Collectivités territoriales : élections en 2022 ou délégations spéciales ? Deux erreurs historiques à ne pas commettre
Le vote de la loi portant code électoral le 20 décembre 2021 par l’Assemblée nationale relance la question de l’organisation des élections municipales en 2022. Inutile de tourner en rond et d’hésiter : il faut s’abstenir d’organiser ces élections dans le contexte actuel, comme l’a dit l’un de nos éminents sociologues, le Pr Alkassoum MAIGA lors d’un panel organisé sur le sujet. De notre point de vue, il est plus pertinent et moins risqué de prolonger le mandat des élus actuels que d’organiser ces élections ou d’aller vers les délégations spéciales. Dans ce contexte d’insécurité que nous vivons, la situation se dégraderait davantage avec des élections locales qui concernent et qui intéressent directement les populations. La meilleure manière de précipiter la dégradation de la situation sécuritaire aujourd’hui, c’est d’organiser les élections municipales dans certaines communes ou dans certains villages d’une commune ou d’aller vers les délégations spéciales. Organiser ces élections dans la situation présente du pays reviendrait à creuser davantage la fracture sociale dès lors qu’elles ne peuvent pas se tenir dans toutes les communes et dans tous les villages. Cette iniquité entre les communes ou entre les villages doit être évitée si l’on veut donner une chance à la lutte contre l’insécurité. On se rappelle encore les frustrations fort heureusement contenues suite aux élections couplées de novembre 2020 desquelles étaient exclus beaucoup de communes et de villages.
Il ne faut pas craindre de se répéter et d’affirmer qu’aller vers les délégations spéciales reviendrait à priver l’Etat d’un maillon essentiel de la lutte contre l’extrémisme violent. Dans ce contexte de perte de pans entiers du territoire, les élus des collectivités territoriales conservent plus que quiconque des relations avec leur base. Ils ne manquent et ne manqueront jamais de contacts et d’informations susceptibles de contribuer à la lutte contre le fléau. Même décriés, ils gardent des liens qui peuvent être et qui sont mêmes utiles à la République dans le contexte actuel. Les remplacer par une délégation spéciale, c’est consacrer la rupture avec les zones rurales parce que les acteurs de l’administration générale n’ont pas la connaissance du milieu et l’encrage nécessaire pour prendre le relais. Il est vrai que dans bien de localités, les élus locaux comme les préfets ont quitté leur commune/préfecture. Mais soyons réalistes. Un préfet dans les régions du Sahel ou de l’Est ou du Centre-nord…ne peut pas aujourd’hui être en contact avec les populations rurales plus que ou comme les maires qui ont des attaches dans tous les villages de leur commune.
Tenir compte de la dimension culturelle
Il y a une dimension culturelle de la lutte contre l’extrémisme violent qui visiblement n’est pas prise en compte et tout le problème est là. Quand est-ce va-t-on enfin se convaincre de la nécessité d’étudier et de considérer la dimension culturelle dans la lutte contre le phénomène de l’extrémisme violent au Burkina Faso ? Plus nous tardons à mettre en place une équipe composée d’historiens, de sociologues, d’anthropologues, de psychologues et probablement de mathématiciens (qui sont utiles partout où on parle de problème à résoudre) pour comprendre le phénomène, plus nous nous éloignons des réponses adéquates à apporter au fléau. Deux personnes par profil suffisent pour cela. Nous avons la naïveté de soutenir et d’exprimer la nécessité d’une étude sociologique et anthropologique véritable du drame. Si une telle étude était menée, l’on comprendrait mieux pourquoi il ne sied pas aujourd’hui d’organiser les élections municipales et pourquoi les délégations spéciales pourraient aussi produire les effets contraires attendus. Le problème au Burkina Faso, c’est que les aspects les plus élémentaires, les plus évidents mais aussi les plus essentiels sont ignorés dans la lutte contre l’extrémisme violent. Les faits montrent que l’approche militaire telle que menée depuis le début du conflit est contreproductive et aucune approche sociologique du fléau n’est envisagée de façon tangible. Nous faisons face à un phénomène qui a une forte dimension sociologique et anthropologique. L’option militaire elle-même n’aura d’effet que si elle intègre cette dimension du conflit. Il faut donc s’abstenir de prendre des mesures qui renforcent la division des communautés ou qui consacrent à travers les délégations spéciales, une rupture totale ou presque avec les zones rurales, principaux foyers du drame.
Quelle proximité par exemple un préfet d’Aribinda ou de Madjouari peut-il avoir plus que les maires actuels avec les populations de ces communes pour contribuer à la lutte contre l’extrémisme violent ? N’oublions pas que le Burkina Faso a un seul problème de nos jours : l’insécurité. Plus rien d’autre n’est prioritaire dans ce pays en dehors de la sécurité. La paix est le socle sur lequel tout repose : la santé, la gouvernance, l’éducation, la protection de l’environnement…
Si les gens veulent être des Saint-Thomas…
Nous souhaitons conclure en rappelant qu’il est utile que nous soyons tous conscients que dans ce pays, nul ne détient le monopole de la vérité et la panacée contre l’insécurité actuelle. Il y a des certitudes dont il est utile de se débarrasser pour écouter tout le monde et se convaincre que les idées émises par les burkinabè de l’intérieur, ceux dont la voix est à peine audible, peuvent être tout aussi pertinentes que celles de ceux qui conseillent nos princes.
On ne peut pas vivre un tel drame social et ne pas l’interroger comme fléau social afin de lui trouver les réponses les plus appropriées. Tant que nous n’aurons pas une approche sociologique du phénomène, nous ne trouverons jamais la meilleure manière de parler aux différents peuples et cultures du pays. Sans cela, nous ne trouverons jamais les voies et moyens permettant de susciter les apports de chaque sensibilité sociale et culturelle, de mobiliser les communautés dans leurs spécificités contre ce mal qui n’épargne personne. Nous sommes en train de perdre inutilement le temps. Mais bon, si les gens veulent être des Saint-Thomas, organisons les élections de proximité dans certaines communes et laisser d’autres, dans certains villages d’une même commune et laisser d’autres villages ou allons vers les délégations spéciales au lieu de prolonger pour deux ou trois voir quatre ans le mandat des élus actuels. Nous souhaitons nous tromper.
BOUBACAR Elhadji