Pr Djibrihina Ouédraogo, agrégé de Droit public : “Ne pas aller voter, c’est voter pour les gouvernants en place”.  

Jeune universitaire, agrégé de Droit public de l’Université Thomas Sankara, ex-Ouaga 2, le Professeur Djibrihina Ouédraogo a soutenu sa thèse de doctorat le vendredi 29 novembre 2013. Spécialiste des finances publiques, constitutionnalistes, enfin publiciste pour faire court et simple, l’enseignant d’Université répond sans détours aux questions de Bendré. Les élections de novembre 2020, leur régularité, les bisbilles au CAMES, la maladie des 3è mandats en Afrique de l’Ouest et l’attitude du juge constitutionnel burkinabè sont autant de questions abordées avec le Pr Djibrihina Ouédraogo. Interview.

 

BENDRE: Vous êtes le jeune frère du ministre de la Fonction publique, Seini Ouedraogo, lui également professeur titulaire de Droit public… C’est comme une famille de juristes, d’agrégés de droit public.

Djibrihina Ouédraogo:  Vous aurez remarqué que je n’aime pas trop être présenté comme le petit frère du ministre.  Dans un environnement comme le nôtre, cela peut amener certains à faire des allusions qui seraient pourtant injustifiées. On sait aussi les dérives que cela peut entrainer de se revendiquer « frère de… ». Au lendemain de sa nomination comme ministre, certains collègues n’ont pas hésité à m’appeler « petit ministre ». Je m’y suis opposé avec véhémence. Je fais tout, du reste, pour ne pas gêner ou influencer l’exercice de ses fonctions ministérielles !  Je devrais même vous faire la confidence qu’il a fallu pratiquement deux ans pour que mes voisins au quartier sachent que j’ai un frère ministre ! J’ai certainement eu une grande chance d’avoir le professeur Séni Ouedraogo comme grand frère parce qu’il a pratiquement guidé mes pas depuis l’école primaire. Il était donc facile de trouver la voie quand vous avez des grands frères de sa trempe. Je lui dois beaucoup si je suis juriste aujourd’hui parce que mon parcours au lycée ne m’y prédisposait pas. Pour avoir eu un Bac D avec une mention, on pouvait penser que j’étais destiné à faire l’économie, la médecine, les sciences naturelles…Mais, lui a vu que je pouvais bien réussir en droit. A l’arrivée, on peut dire qu’il ne s’est pas trompé. Cela dit, même si nous sommes nombreux, il n’y a pas que des juristes dans la famille.

 

Nos Universités publiques ne se portent pas bien au Burkina Faso avec des années de retard, dites-nous c’est quoi le problème ?

 

Quand vous parlez des universités qui ne se portent pas bien, c’est le lieu aussi de dire qu’en dépit de tout cela, l’université burkinabè forme bien. En effet, tout comme les professeurs Augustin LOADA, Abdoulaye SOMA, Dominique KABRE, Souleymane TOE et Seni OUEDRAOGO, je suis un pur produit de l’Université de Ouaga. J’ai obtenu ma maitrise ici en 2008 avant d’être reçu à une bourse d’excellence de l’Union européenne qui m’a permis de faire le master II en France. Après quoi, j’en ai profité pour faire le doctorat avant de rentrer.  Les problèmes de l’université sont à plusieurs dimensions, ce qui fait que les responsabilités sont partagées. On peut indexer le manque de volonté et de vision des politiques, comme on le fait systématiquement, mais il serait injuste de ne pas indexer la responsabilité aussi bien des étudiants que des enseignants surtout dans un contexte aussi exigeant que celui du LMD. Il faudrait que certains collègues pensent à remplir convenablement leurs charges ; il est clair que les retards seront toujours accusés quand des collègues se font programmer sans venir en amphi ou qu’ils ne remettent pas les copies d’examen afin que les délibérations aient lieu dans les meilleurs délais. Cela demeure une attitude inconséquente. J’ai parlé des universités burkinabè qui forment bien. Mais, il faut prendre garde parce que là également on peut déplorer le fait que certains collègues ne donnent pas le meilleur d’eux-mêmes pendant les cours alors que certains évaluent les étudiants au rabais, pour avoir en quelque sorte, une bonne presse auprès de ces derniers. Par ailleurs, les étudiants doivent apprendre à lutter pour des causes nobles : des causes qui sont liées à la qualité de la formation et à leurs parcours. On peut être choqué quand les étudiants décident de la suspension des cours pour des motifs autres qu’académiques. Pour ne citer qu’un exemple, qui paraît assez illustratif de mon propos et qui vous fera certainement rire, quand nous étions au collège, un élève lors d’un meeting avait proposé de « faire grève » parce que dans la localité où on se trouvait, il n’y avait plus de signal de la télé depuis une semaine. Surpris, le délégué devait lui répondre : « camarade, camarade…ne nous trompons pas de combat ; que diraient nos parents s’ils apprenaient qu’on refuse de faire cours parce qu’on ne peut plus regarder la télé » ! (Rire)…

