Suspension des activités juridictionnelles : Le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) a-t-il outrepassé ses prérogatives ?

Dans cet article, un citoyen du nom de Ousmane Sawadogo, pose le débat de savoir qui du Ministre de la justice ou du président du Conseil supérieur de la magistrature a le droit de suspendre les activités juridictionnelles pour cause de pandémie du COVID-19.

 

« Dans le cadre de la lutte contre la propagation du COVID-19, de nombreuses mesures sont prises tant au plan institutionnel qu’au niveau individuel.  Ces initiatives sont à féliciter et à encourager.  Mais quand (…) certaines structures, et pas des moindres, prennent certaines décisions, on est en droit de se poser certaines questions. Depuis quelques jours en effet, l’on voit circuler une résolution du CSM datée du 23 mars 2020 et signée de son Président et sa secrétaire permanente portant suspension temporaire des activités juridictionnelles pour cause de pandémie de COVID-19. Cette résolution vient en plus d’un communiqué du Ministre de la Justice, Garde des sceaux signé à la même date et ayant le même objet. Alors la question que l’on est en droit de se poser est celle de savoir qui du Garde des sceaux et du CSM est compétent pour prendre une telle décision ? Pour ma part, je pense que dans cette guerre de compétences, c’est le CSM qui a outrepassé ses attributions pour trois raisons principales. Je m’explique :  la loi du 25 août 2015 ne le lui permet pas, la configuration des juridictions ne le lui permet pas non plus et son pouvoir de résolution ne peut le lui permettre.

  1. Le CSM n’est pas compétent pour prendre des mesures de fermeture des juridictions

Aux termes des dispositions de la loi organique n°049-2015/CNT du 25 août 2015 portant organisation, composition, attributions et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, notamment en son article 12 : « Le Conseil supérieur de la magistrature donne son avis sur toute question concernant :

– l’indépendance de la magistrature ;

– la déontologie des magistrats ;

– le fonctionnement de la justice ;

– l’exercice du droit de grâce ;

– l’attribution des distinctions honorifiques donnant lieu à bonification d’échelon ;

– l’attribution de l’honorariat aux magistrats ».

A la lecture de cette disposition, on se rend compte que dans le cadre du fonctionnement de la justice, le CSM se borne à donner son avis sans pouvoir prendre directement de décisions qui impacteraient le fonctionnement des services judiciaires.

Le Président du Conseil supérieur de la magistrature, Jean Kondé
  1. Le CSM n’est pas habilité à prendre des décisions à l’égard de tous les acteurs de la justice.

Sur ce point, il convient de rappeler que le CSM est un organe dont le but essentiel est la gestion de la carrière des magistrats, domaine dans lequel il est habilité à prendre des décisions.  Le service public de la justice étant animé par des acteurs qui n’appartiennent pas tous au corps de la Magistrature, le CSM n’est pas habilité à prendre des décisions qui impactent l’activité de tous les acteurs judiciaires.

  1. Les résolutions du CSM n’ont pas de valeur contraignante en dehors de ses membres.

Certes, l’article 17 de la loi organique n°049-2015/CNT du 25 août 2015 dispose que « Le Conseil supérieur de la magistrature peut prendre des résolutions dans les domaines entrant dans ses attributions. Ces résolutions ont une valeur contraignante ». Cependant, la résolution, par définition et dans l’ordonnancement juridique interne d’un pays, ne peut produire que des effets circonscrits ou qui n’ont pas de caractère réglementaire. Elle ne vaut qu’à l’égard des membres de l’instance qui l’a prise et des personnes qui sont soumises au pouvoir de cette instance.

Dans le cas présent, une résolution du CSM, aussi contraignante soit-elle, ne peut être opposable qu’à un groupe d’acteurs judiciaires donné, à savoir les magistrats. Elle n’est opposable ni au personnel de greffe, ni au personnel de l’administration pénitentiaire, ni aux avocats, ni aux notaires, ni aux huissiers, tous acteurs du fonctionnement des juridictions, ni aux justiciables. Comme on peut le constater aisément, la décision de réaménagement des activités dans les juridictions ne peut valablement être prise par le CSM, sans outrepasser ses attributions.  Une telle décision à notre sens relève de l’autorité centrale, c’est-à-dire du Ministre de la justice garde des Sceaux, en sa qualité de chef du département en charge de l’administration publique de la justice.

 

Ousmane  Sawadogo (Juriste)

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