Corruption : un agent des impôts condamné à 60 millions d’amende

Des billets de banque. Photo d'illustration. (DR)

Le procureur du Faso près le tribunal de grande instance de Ouaga-1 a traduit deux agents des impôts devant le Pool économique et financier du Tribunal de grande instance de Ouaga-1 pour corruption. Il reproche aux agents d’avoir sollicité et obtenu d’un entrepreneur la somme de 30 000 000 francs CFA lors d’une mission de vérification.

Le verdict est tombé ce mardi 15 février 2022 après une heure de délibéré. L’inspecteur des impôts T.B a été mis hors de cause. Son collègue I.O détenu a été reconnu coupable de corruption. Les juges l’ont condamné à 15 mois de prison avec sursis plus une amende de 60 000 000 de francs CFA dont 30 000 000 francs ferme. Il recouvre ainsi sa liberté mais a cinq ans pour se tenir « tranquille». « Sinon les 15 mois avec sursis seront “révoqués » s’il revient devant le tribunal pour des faits similaires. Les réquisitions du procureur du Faso ont été partiellement suivies. Il avait demandé la relaxe de l’inspecteur T.B au bénéfice du doute et la condamnation du contrôleur des impôts I.O à 15 mois d’emprisonnement avec sursis et à une amende de 30 000 000 de francs CFA avec sursis.

Les faits

Les faits remontent à courant juillet 2021. Le procureur du Faso près le Tribunal de grande instance de Ouaga-1 a été informé que dans le cadre d’une mission de vérification de la comptabilité d’une entreprise, des agents des impôts ont perçu 30 000 000 de francs CFA avec un gérant de société. « Nous avons saisi le directeur général des impôts pour demander de sommer ses agents de restituer la somme car sa perception est illégale. Mais I.O  n’a pas vite obtempéré. Il a fallu que le DG intervienne pour que la somme soit restituée au gérant de société. Ce n’est pas le DG des impôts qui nous a livré ses agents mais c’est le parquet qui a eu ses informations et a décidé d’engager des poursuites parce que le remboursement demandé à l’agent n’a pas été fait en temps opportun », débute le procureur. Selon le parquet, cette somme d’argent a été remise à l’effet de voir minorer le montant de l’impôt dû par la société contrôlée. Le cadre des impôts T.B, lui,  n’a pas eu de contact avec l’entrepreneur en question pour demander une quelconque somme d’argent. Ce dernier a simplement été informé par son collègue I.O d’une remise de 30 000 000. Il s’est même inquiété et a instruit  son collègue de rendre compte à la hiérarchie et de restituer la somme. Eu égard à ces éléments factuels, le procureur a  demandé sa relaxe au bénéfice du doute. Il a été suivi.

Abordant la situation du prévenu I.O, le procureur s’est montré favorable à sa culpabilité. « C’est lui qui a pris les 30 000 000. Alors que ce n’est pas dans ses attributions de prendre une telle somme. C’est lui qui a négocié cette somme avec le gérant de société et a encaissé l’argent puis a restitué l’argent. Les éléments matériel et moral sont réunis dans cette affaire. Il était dans une dynamique d’aller rendre compte à son supérieur. Il a eu l’élégance de rembourser la somme à la victime et a demandé pardon. Je vous demande d’être bienveillant à son égard », a constaté le parquet. Il a requis la condamnation du prévenu Issa mais a appelé les juges  à le mettre à l’épreuve en prononçant contre lui une peine de 15 mois et 30 000 000 d’amende, le tout avec sursis.

Alassane est le gérant de la société contrôlée. A l’en croire, les deux agents venaient dans sa société trois à quatre fois par semaine pour les contrôles. « A un moment donné, ils m’ont appelé pour dire qu’il y a beaucoup d’irrégularités et que le redressement sera lourd, environ 180 millions. I.O m’a dit que si je veux un accompagnement, il faut que je trouve quelque chose. Il m’a demandé 50 000 000. J’ai demandé de revoir parce que le montant était trop élevé. I.O m’a dit que si le montant est élevé c’est parce qu’il n’est pas seul. A la dernière minute, il m’a dit que si ce n’est pas 30 000 000, il ne peut rien faire. Trois jours après, il m’a appelé pour dire de trouver l’argent d’ici la fin juillet. J’ai dû vendre un camion pour compléter l’argent pour lui », a relaté le gérant de la société à la barre. L’avocat des prévenus, Me Edouard Bafina Hebié, note qu’il y a des incohérences dans la version de la victime. Alassane reste sur sa ligne : « c’est Issa qui m’a dit de trouver les 30 000 000 avant fin juillet. Sinon moi je ne distribue pas l’argent comme ça. J’ai été obligé de vendre un de mes camions pour compléter la somme d’argent pour lui. »

« Il a agi comme un agent exemplaire »

L’avocat des agents des impôts, Me Edouard Bafina Hébié persiste sur les « incohérences » de la victime.  Selon l’avocat, il n’est pas techniquement possible que dès le début des vérifications, les agents des impôts tendent un tableau de redressement à la victime. Selon l’avocat, son client I.O a bien pris la somme avec la victime mais il n’avait pas l’intention de le détourner. « Quand il a pris l’argent, il a rendu compte à son chef de mission qui lui a dit ‘’ fais attention, rends compte à la hiérarchie et restitues l’argent’’. C’est ce qu’il a fait. S’ils avaient l’intention de commettre un acte de corruption, ils n’allaient pas informer la hiérarchie. C’est pourquoi nous disons qu’il n’y a pas d’intention délictuelle dans cette affaire, pas d’intention coupable. Issa a été de bonne foi, il a agi comme un agent exemplaire. Je vous prie de les renvoyer des fins des poursuites », a développé maitre Hébié.

L’État burkinabè a intervenu dans ce procès. Il estime avoir subi un préjudice moral et réclame 10 000 000 de francs CFA  de dommages et intérêts. « Nous sommes des agents publics. Les prévenus savent qu’ils doivent remplir leurs fonctions avec loyauté, dignité, intégrité et probité. Ce n’est pas normal qu’ils partent se faire payer sur le terrain. L’image de l’Etat a été ternie », a martelé l’Agent judiciaire de l’Etat. Me Edouard Hebié est surpris : « C’est la première fois que j’apprends qu’une personne morale peut subir un préjudice moral. C’est l’apanage des personnes physiques. L’Etat n’a rien démontré sur l’existence de ce préjudice. Je vous demande d’écarter cette demande l’Etat. » Il a été suivi.

Aya Ouédraogo

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