 

Dans deux mois, les Burkinabè seront appelés aux urnes. Une élection dans une situation particulière puisque des parties du territoire ne seront pas couvertes. Ces élections seront-elles juridiquement ou constitutionnellement valables?

 

Il est vrai que l’article 33 de la Constitution pose le principe suivant lequel le suffrage direct est universel. Ce qui suppose que tous les Burkinabè en âge de voter, lorsqu’ils ne sont pas privés de leur droit civique en raison des exigences posées par le code électoral, doivent pouvoir participer au scrutin pour la désignation aussi bien du président du Faso que des députés. Comme vous l’avez dit, ces élections se déroulent dans une circonstance particulière qui fait qu’il est pratiquement impossible de les organiser sur une bonne partie du territoire. Dans ces conditions, les élections ne pourront pas respecter les exigences d’universalité posée par l’article 33 de la Constitution. Cette circonstance a expliqué la dernière révision du code électoral qui prend en compte cette nouvelle donne.  Si le droit doit être appliqué avec rigueur en vertu de l’adage « dura lex sed lex », autrement dit « la loi est dure mais c’est la loi », il reste que celui-ci ne peut plus s’appliquer mécaniquement dans toute sa rigueur en cas de circonstances dites exceptionnelles. Dans ce sens, deux adages sont suffisamment éloquents, à savoir « nécessité fait loi » ou « nécessité n’a point de loi » ! La circonstance exceptionnelle est définie par la jurisprudence administrative comme une situation qui sort de l’ordinaire. Dans ce cas, le juge n’applique le droit que dans la mesure où il permet, en quelque sorte, d’assurer la continuité des services publics, et partant la continuité de la vie nationale qui est au demeurant une exigence constitutionnelle. Cette exigence de continuité de la vie nationale transparaît à l’article 36, alinéa 5 de la Constitution qui pose que « le président du Faso est garant… de la permanence et de la continuité de l’Etat ». D’ailleurs, c’est pour assurer cette permanence et cette continuité de l’État que la Constitution donne au président du Faso, à travers notamment l’article 59 de la Constitution, la prérogative d’exercer ce qu’on appelle les pleins pouvoirs ou les pouvoirs de crise.  S’il est donc permis un raisonnement par analogie, les circonstances, que vous avez qualifiées de particulières, font que l’exigence d’universalité du suffrage posée par la Constitution ne peut être appliquée dans toute sa rigueur. Mais, il reste à savoir si la situation sécuritaire peut justifier une circonstance particulière reconnue par le droit. C’est dans ce sens qu’est intervenue la dernière révision du code électoral qui permet au président du Faso, compte tenu du rapport circonstancié effectué par la CENI,  de saisir le Conseil constitutionnel pour constater l’existence d’une circonstance exceptionnelle ou de force majeure justifiant de tenir et de valider le scrutin sur les seules parties du territoire encore sous contrôle de nos forces de défense et de sécurité. Autrement dit, il revient au Conseil constitutionnel de donner la réponse authentique à la question que vous avez posé, à savoir si les élections arrivant sont juridiquement ou constitutionnellement valables. On peut déjà deviner la réponse du Conseil constitutionnel !

N’était-il pas sage de reporter tout simplement ces élections?

