Bassolma Bazié : Itinéraire d’un combattant
Point de repos pour Bassolma Bazié. Le professeur certifié des lycées et collèges démissionnaire a quitté la tête de la Confédération générale du travail du Burkina (CGT-B) et la fonction publique mais pas le terrain de la lutte. Il vient de lancer une structure ad hoc dénommée Initiative de soutien au peuple malien (ISPM) suite à des sanctions économiques infligées au pays de Soundjata Keita après des désaccords sur le calendrier de la Transition.
Ils n’étaient que deux. Puis arrive une troisième, une quatrième personne, et tout un groupe se forme autour de lui. En cet après-midi du mois de décembre 2021, Bassolma Bazié, positionné sur une chaise dans un quartier au nord de Ouagadougou, a les doigts sur son ordinateur. Il n’oublie pas de répondre au téléphone. Entre l’ordinateur et ses nombreux documents, il se mêle à la causerie. Cet homme est, depuis 2013, au-devant de la scène. Ces journées étaient faites de réunions, d’assemblées générales, de voyages, de conférences publiques et/ou de presse, de visites de courtoisie à des ainés, etc.
Dans le milieu syndical, certains refusent de se prononcer sur l’homme : « Non, ça ne se passe pas comme ça. Je ne peux pas vous répondre. Il y a eu le congrès en fin novembre. Nous avons fait nos observations et nos critiques. Nous ne parlons pas de nos camarades dans la presse. »
Mais pour plusieurs travailleurs, le bilan de Bassolma Bazié à la tête de la centrale syndicale est « très positif. » « C’est un homme de conviction. Il est très engagé, très honnête et ne cache pas ce qu’il pense. J’apprécie son franc-parler. Il a toujours été présent quand des travailleurs ont des problèmes. Au niveau des syndicats du ministère des finances, le ‘’général’’ Bazié nous a beaucoup soutenus pendant nos luttes. Il a toujours été présent. En dehors du cadre syndical, c’est un homme très sociable, serviable, toujours prêt à aider son prochain », confie un travailleur de la fonction publique.
Brillant parcours
Après l’obtention de son baccalauréat en 1995 à Bobo-Dioulasso, Bassolma Bazié est orienté à la Faculté des Sciences exactes et appliquées à l’Université de Ouagadougou, actuelle Université Joseph Ki-Zerbo où il décroche une Licence puis soutient son mémoire de maitrise en 2001 en Géologie et fondamentale et appliquée. Il venait d’intégrer la même année la fonction publique comme professeur certifié des lycées et collèges et affecté au Lycée Diaba Lompo à Fada N’Gourma à l’Est du Burkina Faso. « Les populations de l’Est m’ont adopté », confie le leader syndical. Toujours en 2001, il s’inscrit en Psychologie à l’Université de Ouagadougou où il obtient la maitrise en 2006. Le quinquagénaire qui a hésité entre la profession de sapeur-pompier et d’enseignant, enchaine les formations et les diplômes. En 2012, il soutient un master en Management des relations de travail au campus de Zogona. Dans la foulée, il fait un certificat à l’Université Aix Marseille en France.
Sur le plan syndical, il a gravi les échelons : de secrétaire général du Syndicat national des travailleurs de l’éducation et de la recherche (SYNTER), section du Gourma, il intègre le bureau de la CGT-B en 2006 comme 2è secrétaire général adjoint. Sept ans plus tard, il a été porté à la tête de la CGT-Burkina en remplacement de Tolé Sagnon.
Mandat mouvementé du début à la fin
Quelques mois après son installation, le pays bascule dans des manifestations contre les velléités de modification de la constitution par le régime de Blaise Compaoré. Puis le pouvoir de la transition s’installe après un temps de flottement et de cacophonie. Les rapports entre les syndicats et le nouveau pouvoir vont rapidement se détériorer. 13 jours seulement après le départ de Blaise Compaoré, les nouvelles autorités du pays tentent de refuser l’accès de la place de la Nation pour la commémoration de l’assassinat de Norbert Zongo.
Bassolma Bazié de la CGT-B, Chrysogone Zougmoré du Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP) et leurs camarades du Collectif des organisations démocratiques de masse et de partis politiques (CODMPP) se braquent. Ils rencontrent la presse et disent leur détermination à occuper la place de la Nation. Malgré tout. Les autorités se ravisent. L’autorisation est accordée. En plein meeting, le Premier ministre Isaac Zida, le ministre en charge de la sécurité, le colonel Auguste Denise Barry et la ministre de la Justice, Joséphine Ouédraogo rejoignent les manifestants et promettent même de faire avancer le dossier Norbert Zongo en justice. Le dossier Norbert Zongo a effectivement été ouvert, l’instruction a pris un tournant décisif ces dernières années.
