Pratique de l’excision au Burkina Faso : La Covid-19 veut remettre en cause les acquis

Malgré l'offensive des 20 dernières années, la pratique de l'excision continue à avoir la peau dure dans certaines localités du pays. Et coronavirus semble y avoir contribué pour cette année

Sensibiliser pour faire prendre conscience des effets néfastes de la pratique de l’excision, plaider pour amener les décideurs politiques à prendre des décisions fortes dans le sens de la lutte contre cette pratique, permettre aux victimes de l’excision de retrouver une vie normale à travers les réparations des séquelles de l’excision… Telles sont entre autre les activités que les acteurs engagés dans cette lutte mènent au quotidien pour stopper cette pratique qui prive des  milliers de femmes de leur droit en matière de reproduction sexuelle. Chaque année, plusieurs activités sont programmées à cet effet. Mais pour cette année 2020, la pandémie de Covid-19 a mis à genoux le monde entier et a affecté presque tous les domaines d’activité. Au Burkina Faso, la lutte contre la pratique de l’excision n’a pas été épargnée.

La Covid a impacté sur l’offre de soins en général quel soit préventive ou curative. La lutte contre les mutilations n’a pas été en reste. Elle a aussi été touchée à tous les maillons de la chaine. Pendant la pandémie, tout le système mis en place pour faire la sensibilisation, la répression, le contrôle, la surveillance était en hibernation, car tout le focus était sur Covid au point que toutes les autres activités souffraient.

Le Centre pour le bien-être des femmes et la prévention des mutilations génitales féminines de l’ONG Voix des femmes en est la preuve vivante. Du moins, à en croire le Coordonnateur de l’ONG, Raphael Zongnaba : « Nous travaillons actuellement dans 60 villages de la région du Centre. Les 60 villages couvrent les six communes rurales. Nous avons six animateurs qui travaillent dans ces six communes rurales, mais avec les mesures de distanciation, de regroupement de plus 50 personnes, le confinement de la ville de Ouagadougou qui avaient été prises, il était impossible de se rendre dans les communes rurales et dans les villages », a-t-il expliqué. En plus, a-t-il poursuit, les villageois même étaient méfiants de ceux qui viennent de Ouagadougou. « Lorsque vous allez pour sensibiliser et que vous dites que vous venez de Ouagadougou, vous devenez une monstruosité, les gens ont peur de vous et ne veulent pas s’approcher. Nous avons à un moment donné grâce aux masques, aux gels hydro alcooliques, essayé de surmonter la difficulté en intégrant dans la sensibilisation, l’aspect Covid. Comme les gens voulaient savoir comment l’éviter, on sensibilisait d’abord sur comment se protéger de la maladie avant d’intégrer les aspects de lutte contre les mutilations féminines ».

Raphael Zongnaba, Coordonnateur de l’ONG Voix des femmes:

La stratégie du porte à porte

Dans le processus, chaque village devait faire une déclaration publique d’abandon des mutilations génitales féminines après une animation de 2-3-4 mois. Mais comme il était impossible de réunir les gens, cette activité n’a pas pu se tenir. « Ça vraiment impacté négativement sur nos activités, mais nous n’avons jamais arrêté de façon nette la sensibilisation. Nous avons essayé de le faire de porte à porte avec les masques », a-t-il souligné précisant au passage que le Centre a même fermé ses portes à un moment donné parce qu’il y avait des cas de Covid.

Le Secrétariat Permanent du Conseil national de lutte contre la pratique de l’excision (SP/CNLPE) n’a pas non plus été épargné par la pandémie. Selon les dires des responsables, le Secrétariat permanent suit au niveau central, la mise en œuvre des activités sur le terrain : la formation, le suivi et les activités de sensibilisation. « Au moment où tout était fin prêt pour lancer les activités, le gouvernement a pris des mesures pour endiguer la maladie. On ne pouvait plus rassembler les gens pour la formation. Nous n’avons pratiquement rien pu faire pendant le premier trimestre. C’est carrément à la fin du deuxième trimestre que nous avons pu mettre en œuvre certaines activités », a confié un des responsables.