J’ai envie de renverser la question : la sagesse ne commandait-elle pas de tenir ces élections à bonne date ? Certes, on peut penser qu’un report des élections était indiqué le temps que l’on mobilise nos forces pour repousser l’ennemi terroriste et libérer les parties du territoire occupées. Mais, la question du report est vite apparue comme un tabou ! Vous vous rappellerez toute la controverse qu’il y a eu ces quatre derniers mois lorsqu’à la crise sécuritaire est venue se rajouter une crise sanitaire alors que la première crise a elle-même engendré une crise humanitaire. Il s’est même posé la question de la légalité pour ne pas dire de la constitutionnalité d’un éventuel report des élections présidentielles étant donné que la Constitution est muette à ce sujet. Dans ces conditions, il fallait bien choisir : avoir des élections maintenant mais avec une légalité écornée étant entendu qu’une partie du territoire ne vote pas ou reporter les élections dans la plus grande inconnue puisque personne ne sait quand on arrivera à bout de la menace terroriste. s ces conditions, En droit comparé, on remarquera qu’au Mali, après avoir cautionné le report à deux reprises des élections législatives au motif que le principe de l’universalité du suffrage ne serait pas respecté en raison de l’occupation de certaines parties du territoire par les terroristes, la Cour constitutionnelle malienne s’est finalement ravisée pour que soient tenues les élections législatives qui ont, semble-t-il, sonné le glas du régime récemment déchu du président Ibrahim Boubacar Keita. Il est permis aussi de se demander si un report du scrutin n’aurait pas conduit à reconnaître une forme de victoire du terrorisme puisqu’en définitive l’objectif des groupes terroristes est de déstabiliser les institutions démocratiques. Il est vrai aussi qu’à l’inverse exclure une bonne partie des citoyens de la possibilité d’exercer le droit de voter, c’est aussi donner du pain béni à ces groupes terroristes. En effet, ceux-ci ont comme stratégie de ralliement des populations de leur faire entendre et accepter qu’elles sont les laissés pour compte de la Nation. En tout état de cause, comme la sagesse le commande « entre deux maux, il faut choisir le moindre ». Il semble bien que tenir les élections à bonne date soit moins problématique que leurs reports.

 

On ne sent pas trop le Conseil constitutionnel. Si ce n’est en période électorale. Le juge constitutionnel burkinabè a-t-il peur ou a les mains trop liées au politique ?

 

Vous posez là une question intéressante qui taraude également les constitutionnalistes. En effet, si le Conseil est le juge des élections nationales (législatives et présidentielles), il a des compétences qui vont bien au-delà. En tant que gardien de la Constitution, il est normalement le garant de l’État de droit. Or, il faut bien le dire, on attend de notre Conseil constitutionnel une meilleure efficacité dans l’exercice de son office. On peut remarquer qu’ailleurs le juge constitutionnel s’érige en maillon incontournable de l’État de droit. C’est notamment le cas au Bénin et au Niger. Comment expliquer ce relatif effacement de notre Conseil constitutionnel ?

Une première raison qui est extérieure au Conseil constitutionnel s’explique par le fait que ce dernier est rarement saisi pour opérer le contrôle de constitutionnalité des lois. Pourtant, le droit de saisine est relativement ouvert. En effet, outre le président du Faso, le Premier ministre et le président de l’Assemblée nationale, la Constitution en son article 157, alinéa 1 permet à un dixième (1/10ème) au moins des députés de saisir le Conseil constitutionnel pour statuer sur la constitutionnalité des lois. En réalité, la responsabilité de cette rareté de saisine du Conseil constitutionnel incombe à l’opposition. De fait, dire que un dixième (1/10ème)  des députés a le droit de saisir le Conseil constitutionnel, cela revient à dire que 13 députés (sur les 127 députés que comptent l’Assemblée nationale) peuvent valablement, par une requête commune, saisir le Conseil constitutionnel. Alors que la saisine du Conseil constitutionnel aurait pu être une dernière occasion pour les députés de l’opposition de contester les lois votées par la majorité à l’Assemblée nationale, il faut malheureusement constater le manque d’enthousiasme de ces derniers. S’il est salutaire de tenir hebdomadairement des conférences de presse au CFOP, il est important de rappeler à l’opposition que l’État de droit ne peut véritablement se construire et se consolider que si le juge constitutionnellement est régulièrement saisi pour s’assurer que les lois votées au Parlement sont conformes aux exigences constitutionnelles, ne sont pas iniques et ne remettent pas en cause les droits fondamentaux.