Courant septembre 2015 toujours pendant la Transition, les syndicats du ministère des finances entament un mouvement d’humeur. Les autorités font intervenir la police. Le ministère des finances est assiégé. Le SG de la CGT-B Bassolma Bazié était le président du mois des centrales syndicales du pays. Il demande une audience avec le ministre des Finances d’alors Gustave Sanon. Il est reçu avec certains militants le 16 septembre dans la matinée. Le ministre les quitte pour se rendre au conseil des ministres et promet les revenir après la rencontre hebdomadaire des membres du gouvernement. Ce conseil des ministres sera perturbé des éléments du Régiment de sécurité présidentielle (RSP). C’est le coup d’État. « Nous habitions loin de la ville. Lorsque le ministre nous a indiqué qu’il nous reviendrait après le conseil des ministres, je suis resté au centre-ville avec le secrétaire général du Syndicat national des travailleurs de l’éducation de base (SYNATEB) François de Salle Yameogo qui était le responsable des syndicats autonomes et d’autres camarades. C’est étant là-bas que nous avons appris que le conseil des ministres a été perturbé. Sur le champ, nous avons analysé la situation et nous sommes parvenus à la conclusion qu’il ne s’agit pas d’un mouvement d’humeur du RSP mais d’un coup d’Etat », confie le natif de Koukouldi dans le Sanguié.
Dans la même soirée après des concertations avec « des doyens », le SG de la CGT-B lance le mot d’ordre de grève générale au nom de l’Unité d’action syndicale (UAS). Ce mot d’ordre de grève générale illimitée a été très bien suivi par les travailleurs et a été déterminant dans l’échec du putsch de 2015. Cette grève n’a été levée qu’après la dissolution du Régiment de sécurité présidentielle et une rencontre avec les autorités de la transition rétablie dans leur fonction.
Cet événement a marqué le passage de Bassolma Bazié à la direction de la CGT-B. « Je retiens de son passage à la tête de la CGT-B deux choses. D’abord le jour de sa désignation en 2013 comme SG. Quand il s’est exprimé, j’ai vu en lui, un homme sincère, honnête, déterminé et de conviction qui veut se battre pour les travailleurs et les populations. Et ça il l’a réussi. Le second élément que je retiens, c’est son apport très grand dans l’échec du coup d’État de 2015. Il était à la tête de la résistance. Pour moi, c’était le résistant en chef contre le putsch », souligne un travailleur rencontré le 30 décembre 2021 à Ouagadougou. Malgré ces mots admiratifs, sa carrière dans l’enseignement va prendre une autre tournure entre 2020 et 2021.
Lettres d’explication, conseils de discipline, démission fracassante
A côté de ses activités syndicales, il mène son activité professionnelle avec une conscience professionnelle. En témoigne les notes excellentes à lui attribuer par ses supérieurs du lycée Philippe Zinda Kaboré. Mais à partir de l’année scolaire 2020-2021, les choses se dégradent entre lui et ses supérieurs. Il a reçu plusieurs lettres d’explication avant d’être trainé en conseil de discipline par le ministère de l’Education nationale alors dirigé par le professeur titulaire de Mathématiques, Stanislas Ouaro. Suivi d’une affectation pour nécessité de service à la Direction régionale des enseignements post-primaires et secondaires du centre. Cette affectation est illégale, s’indigne Bassolma Bazié. Il cite plusieurs textes de l’Organisation internationale du Travail ratifiés par le Burkina Faso pour crédibiliser son analyse. Il démissionne alors de la Fonction publique en janvier 2021. Pour lui, un salaire ne doit pas être un motif de chantage. Plusieurs militants digèrent mal sa démission et pense que c’est une erreur tactique et d’analyse.
« Sa réaction suite au conseil de discipline et sa démission fracassante de la fonction publique ne m’ont pas plu. Pour moi, ce n’était pas la meilleure formule. En tant que jeune, on se bat pour le travail, on se bat pour que le travail s’améliore. Est-ce que c’est en démissionnant qu’il donne l’exemple ? Il a peut-être ses raisons. Mais pour moi, il ne devait pas démissionner. C’est comme si il disait aux travailleurs que quand on est réprimé ou on se sent réprimé, la solution, c’est la démission. Pourtant, ça doit être la lutte. Il donne en tant que SG sa position sur les réseaux sociaux sans avoir une concertation préalable avec la base. C’est une autre limite que je vois. Il doit limiter ses interventions sur les réseaux sociaux », commente un jeune travailleur.
Indépendamment de ces critiques, d’autres restent admiratif de l’homme : « Bassolma Bazié a été un secrétaire général qui a réussi à fédérer les énergies, à rassembler beaucoup de syndicats autour de la CGT-B. Durant son mandat, on a remarqué qu’il y a eu beaucoup de syndicats qui ont cherché à intégrer le Collectif syndical CGT-B. Au sein des travailleurs, il jouit d’une certaine confiance et d’une grande popularité. Au niveau de la population, il y a une certaine confiance qu’on fait à Bassolma Bazié parce qu’il a conduit les luttes avec beaucoup d’engagement et de détermination. »
Après sa démission de la fonction publique, Bassolma Bazié s’est engagé sur d’autres fronts. Il est fondateur d’un centre culturel dans le Sanguié et est chargé de cours dans des universités et instituts d’enseignement supérieur de la capitale.