Procès Sankara : « La moindre erreur de ma part, j’étais la 14ème victime », (Général Gilbert Diendéré)

Le général de brigade Gilbert Diendéré : « On ne peut pas dire que j’ai consolidé le putsch. J’ai fait venir ces éléments de Pô après que le président Sankara et ses camarades aient été tués. Je n’ai pas fait procéder à des arrestations »

Le Général de brigade Gilbert Diendéré est à la barre du Tribunal militaire de Ouagadougou depuis le mardi 9 novembre 2021. Il est poursuivi pour attentat à la sureté de l’Etat, complicité d’assassinat, recel de cadavre et subornation de témoin dans le dossier Thomas Sankara. Il ne reconnait pas sa responsabilité dans les événements du 15 octobre 1987.

Déjà deux jours pleins d’interrogatoire pour le Général de brigade Gilbert Diendéré jugé dans le cadre de l’affaire de l’assassinat du président Thomas Sankara et de ses 12 compagnons. Ce lundi 9 novembre 2021, paré de sa traditionnelle tenue militaire, le chef de corps adjoint du Centre national d’entrainement commando de Pô (CNEC) à l’époque livre sa version des faits. Le 15 octobre 1987, face aux rumeurs qui circulaient, il avait d’initiative organisé une réunion entre les éléments de la sécurité rapprochée du président du Conseil national de la révolution, Thomas Sankara et ceux du capitaine Blaise Compaoré, chef de corps du CNEC et ministre d’Etat en charge de la Justice. Selon Gilbert Diendéré, « la rencontre du matin du 15 octobre 1987 visait à faire en sorte que les rumeurs qui circulaient ne déteignent pas sur la cohésion au sein du corps et des deux sécurités rapprochées. Les éléments de sécurité du président Sankara m’ont dit d’obliger Sankara et Blaise à se retirer à Bobo ou à Dori pour s’entendre. J’ai dit nous avions des ainés qui sont là et qui sont mieux placés que moi pour régler la question. J’étais lieutenant, je ne peux obliger mes deux chefs à aller s’entendre. »

Cette rencontre a pris fin vers 12H-13H. La rencontre terminée, le lieutenant d’alors et chef de bataillon du conseil de l’entente s’est rendu chez lui pour se restaurer avant de revenir au camp pour le sport de masse. Le 15 octobre, c’était un jeudi, et à l’époque les jeudis soirs, c’est jour de sport de masse. C’est étant au terrain de sport qu’il a entendu des tirs. « Je parle des tirs sur les personnes décédées. Ç’a pris cinq minutes. Même en ville, il y avait des tirs sporadiques. Vers la gendarmerie, il y avait des tirs. Au niveau du secrétariat général des Comités de défense de la révolution, il y avait également des tirs. A la base aérienne également. Toute la nuit, il y avait des tirs. A l’intérieur du conseil de l’entente, les tirs ont pris cinq minutes », précise Gilbert Diendéré.

L’accusé dit s’être débrouillé pour aller vers le lieu des tirs pour comprendre ce qui se passait. Et là, il tombe sur le drame : des morts. Il reconnait même le corps du président Sankara. Il était en tenue de sport, précise-t-il. L’accusé dit avoir vu à quelques mètres des lieux, le caporal Nadié N’soni dit 4 Roues. Il lui a demandé ce qui s’est passé. Et ce dernier a rétorqué qu’il était prévu à 20h un complot contre Blaise Compaoré et certains responsables de la révolution. « J’ai appelé le commandant en chef des forces armées populaires, le commandant Jean Baptiste Lingani pour lui rendre compte de ce que je venais de voir. Il m’a dit de prendre des dispositions pour sécuriser le camp », poursuit l’accusé Gilbert Diendéré. Le même jour, il fait venir un renfort de Pô. Les éléments de ce renfort sont arrivés tard dans la nuit vers 22H-23H. Sur ce point également, le général Diendéré dit avoir exécuté des ordres de son chef. « Les éléments sont venus pour renforcer les points sensibles de la ville de Ouagadougou et certains lieux stratégiques », appuie l’accusé.