Une deuxième raison qui est propre au Conseil constitutionnel lui-même s’explique par le fait que celui-ci a une attitude trop prudente. Les constitutionnalistes diraient qu’il manque encore d’audace. Et pour cause, il y a un excès de formalisme chez le Conseil constitutionnel. Ce qui fait que nombre de décisions rendues par le Conseil constitutionnel en matière de contrôle de constitutionnalité des lois sont contestables. C’est ainsi que l’année dernière le Conseil constitutionnel par une interprétation assez réductrice de l’article 157, alinéa 2 de la Constitution à écarter la possibilité pour tout citoyen de le saisir directement avant la promulgation d’une loi. Autrement dit, contrairement à ce que pourrait laisser entendre le libellé de cet alinéa 2 de l’article 157 de la Constitution, le Conseil constitutionnel n’accepte les recours des citoyens que lorsqu’ils sont dirigés contre une loi déjà promulguée et dans le cadre d’une affaire en justice. En rappel, l’article 157, alinéa 2 dispose : « En outre, tout citoyen peut saisir le Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui le concerne devant une juridiction… ». Il est possible de multiplier les exemples à l’envie pour montrer que le Conseil constitutionnel a manqué de nombreuses occasions pour se mettre sous le feu des projecteurs et partant de s’ériger en véritable gardien de la suprématie de la Constitution. Je n’irai pas jusqu’à dire que le Conseil constitutionnel a les mains trop liées au politique mais il est clair, pour reprendre le propos d’un collègue français, que le Conseil constitutionnel burkinabè n’a pas encore atteint l’âge de l’ingratitude !

 

Au Burkina Faso, le taux de non-participation, d’abstention aux élections est très élevé. Pourquoi une telle désaffection du public vis-à-vis des élections comme mode de désignation des dirigeants ?

 

Il faut préciser d’abord que cette désaffection n’est pas propre au Burkina Faso et concerne même les pays souvent qualifiés de grande démocratie. Cette désaffection remarquée explique que, dans certains pays comme la Belgique ou le Brésil, le vote est obligatoire et le citoyen qui n’accomplit pas son devoir de vote s’expose à des sanctions. D’une manière générale, les spécialistes de la science politique expliquent cette désaffection par plusieurs raisons. Premièrement, la désaffection s’explique par une crise de confiance entre gouvernants et gouvernés. Le citoyen n’a pas le sentiment de changement malgré les gouvernements qui se succèdent. On dit dans notre jargon quotidien que les politiciens sont tous les mêmes. Deuxièmement, le citoyen ne se reconnaît pas dans l’offre politique. Paradoxalement, malgré la multiplication des partis politiques, le citoyen ne semble pas trouver son compte. Au surplus, les alliances qui se nouent entre partis politiques se font au détriment de ses intérêts. C’est le cas lorsque pour des raisons de stratégies politiques un parti se coalise avec un parti qui défend une idéologie qui se trouve aux antipodes de la sienne. Le citoyen a alors le sentiment d’avoir été trahi. Troisièmement, il faut souligner encore le manque de culture démocratique. Bien souvent encore le bien-fondé des élections n’est pas compris. Le citoyen a l’impression que son vote n’est pas décisif et que les jeux sont joués à l’avance. C’est une erreur ! Cette attitude a été dommageable au Premier ministre français, Lionnel JOSPIN. Alors que celui-ci avait une cote de popularité incontestable, la plupart de ses partisans ont cru bon d’attendre le second tour pour aller voter tant ils estimaient que celui-ci irait au second tour. Ils ont vite fait d’oublier qu’il faut voter d’abord le premier tour pour qualifier son favori au second tour. Ils ont donc eu tort de croire que les jeux étaient joués d’avance. Le désastre a été tel que JOSPIN, désabusé comme on peut le comprendre, s’est juré de ne plus faire la politique. Donc, il faut arriver à montrer à chaque Burkinabè que son vote est bien décisif. La responsabilité sur ce plan incombe également aux partis politiques notamment ceux de l’opposition. Je pense pour ma part que le combat tout de suite n’était pas de rendre effectif le vote des Burkinabè de l’étranger, mais surtout de convaincre ces quelques six (6) millions de Burkinabè qui préfèrent rester à la maison que de se donner la peine de fréquenter un bureau de vote le jour des élections. En tout état de cause, il faut que le citoyen réalise que le vote est l’occasion pour lui de sanctionner ou de renouveler sa confiance aux dirigeants en place. En votant, il leur signifie sa désapprobation ou son adhésion aux politiques qui ont été menées depuis les dernières élections. Le vote est donc un moyen d’engager la responsabilité des gouvernants. Il faut bien garder à l’esprit ce propos du philosophe et politicien français, Roger Garaudy, « celui qui refuse de voter, choisit en réalité le maintien du cours régnant ». Autrement dit, ne pas aller voter, c’est voter pour les gouvernants en place.

