Lutte contre le terrorisme dans la bande sahélo-saharienne: Quel avenir pour le G 5 Sahel sans Idriss Deby Itno ?

Malgré tous les reproches qu'on peut lui faire, Idriss Déby a su incarner avec pragmatisme son rôle de chef suprême des armées du Tchad.

Malgré tous les reproches qu'on peut lui faire, Idriss Déby a su incarner avec pragmatisme son rôle de chef suprême des armées du Tchad.

Fervent acteur de la lutte antiterroriste, le Maréchal et président tchadien Idriss Deby Itno est l’un des membres fondateurs de la force militaire conjointe G 5 Sahel établie entre cinq pays (Burkina Faso, Mauritanie, Mali, Niger et Tchad) qui totalisent 5 097 338 km². Désigné par ses pairs en février dernier président en exercice de cette force qui peine encore à imprimer sa marque dans le combat transfrontalier contre le terrorisme, il a tiré sa révérence le 20 avril. Il est donc décédé à un moment où les espoirs commençaient à gagner du terrain autour d’une force militaire antiterroriste à compétence transfrontière mais encore chancelante. Avec la disparition du Maréchal Déby, il y a lieu de s’interroger sur l’avenir et de cette force et de la lutte antiterroriste en Afrique au Sud du Sahara.  

 

Fraichement réélu à la faveur de l’élection présidentielle du 11 avril dernier (selon les résultats provisoires publiés le 20 avril) après plus de 30 ans au pouvoir, Idriss Deby Itno n’est plus. L’annonce de son décès a été suivie de la réaction du président du Faso en ces termes : « c’est avec consternation que j’ai appris la mort tragique du président de la République tchadienne ». Celui qui, selon Roch Kaboré, s’est « engagé avec conviction et détermination dans la lutte contre le terrorisme dans le bassin du Lac Tchad et au Sahel » s’est particulièrement illustré tant au sein du G5 Sahel qu’au niveau d’autres cadres de lutte antiterroriste.

Au sommet qui a été l’occasion de création du G 5 Sahel en février 2014, il était présent. A la grande messe consacrée à la signature de la Convention portant création du G 5 Sahel le 19 décembre 2014, Idriss Deby Itno était au rendez-vous. A toutes les instances consacrées à la mobilisation des ressources nécessaires à l’opérationnalisation du G 5 Sahel, il a donné de la voix, à travers notamment des interpellations à l’endroit de ses pairs et des pays développés sur leurs responsabilités dans la mobilisation des ressources financières. A la faveur de la 7è session ordinaire de la Conférence des chefs d’Etat du G5 Sahel le 15 février dernier, il a invité ses quatre homologues (Roch Kaboré du Burkina Faso, Bah N’Daw du Mali, Issoufou Mahamadou du Niger, et Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani de la Mauritanie) à s’atteler à une autonomisation complète de la force conjointe du G5 Sahel en la dotant de moyens financiers et logistiques propres. Séance tenante, il a aussi annoncé le déploiement de 1 200 éléments de l’armée tchadienne dans le ventre mou (zone des trois frontières entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso) de la menace terroriste.

L'armée Tchadienne en dépit de ses insuffisances semble être la mieux aguerrie du G5 Sahel.
L’armée Tchadienne en dépit de ses insuffisances semble être la mieux aguerrie du G5 Sahel.

Mieux que les autres pays, le Tchad a démontré sa capacité à traquer les terroristes

Ce déploiement, initialement annoncé en 2019, répond à la nécessité de mise à la disposition effective et opérationnelle du G 5 Sahel au moins 5 000 hommes à raison de 1 000 hommes par pays membre. En plus d’abriter le QG (quartier général) et l’Académie régionale de police du G 5 Sahel, le Tchad du Maréchal Idriss Deby Itno incarne le leadership nécessaire à l’opérationnalisation du G 5 Sahel. Cette dynamique sera-t-elle maintenue par les actuels dirigeants du Tchad qui vient de perdre brutalement son chef suprême des armées ? A défaut, quel pays pour donner d’espérer encore du G 5 Sahel ? Pour l’heure, il y a lieu de s’inquiéter ; ce, d’autant plus que le Tchad a pertinemment démontré sa capacité à traquer les groupes terroristes soit en singleton ou au sein de cadres organisés avec d’autres pays, comme la Force multinationale mixte (FMM) de stabilisation du Bassin du Lac Tchad. Dans une démarche isolée, s’est inscrite l’opération baptisée en mars 2020 « Colère de Boma » et dirigée par Deby Itno himself. Cette opération, semble-t-il, a permis de neutraliser plus d’un millier de terroristes appartenant au groupe Boko Haram basé au Nigeria et qui mène parfois de meurtrières attaques en territoire tchadien. L’on se rappelle aussi que bien avant, en 2013, le Tchad a participé activement à l’envoi de troupes au Nord du Mali, dans le cadre de l’opération Serval (devenue opération Barkhane), avec pour objectif de lutter contre le groupe terroriste Boko Haram, très implanté dans la région sahélo-saharienne.

Son fils Mahamat Déby Itno marchera-t-il sur les traces de son père dans la lutte acharnée contre le terrorisme dans le Bassin du Lac Tchad ainsi que dans le Sahel?
Son fils Mahamat Déby Itno marchera-t-il sur les traces de son père dans la lutte acharnée contre le terrorisme dans le Bassin du Lac Tchad ainsi que dans le Sahel?

Il faut sauver le Tchad

Le moins que l’on puisse dire, c‘est que le Tchad a fait preuve de volonté, de capacité, et d’engagement concret, plus que les autres pays membres du G 5 Sahel, à combattre le terrorisme international. La Mauritanie, peut-être parce que crainte par les groupes armés, ne connaît pas d’attaques terroristes depuis une dizaine d’années. Elle pourrait s’afficher en puissance salvatrice pour la bande sahélo-saharienne, car les faibles capacités du Burkina dans un contexte de Transition au sommet de l’Etat au Mali, au Niger et au Tchad exposent le G 5 Sahel à la disparition, sinon à la clandestinité. Ce, d’autant plus que la France qui, à travers sa force Barkhane basée dans la capitale tchadienne, appuie depuis plus de huit ans ces pays dans la lutte contre le terrorisme, demande de plus en plus à ces derniers de s’assumer tant politiquement que militairement.

Du seul fait de sa position géographique, le Tchad empêche, ou à tout le moins réduit, la circulation d’armes à feu à partir de la Libye. Cette position stratégique fait dire à certains analystes que l’invasion terroriste du Tchad facilitera la mise de beaucoup de pays africains sous la coupe de groupes terroristes. D’où la nécessité que les nouvelles autorités tchadiennes soient encouragées et soutenues pour une sortie rapide de crise à travers notamment des solutions politiques pragmatiques. Du reste, il y a lieu de sauver le Tchad en l’aidant à se stabiliser, mais aussi d’opérationnaliser conséquemment le G 5 Sahel, pour espérer des lendemains sécuritaires meilleurs dans la bande sahélo-saharienne presque quotidiennement talonnée par des groupes armés très actifs dans des trafics d’armes, de drogues et même d’êtres humains. Au-delà, le G 5 Sahel gagnerait à s’adosser au Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, au lieu de continuer à croire que son salut ne se trouve que dans son placement sous le chapitre VII de la Charte de l’ONU quoique cette couverture onusienne soit gage de financements pérennes et de meilleure attention de la communauté internationale.

 

Elie Paré

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