Pour le parquet militaire, ces actes ont été posés pour consolider le putsch. Mais selon le général de brigade, ce sont des mesures qu’il a prises pour se protéger. « On ne peut pas dire que j’ai consolidé le putsch. J’ai fait venir ces éléments après que le président Sankara et ses camarades aient été tués. Je n’ai pas fait procéder à des arrestations après le 15 octobre 1987. J’ai reçu des instructions de mon chef, le commandant en chef de recevoir certaines personnes et de les interner. C’est ce que j’ai fait. Et quand j’ai été instruit de les libérer, je suis allé ouvrir et les détenus sont sortis », se défend l’accusé.

Ce qui a fait déborder le vase

Gilbert Diendéré explique avoir été surpris par le cours des événements, car pour lui, le danger ne pouvait pas venir de l’intérieur mais de l’extérieur. Interrogé par le parquet militaire et les avocats des familles des victimes, l’accusé explique : « Quand les événements se sont passés, les gens étaient surpris, tétanisés. Même si ceux qui étaient censés réagir (ndlr les éléments de la sécurité du président) ne l’ont pas fait. Certains cherchaient à rejoindre leurs postes, d’autres cherchaient leurs armes. Moi je ne savais plus qui était qui. De toutes les façons, même si je voulais arrêter ceux qui ont tué le président et ses compagnons, pensez-vous qu’ils allaient se laisser faire ? Ce sont des gens qui viennent de tuer le président et 12 personnes. La moindre erreur de ma part, j’étais la 14ème victime du 15 octobre 1987. Et mes avocats allaient s’asseoir avec les avocats des parties civiles ».

Selon toujours Gilbert Diendéré, au matin du 15 octobre 1987, le sous-lieutenant Vincent Sigué s’est rendu à l’Escadron de transport et d’intervention rapide (ETIR) basé à Kamboinsin au nord de Ouagadougou pour se ravitailler en armement et en munitions. C’est ce qui a pu faire déborder le vase, souligne l’officier général. A l’en croire, à l’ETIR, il y avait Hamadou Maiga qui a pu informer son frère Hamidou, chauffeur de Blaise de la prise d’armement par l’officier Sigué. Ce qui a pu accélérer les choses.

Malgré ses arguments, les avocats des parties civiles ne sont pas convaincus. Me Ambroise Farama pense que Gilbert Diendéré a activement participé au coup d’Etat contre le président Sankara. Il n’a pas pris les mesures pour sécuriser et protéger l’enceinte dans laquelle le chef de l’Etat et ses compagnons ont été tués. Il a posé des actes pour consolider le putsch. Même quand il y a les tirs, l’infirmier militaire qui venait pour apporter les premiers soins aux victimes a été empêché d’accéder au site, indique l’avocat.

Selon Me Guy Hervé Kam, tout au long de l’interrogatoire de Gilbert Diendéré et même de l’instruction, « il ne parle et ne dit avoir vu que ceux qui sont morts. Sinon les vivants, il ne les a pas vus sur le terrain », souligne l’avocat. Pour lui, « soit le lieutenant à l’époque Diendéré n’a rien fait pour protéger le président Sankara et ses compagnons soit il était incompétent ou simplement, il a échoué à sa mission de protéger le leader de la révolution », conclue l’avocat. L’accusé soutient le contraire. « J’ai tenté mais je n’ai pas pu. Ce n’est pas de ma faute. L’affaire est partie de la situation délétère qui existait entre les deux sécurités rapprochées », répond l’accusé.

Les avocats du Général de brigade Gilbert Diendéré auront droit à la parole le jeudi 11 novembre 2021 au troisième jour de son interrogatoire. Déjà Me Olivier Yelkouny souligne que les arguments avancés par le parquet militaire et les avocats de la partie civile sont de bonne guerre. « Dans tout procès, chaque partie fait valoir ses arguments et c’est de bonne guerre », martèle-t-il à sa sortie d’audience. Il fait savoir qu’en droit, l’attentat à la sureté de l’Etat tout comme l’assassinat est une infraction de commission et non d’omission. Mais tout au long de l’audience, les gens lui reprochent « de n’avoir pas fait ceci ou cela ». Pour Me Paul Kéré, un autre avocat de Gilbert Diendéré, les infractions ne sont pas constituées. Il ne ressort nulle part de ce dossier que « mon client a utilisé une arme contre une quelconque victime ». L’intervention des conseils du général de brigade est très attendue.

Aya Ouédraogo

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