 

La Côte d’Ivoire, un pays que vous connaissez bien, est aux bords d’une crise depuis que le président sortant Alassane Ouattara a décidé de briguer un 3è mandat. C’est aussi le cas en Guinée où votre collègue professeur de droit Alpha Condé n’entend pas se reposer. Pourquoi c’est en Afrique que ces débats sur des histoires de 3è mandat et d’alternance se posent le plus? La démocratie est-elle trop précieuse pour les États africains?

 

Que dire de l’éternelle et lancinante question du troisième mandat d’autant que le Pr. Augustin Loada a mené une belle étude sur la limitation des mandats que vous trouverez sur internet dans la revue électronique Afrilex. La récurrence de cette problématique est la preuve que, d’une manière générale, la culture de l’alternance a du mal à s’enraciner dans la plupart des pays africains. Je pense que l’approche que les Africains ont du pouvoir joue beaucoup sur la personnalité de nos dirigeants. Je regardais en début de semaine une vidéo sur YouTube sur les origines de la crise en Côte d’Ivoire. Il y avait le général Gueï Robert qui affirmait au lendemain du fameux coup d’État de Noël (24 décembre 1999) que contrairement à ce qu’on observe dans la sous-région, il vient pour assurer une transition et ne conservera pas le pouvoir. La suite, on la connaît ! Le président Ouattara avait également fait le même engagement. Il semblait avoir donné l’impression de le respecter mais le décès de son Premier ministre est venu montrer que l’engagement n’était pas si ferme que cela ou que c’était un engagement malgré lui. Il est donc évident que la culture de l’alternance a du mal à être accepté par les acteurs. Pourquoi ? Parce que les Africains entretiennent le culte de la divinité. Quand vous êtes chef, tout le monde se plie sous vos pieds, vous êtes si vénérés que finalement vous n’imaginez pas un seul instant pouvoir vivre sans les honneurs. Certes, il faut honorer et respecter l’autorité, mais je crois qu’on en fait un peu trop en Afrique. Regardez à une échelle plus basse comment les députés tiennent à leur titre d’honorable. C’est dire qu’il faut arriver à briser cette culture de la divinisation du pouvoir en Afrique sans quoi il ne faut pas s’étonner que l’alternance ait encore de beaux jours pour entrer dans les mœurs. A un moment donné, les textes ne peuvent pas tout ! Il faut aussi de l’humilité. Le premier président américain, Georges Washington, a cru bon de ne pas aller au-delà de deux mandats alors que le principe de la limitation ne figurait pas dans la Constitution américaine. Malheureusement, il faut regretter l’instrumentalisation du peuple qui, par manque de culture démocratique, ne comprend pas trop bien les enjeux de l’alternance en démocratie. C’est le président français, François Mitterrand, qui aimait à dire que l’alternance est l’oxygène de la démocratie. Il ne faut pas s’y tromper car il faut bien admettre que le pouvoir absolu corrompt absolument !

Quelles sont les matières que vous dispensez à l’Université  Thomas Sankara?  

J’enseigne diverses matières notamment les finances publiques en Licence 2, le droit des contrats administratifs en Master 1 et la théorie générale de l’État en master II. En plus de ces cours, j’anime et dirige les séminaires de droit constitutionnel et de droit communautaire en Master II. Par ailleurs, j’assure la coordination des travaux dirigés de droit constitutionnel en Licence 1. Cette dernière responsabilité consiste, pour l’essentiel, à préparer les fiches d’exercice pour permettre aux étudiants d’approfondir, en effectif réduit avec l’accompagnement d’un moniteur, les thématiques essentielles qui ont été abordées lors du cours magistral en amphithéâtre.

 

Sur quelle thématique précise avez-vous travaillé au cours de vos études doctorales? Quels ont été les résultats de vos recherches ?

