Couvre-feu lié au coronavirus : qui a dit que les burkinabè ne sont pas disciplinés ?
Au troisième jour de l’application de la mesure du couvre-feu dans la capitale burkinabè, les habitants de Ouagadougou semblent avoir compris le message, même s’il y a encore quelques récalcitrants que les forces de sécurité intérieure essaient tant bien que mal de ramener à la raison.
Ouagadougou. 23 mars 2020. Il est 18h 30 sur l’avenue Charles De Gaulle. Dans 30 minute, ce sera l’heure du couvre-feu, instauré par les autorités pour éviter la propagation de la maladie à Coronavirus. A moto, comme à voiture, les usagers roulent à vive allure. Très peu sont ceux qui respectent le feu tricolore. Tout le monde est pressé. La veille, plusieurs personnes auraient été bastonnées par des forces de police pour n’avoir pas respecté les consignes de confinement prévues pour 19h. « Les gens attendent toujours la dernière minute pour rouler à tomber ouvert », nous lance un agent de police, à proximité de la radio nationale, sur l’avenue Charles De Gaulle.
A peine a-t-il fini de parler que deux motocyclistes se percutent. Un homme, la cinquantaine est renversé par, un autre plus jeune. Le bras du premier est fracturé selon un usager de la route qui s’est arrêté pour porter secours aux victimes. Le plus jeune, lui semble bien portant, à part quelques égratignures aux coudes et aux genoux.
Tout de suite, l’on appelle le 18, c’est-à-dire les sapeurs-pompiers. Pas de chance. L’agent au bout de la ligne nous explique que toutes leurs équipes sont en intervention. « Il faut patienter. Dès que se sera possible, nous viendrons à vous. Vous dites que c’est bien sur l’Avenue Charles De Gaulle, non loin de l’Université ? (Ndlr, Joseph Ki Zerbo). C’est noté », nous explique-t-il avant de raccrocher.
Pendant ce temps, le vieil homme couché sur le goudron semble souffrir. Mais sa préoccupation est ailleurs : le couvre-feu. « C’est presque l’heure. Aidez-moi à me lever. Arrêtez un taxi moto, il va m’emmener chez moi. Je ne veux pas avoir affaire aux forces de sécurité », supplie-t-il.
« Laisse tomber, ils vont comprendre, c’est un cas de force majeur. Si vous leur expliquez, ils comprendront, préoccupez-vous plutôt de votre état de santé », tente de rassurer un autre usager de la route qui s’est arrêté pour comprendre ce qui se passe. Malgré l’assurance donnée par plusieurs personnes qui se sont attroupées au lieu de l’accident, le vieil homme ne semble pas rassuré. Il ne demande qu’une seule chose : gagner son domicile avant 19h, l’heure du couvre-feu.
Il aura de la chance, puisqu’il avait réussi à joindre un de ses voisins qui heureusement était à quelques kilomètres du lieu de l’accident. Ce dernier arrive sur les lieux à 10 minutes de l’heure du couvre-feu. Le blessé est embarqué. Sa moto est confiée à un poste de police à quelques mètres de là. « Demain, nous viendrons régler le reste », a-t-il lancé au jeune homme après que ce dernier ait enregistré ses coordonnées.
« Je reconnais que nous avons tapé quelques-uns »
Plus loin de là, à proximité du rond-point des Nations Unies, la police est aux aguets. Il est 19h passé de 15 minutes. Les rues sont presque désertes. Mais quelques rares personnes sont encore dehors. Ils roulent à vive allure. Les policiers les laissent passer. Certains dans leurs véhiculent mettent les feux de détresse. D’autres encore en panne poussent leur engin. Pas de mécaniciens dehors en ces temps de couvre-feu. « Ma plus grande inquiétude, c’était de ne pas tomber en panne. Mais là, ma moto refuse catégoriquement de démarrer », explique-t-il. Mais les forces de l’ordre semblent ne pas s’occuper d’eux. Pas pour l’instant.
Puis arrive 19h 30. C’est apparemment le moment choisi par les policiers pour faire appliquer la loi. Notre reporter qui était en mouvement est sommé de s’arrêter. « Monsieur arrêtez-vous », vocifère-t-il de l’autre bout de la voie. Notre reporter obéit. Le policier s’approche, l’arme en bandoulière. « Bonsoir. Où allez-vous ? Etes-vous informé ou pas du couvre-feu ? Notre reporter présente alors ses documents. Puis le laissez-passer délivré par les autorités compétentes.
« Monsieur le journaliste, c’est vous-même qui nous empêchez de mettre de l’ordre », nous lance-t-il taquin. « Mais comment ça », rétorque notre reporter.
« C’est vous qui irez écrire pour dire que nous, on ne respecte pas les droits de l’homme et qu’on fouette les gens qui ne respectent pas le couvre-feu. Mais est-ce que je vous ai touché ? », indique-t-il.
A l’en croire, au troisième jour de l’application de la mesure, les gens sont globalement disciplinés. « Je reconnais que nous avons dû taper sur quelques-uns. Mais c’était le prix à payer… Sinon, je crois que les burkinabè sont globalement disciplinés quand on prend le temps de bien leur expliquer ».
Effectivement, plusieurs vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux montrent des individus manœuvrés par des agents de sécurité, pour n’avoir pas obéit au mot d’ordre de couvre-feu décrété par le chef de l’Etat.
Mais notre interlocuteur du jour a laissé entendre que la plupart de ceux à qui ils portent mains sont des provocateurs, des indisciplinés qui n’hésitent pas à proférer des injures à leur endroit. « Leur objectif, c’est de défier l’autorité. C’est pourquoi, tout en sensibilisant sur la maladie, nous utilisons souvent le bâton pour raisonner les récalcitrants », explique l’agent de police qui s’empresse d’ajouter : « Comme tout le monde crie au respect des droits de l’homme, nous allons nous y conformer. On ne touchera plus personne ».
A une dizaine de kilomètre du Centre-ville, plus précisément sur l’avenue Wentenga, notre reporter tombe sur un autre accident de la circulation. Heureusement, aucun blessé n’a été signalé. Mais les deux véhicules sont hors d’usage. La police du commissariat de Ouaga 2000 était sur les lieux pour les constats d’usage. « Nous ne sommes pas autorisés à vous parler », souligne un des agents. Toutefois, il a laissé entendre que tous les deux véhicules étaient en vitesse. L’accident se seraient produit aux environs de 18h55, c’est-à-dire à quelques minutes du début du couvre-feu.
Ainsi va Ouagadougou en situation de confinement, où plutôt en période de couvre-feu lié au coronavirus.
Par Inoussa Ouédraogo