Lutte contre le Covid-19 à Taabtenga : « dites-moi comment se laver les mains quand on n’en a même pas à boire » ?

Ici, certains femmes disaient passer souvent 72h sans avoir la moindre goutte d'eau, notamment en période de chaleur. (Photo d'illustration)

Période de forte canicule rime avec pénurie d’eau au Burkina Faso. Au quartier Taabtenga, dans la périphérie de Ouagadougou, la capitale, le problème est plus grave. Cela fait un peu plus de deux mois que la ressource eau est devenue très rare.  Face à cette épreuve, les populations se demandent bien comment elles pourront échapper à ce satané coronavirus qui, aux dires des spécialistes, profite aussi de l’insalubrité pour se propager. Bendré est allé le vendredi 3 avril 2020 à la rencontre de ces hommes et femmes pour qui le bidon d’eau de vingt litres vaut de l’or.

Vendredi, c’est jour de prière chez les musulmans. Au quartier Taabtenga sis à la périphérie de Ouagadougou, sous un soleil ardent, la préoccupation est ailleurs. Même si c’est le deuxième vendredi successif que la grande prière de vendredi a été suspendue à cause du coronavirus disease 2019 (Covid-19).  Ici, l’appel à la prière est passée inaperçue. C’est l’appel de l’eau qui est plutôt entendue. Toutes les forces sont concentrées, toutes les énergies mobilisées pour l’obtention de l’or bleu.

Comme c’est le cas depuis quelques mois, certaines familles dans leur entièreté ou presque se vident chaque matin à la recherche du liquide précieux. Le château d’eau, l’un des rares du quartier, est envahi par plusieurs centaines de bidons et de barriques vides qui s’étendent à perte de vue. Ces outils de collecte d’eau sont alignés ou posés suivant l’ordre d’arrivée.

Vous avez dit regroupement de moins de 50 personnes ?

Depuis l’avènement du coronavirus, les autorités ont pris plusieurs mesures barrières pour éviter la propagation de la maladie. Parmi elles, figurent l’interdiction de regroupement de plus de 50 personnes. Pourtant, à Taabtenga, cette mesure semble ne pas avoir de sens pour les chercheurs d’eau dont certains disent passer souvent 72h sans être servis.

C’est à croire qu’ils n’ont pas conscience de l’existence ou de la réalité de la maladie à coronavirus. Et pourtant…Puisque certaines femmes, les plus nombreuses d’ailleurs à cet unique point d’eau fonctionnel, n’ont pas hésité à demander à notre reporter de leur apporter la prochaine fois des masques de protection.

Fati Konfé fait partie de nos interlocuteurs. A l’en croire, cela fait plus de deux mois que les bornes fontaines ne sont plus fonctionnelles. Chaque matin donc, femmes, jeunes et enfants s’entassent dans l’un des rares lieu où l’eau est accessible. Entre disputes et injures de tout genre, il faut avoir le caractère bien trempé pour obtenir la denrée précieuse.  « Ici, la barrique d’eau coûte 100 francs CFA. Malgré ce coût jugé faramineux par plusieurs habitants du quartier, se faire servir relève d’un véritable parcours de combattants. « Tu peux passer deux ou trois jours, sans avoir la moindre goutte d’eau ».

Fati Konfé interpelle le chef de l’Etat en personne. « C’est lui que nous connaissons et c’est lui qui peut nous venir en aide »

Certains ont ainsi fait de la vente d’eau leur gagne-pain quotidien. Selon plusieurs habitants du quartier, lorsque le client veut se faire livrer à domicile, le prix de la barrique d’eau varie entre 500 Francs et 1000 francs CFA en fonction de la distance qui sépare son domicile du château d’eau. Quant au bidon d’eau de 20litres, il est vendu à 75 francs ou 100 francs. Au regard de toutes ces difficultés en matière d’eau, ils appellent les pouvoirs publics à leur venir en aide. Fati Konfé interpelle le chef de l’Etat en personne. « C’est lui que nous connaissons et c’est lui qui peut nous venir en aide », lance-telle. Mieux, ajoute dame Konfé : « on dit de se laver régulièrement les mains. Mais dites-moi comment se laver les mains quand on n’en a même pas à boire », s’interroge-t-elle. Pire, a-t-elle expliqué, les habitants du quartier ne peuvent pas s’aventurer loin pour chercher l’eau à cause du couvre-feu qui commence à 19h ». Pourtant, croit-elle savoir, c’est généralement dans la soirée que la pression de l’eau est forte.

 Sale temps pour les gérants de fontaine.

Il n’y a pas que les consommateurs qui souffrent de cette situation. Par manque d’eau pour satisfaire la clientèle, certains gérants de fontaine ont raccroché. Ils ont rangé raccords et fermés robinets pour aller voir ailleurs. Ousseni Delma tenancier d’une fontaine à Taabtenga a dû abandonner. « Cela fait deux mois que l’eau ne plane pas dans ma fontaine. Qu’est-ce que les gens vont boire », interroge-t-il.

Abdoul Aziz Sawadogo a lui aussi été gérant de fontaine durant trois ans dans ce quartier. Aujourd’hui, il a trouvé mieux à faire. Il a une quincaillerie. Il a révélé que le problème d’eau s’est toujours posé dans ce quartier avec acuité, mais n’a jamais été résolu. « Souvent ce sont des personnes de bonnes volontés qui nous envoient de l’eau avec une citerne », a-t-il révélé. A l’en croire, chez lui à la maison, cela fait trois semaines qu’il n’y a pas d’eau. « Avant-hier, je suis rentré trouver une facture de l’Onea. Chaque mois, je paie mes factures mais il n’y a jamais d’eau.

Mais comment font-ils alors dans ce contexte de propagation rapide du covid-19. « On nous demande d’observer les règles d’hygiène, d’être propres, de se laver à chaque fois les mains. Mais il n’y a pas d’eau. On n’a pas l’eau pour boire, comment on va en avoir pour se laver les mains pour que le coronavirus ne nous attrape pas », s’interroge M. Sawadogo avant de poursuivre, pessimiste : « Avec cette situation de manque d’eau, on ne peut pas échapper à la maladie, sauf si dieu décide de nous en préserver ».  « Regardez comment nos enfants sont sales. Ce n’est pas parce qu’ils ne veulent pas se doucher, c’est parce qu’il n’y a pas d’eau », argumente-t-il.

Selon Ousséni Delma, “cela fait deux mois que l’eau ne plane pas dans ma fontaine”

Cette situation de manque d’eau à Taabtenga indigne évidemment les habitants qui ne comprennent pas ce qui leur arrive, même s’ils ont déjà désigné les coupables de leurs problèmes : « les politiciens viennent nous promettre ciel et terre pendant les campagnes mais sont incapables de nous donner à boire », se désole Aziz Sidbéwendé, un habitant du quartier. “Mais nous les attendons de pieds-fermes. Les campagnes électorales, n’est-ce pas pour bientôt?”

Le chef de l’Etat, dans son adresse à la Nation le jeudi 2 avril 2020, a annoncé des mesures sociales comme la gratuité de l’eau dans les fontaines. Mais dans cette partie de Taabtenga, cette annonce présidentielle tardera à connaitre une effectivité. C’est du moins ce que pense ce gérant de fontaine : « Il n’y a pas d’eau ici. Comment ça peut être gratuit », interroge-t-il avant d’ajouter. « Moi-même, je ne vois pas quel gérant va s’asseoir et servir gratuitement l’eau aux gens. Et lui, comment il va nourrir sa famille » ? Se demande-t-il ?

Aya Ouédraogo

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