J’ai effectué mes recherches doctorales dans la discipline des finances publiques. Précisément mon sujet de recherche à porter sur « l’autonomisation des juridictions financières dans l’espace UEMOA : étude sur l’évolution des Cours des comptes ». Cette thèse avait pour ambition de faire un bilan de la création des Cours des comptes dans les différents pays membres de l’UEMOA. En effet, s’étant rendu compte du dysfonctionnement du système de contrôle des finances publiques dans les États membres, l’UEMOA a cru bon d’imposer une réforme du système de contrôle juridictionnel des finances publiques. Ainsi, dès sa création en 1994 et à l’article 68 du traité de Dakar, l’UEMOA oblige les États membres à mettre en place des Cours des comptes dites autonomes. Cette obligation, imposée par l’UEMOA, part du principe que le système mis en place au lendemain des indépendances dans les pays membres n’a pas fonctionné ou quand ç’a été le cas a manqué d’efficacité. En effet, le contrôle juridictionnel des finances publiques relevait de la compétence de la chambre des comptes intégrée à la Cour suprême. A l’intérieur de cette Cour suprême, la chambre des comptes était laissée pour compte. Celle-ci était délaissée au profit des trois autres chambres qui composaient la Cour suprême, à savoir la chambre constitutionnelle, la chambre administrative et la chambre judiciaire. La situation était telle que le professeur Salif Yonaba pouvait écrire dans les années 90 que la chambre des comptes fonctionnait avec un effectif squelettique puisque le nombre de ses membres tournait autour de trois (3) magistrats dans le meilleur des cas. Dès lors, l’UEMOA a pensé que pour dynamiser le contrôle juridictionnel des finances publiques, il fallait obliger les États à créer des Cours des comptes autonomes ; c’est-à-dire qu’il fallait rompre avec le principe d’une chambre intégrée à la Cour suprême. Autrement dit, la Cour des comptes devait présenter les attributs essentiels d’un organe juridictionnel suprême indépendant et disposant d’une autonomie financière et de gestion. Partant de ce postulat, la problématique de la thèse était de rechercher si la création de Cours des comptes dans les pays qui ont adhéré à la reforme a permis d’atteindre une efficacité du contrôle des finances publiques. Les recherches ont abouti au constat d’un bilan plutôt mitigé. Si on peut se satisfaire d’une évolution au plan institutionnel, au niveau fonctionnel, des efforts restent encore à faire. Certes, la Cour des comptes s’affirme comme une autorité de contrôle dans les États membres, mais elle connaît encore de nombreuses difficultés qui font qu’elle n’arrive pas à couvrir le champ de ses vastes missions. A l’arrivée, on peut dire que les Cours des comptes n’ont pas encore gagné leurs lettres de noblesse !

 

Le passage de grade au CAMES est sujet à polémique. Certains enseignants se sont érigés contre des comportements qui s’apparentent selon eux à de l’injustice et à ou à du favoritisme au sein du CAMES. Avez-vous constaté ces manquements à l’éthique et à la déontologie?  

 Il faut d’abord situer le bien-fondé de l’existence du CAMES. Ses pères fondateurs y ont vu un moyen non seulement de garantir l’excellence dans l’enseignement universitaire, et donc d’avoir des enseignants de qualité internationalement reconnue ; mais encore, un moyen de favoriser la symbiose entre les universités africaines.

Sur la question, je dirais que comme dans toute organisation humaine, le CAMES n’est pas à l’abri de dérives dues essentiellement à la faiblesse et aux passions de la nature humaine ; c’est d’ailleurs pour cela qu’il existe un code de déontologie et d’éthique qui permet d’éviter et de sanctionner les écarts de conduite. Mais, il faut dire que les modalités d’évaluation des dossiers sont telles qu’il est difficile de faire du tort ou de favoriser un candidat. Les candidats sont évalués sur la base de leurs qualités scientifiques intrinsèques de sorte qu’on peut remarquer que ceux qui sont admis  à passer les différents grades présentent le minimum des aptitudes requises. Admettriez-vous aujourd’hui que l’on dise que les candidats échoués au Bac l’ont été par la faute de certains membres du jury ? Cette bagarre est bien dommage parce qu’elle tend à jeter un discrédit sur cette noble institution. En tous les cas, l’attitude de quelques hommes ne doit pas conduire à jeter l’opprobre sur toute l’institution. Ainsi que le disais le sage Amadou Hampaté Bâ, « la généralisation quelle que soit sa forme ne saurait être le reflet de la réalité » !

 

Interview réalisée par Aya Ouédraogo

 

 

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