Evolution de l’effectif des victimes de mutilations génitales féminines enregistrées au niveau des services famille

Régions 2018 2019
Boucle du Mouhoun 5 11
Cascades 4 0
Centre 47 0
Centre-Est 9 3
Centre-Nord 22 1
Centre-Ouest 1 0
Centre-Sud 10 0
Est 14 0
Hauts-Bassins 20 4
Nord 2 1
Plateau Central 0 10
Sahel 42 0
Sud-Ouest 2 152
Ensemble 178 182

Source : Directions régionales/MFSNFAH/SP-CNLPE

 

Même son de cloche pour l’association Jeunesse action et solidarité en Afrique qui accompagne le SP/CNLPE avec des sensibilisations dans le cadre de la lutte contre l’excision. Selon le président, Hamadou Savadogo, la pandémie est venue mettre un blocage surtout sur le plan économique. A l’en croire, ce qui a été prévu pour les projets a été reversé pour lutter contre cette pandémie. « Pendant la période de la pandémie, on ne pouvait pas se retrouver ensemble pour mener des activités. Mais nous avons créé des groupes wathsap et facebook où nous avons continué à travailler pour envoyer des messages de sensibilisation », a-t-il noté.

Gestion des séquelles de l’excision

Si la pandémie a fortement joué sur les activités de sensibilisation, elle n’a cependant pas impacté les soins liés aux réparations des séquelles de l’excision. La réparation des séquelles de l’excision consiste à corriger une anomalie qui a persisté après la guérison de la plaie provoquée par la pratique de l’excision. La réparation en elle-même porte sur les kystes vulvaires et l’accolement des petites lèvres. « J’ai toujours travaillé normalement pendant cette période de Covid-19 en prenant mes précautions. J’ai continué à faire la réparation des séquelles tous les mercredis et pendant cette période, j’ai opéré sept filles », a souligné le Pr Michel Akotionga qui travaille avec le Centre pour la prise en charge des séquelles de l’excision. Ces interventions consistent également d’après lui, à reperméabiliser le vagin et l’opération doit faire en sorte que l’orifice vaginal admette deux doigts au toucher vaginal.

Le Pr Michel Akotionga, l’un des pionniers dans la réparation des séquelles de l’excision

Le CHU de Bogodogo qui prend également en charge la réparation des séquelles de l’excision a par contre été affectée par la pandémie. Selon le Chef de service de gynécologie obstétrique et médecine de la reproduction, le Pr Charlemagne Ouédraogo, la gestion des séquelles d’excision n’étant pas une activité urgente, était reléguée au second plan par rapport aux activités urgentes. « Les blocs opératoires qui étaient ouverts pour la prise en charge des séquelles de l’excision ont fermé ou ont réduit leurs activités pour se consacrer à ce qui était vital tout de suite mais pas à ce qui était gênant comme les séquelles », a-t-il indiqué.

Revenant sur la campagne de chirurgie réparatrice et intime lancée en mars à l’occasion de la journée internationale de la femme, Pr Ouédraogo précisera : « 90% des femmes inscrites étaient des femmes victimes de l’excision. Nous sommes arrivés à bout mais difficilement parce que l’équipe qui nous épaulait était obligée de repartir en raison de la fermeture des frontières. Aussi, à la fin de la campagne nous n’avons pas pu poursuivre l’activité pour les femmes qui étaient inscrites »

Ainsi, donc, sur 300 femmes qui était programmé, l’équipe du Pr Ouédraogo n’a pu opérer que le tiers durant la campagne. Le reste devait être opéré dans le programme classique par semaine. Mais en raison de la réduction de l’activité du bloc opératoire pour se concentrer qu’à l’aspect urgent, l’équipe ne pouvait plus réparer ces femmes qui en avaient besoin et qui s’étaient inscrites. Heureusement, a rassuré le Pr Ouédraogo, « nous avons repris l’activité, mais à compte-goutte ».

10 cas d’excision notifiés pendant la pandémie

Pendant la pandémie, 10 cas ont été notifiés dont un seul cas avéré à Dano entre le mois de juillet et août selon le SP/CNLPE. Il s’agit d’une fillette de 6 jours dont la mère a été prise, jugée et condamnée à 18 mois de prison avec sursis.

Evolution des indicateurs liés à la pratique de l’excision. 

 

                                          Année

Item

 

 

2018

 

 

2019

Nombre de femmes et de filles victimes d’excision enregistré  

178

 

182

Nombre de filles/femmes ayant bénéficié des réparations suite à des complications/séquelles dues à l’excision  

 

352

 

 

179

Nombre de cas d’excision dénoncés  

19

 

20

Nombre de personnes interpellées  

57

 

149

Nombre de personnes condamnées  

64

 

37

Source : SP-CNLPE/MFSNFAH

 

Inoussa Ouédraogo

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