la racine mais hélas ! Ensuite sont arrivés au pouvoir par la voie des urnes, Marc Roch Kaboré et son MPP , ce qu’ils ont donné à voir , c’est qu’ils ne se sont pas du tout émancipés des pratiques décriées qui prévalaient sous Blaise Compaoré et son CDP . A bien des égards, le MPP a été la copie conforme du CDP. Maintenant pire que sous le CDP , avec le MPP l’insécurité est devenue le quotidien des Burkinabè. Le grand banditisme dans les centres urbains, des attaques terroristes un peu partout à l’intérieur du pays sont devenus d’une banalité déconcertante. Roch Kaboré s’est montré extrêmement impuissant à combattre le terrorisme et la corruption rampante dans son entourage immédiat. N’étant pas militaire son impuissance sur le terrain sécuritaire pouvait se comprendre , mais celle devant la corruption de certains de ses proches pouvait moins l’être. Je pense que c’est cette dernière impuissance qui l’a perdu. C’est elle qui a fait que les gens n’étaient plus enclins à barrer la route aux putschistes de janvier dernier. Soit dit en passant ce putsch est un recul grave dans notre processus de démocratisation du pays.

 

Le processus démocratique entamé après l’insurrection de 2015 a été stoppé par le coup de force perpétré par le président Damiba… Ce coup d’État vous a t’il surpris ?

Oui pour être honnête, j’ai été un peu surpris. Pourquoi ? Parce que les auteurs de ce coup de force étaient ceux là même que le président Roch Kaboré venait de promouvoir et qui étaient sur les fronts de la lutte contre le terrorisme. La mission du Président c’est pourvoir aux besoins de l’armée, ce qu’il a fait. Les fonds alloués à notre armée dans le cadre de cette lutte sont allés crescendo ces dernières années. S’il y a échec sur ce plan, c’est bien celui des militaires et non de Roch Kaboré.

 

Les raisons avancées par les militaires pour orchestrer leur pronunciamiento vous paraissent crédibles et justes?

 Pas du tout , la raison principale mise en avant pour justifier le coup de force étant l’impuissance du Président sur le terrain de la lutte contre l’extrémisme violent , or c’est bien eux qui étaient sur les différents fronts. Donc l’impuissance de Roch ici dit leur propre impuissance.

 

Toutes les institutions prévues par la charte de la Transition ont été mises en place. Le premier ministre à proposé à l’Assemblée législative de Transition sa feuille de route… Les premiers pas de la Transition sont-ils rassurant ?

Le seul pas qui peut rassurer les Burkinabè aujourd’hui , c’est celui qui consiste à libérer progressivement ( pas après pas ) les parties du territoire national qui échappent à l’autorité de l’État. Tout autre chose n’est que rhétorique et verbiage de politiciens.

 

Certains caciques du pouvoir déchu se sont déjà organisé au sein d’un parti appelé PPS pour repartir à la conquête du pouvoir politique. Certains ont décrié leur comportement, les qualifiant même d’opportunistes… Avez-vous la même lecture ?

Absolument , pire qu’opportunisme , je trouve leur attitude indécente moralement , inopportune politiquement et empreinte d’ingratitude humainement ,  puisque leur champion d’hier est toujours embastillé. Cette attitude est d’une telle grossièreté qu’elle dénie toute sa noblesse à la politique.

 

Faut-il désespérer de la classe politique Burkinabè ?

Non, je ne pense pas qu’il faut désespérer de la classe politique. De certains politiciens oui, comme de ces gens sans aucun sens moral. Pour moi la politique doit être intimement liée à l’éthique : elle doit être le moyen collectif pour la réalisation du bien et du juste dans la cité.

 

Relativement à la question sécuritaire, le nouveau président a indiqué qu’ils vont explorer les voies de la négociation. Cette perspective vous paraît elle pertinente ?

Là encore je suis quelque peu surpris. Je pense qu’il faut se connaître pour pouvoir négocier. Ils connaissent donc certainement ceux par qui nous avons un mal être existentiel. S’ils les connaissent , qu’ils négocient alors. En tout cas, ce que veulent les Burkinabè c’est la paix , laquelle n’a pas de prix , dit on.

 

 Comment sortir de ce désastre sécuritaire dans lequel notre pays est embourbé…

 En tout cas un coup d’État n’est pas la solution. Comment en sortir ? Je pense franchement que chacun doit jouer sa partition. Les jeunes soldats seuls au front sans l’encadrement des cadres, de ceux-là qui ont fait des écoles de guerre qui s’en vantent à Ouagadougou , n’est pas la solution. Ceux qui maîtrisent les arts de la guerre doivent accepter d’aller au front. Les agents du mal vivent avec nous, les populations doivent accepter dénoncer ceux de leurs enfants qui sont en porte à faux avec les idéaux de la République, le Faso , aux Forces de défense et de sécurité.

 

Vous avez été commissaire de la Ceni qui a connu des derniers mois une crise profonde. Comment voyez-vous l’avenir de cette institution en termes de réformes dans les années à venir…

En effet j’ai eu la chance de représenter mon parti,  le FFS à la CENI , quand l’institution était sous le magistère de Maître Barthélémy Kéré , l’actuel Garde des sceaux. La crédibilité d’une institution comme la CENI est tributaire de la qualité des hommes que les différentes composantes envoient les présenter. Notre équipe était constituée de personnes compétentes et humainement enthousiastes, sachant mettre l’intérêt général au dessus des positions partisanes, nous  formions une famille. Jusqu’aujourd’hui, nous sommes restés soudés. Si l’administration générale était totalement dépolitisée comme l’ambitionnent les restaurateurs, la CENI pourrait revenir à des professionnels de l’administration, comme c’est le cas dans les grands pays.

 

Comment êtes vous arrivé à l’enseignement de philosophie…

Là, c’est une histoire un peu bizarre. Après mon BEPC j’ai été orienté en 2nde C et je suis passé en 1ere D. Je passais en  Tle D  avec juste la moyenne. Avec les conseils de certains de mes profs, j’ai été encouragé à faire la Tle A  vu mes performances dans les matières littéraires. Soit dit en passant jusqu’à ma 2nde, je n’avais jamais imaginé faire la littérature. En 2nde, j’ai été dégoûté des mathématiques du fait de mon enseignant. En ces temps là également j’étais sous le charme de la philosophie de Bob Marley,  de l’égyptologie de Cheick  Anta Diop et de la vision politique de Thomas Sankara. Tout cela a facilité les choses. Je me suis donc inscrit en Tle A, j’ai fait le bac A avec mention assez bien et 15/20 en philosophie. Naturellement j’ai été orienté au département de philosophie à l’Université de Ouagadougou. Après la licence j’ai fait le concours pour devenir enseignant de philosophie dans les lycées et collèges. Voilà la petite histoire !

 

Un message à l’endroit de la jeunesse burkinabè qui est désemparée face à la crise multidimensionnelle que vit notre pays…

La jeunesse est l’avenir du pays, mais pour ce faire elle doit se former et bien se former, intellectuellement et politiquement, si elle veut jouer pleinement son rôle. Bien formée, informée et engagée dans le combat politique. Elle pourra soulever des montagnes. Autrement la honte sera son lot. N’est-ce pas ce que Thomas Sankara disait en ces termes : ” honte à celui qui ne fait pas mieux que son père !”

                                                                                                                                Par Inoussa Ouédraogo

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