Procès Sankara : Les révélations du témoin Serge Théophile Balima

Le prof Serge Théophile Balima : « La vie terrestre n’intéressait pas le président Sankara. Il vivait dans la pureté »

L’universitaire à la retraite, Serge Théophile Balima a fait sa déposition devant le Tribunal militaire de Ouagadougou le mercredi 1er décembre 2021. Il a été cité comme témoin dans le procès de l’assassinat du président du Conseil national de la révolution (CNR) Thomas Sankara et de ses 12 compagnons le 15 octobre 1987.

L’enseignant en journalisme Serge Théophile Balima était le responsable chargé de la presse internationale à la Présidence du Faso sous le Conseil national de la révolution (CNR). Il a été  l’un des derniers à avoir vu le président Sankara avant qu’il ne bouge pour son ultime réunion au conseil de l’entente. Selon le prof des Sciences de l’information et de la communication, le 15 octobre 1987, il s’est rendu à la présidence du Faso à 15h. « Ce que j’ai constaté, c’est le caractère désertique des lieux. Il n’y avait presque personne. Le service de sécurité du président était quasi absent. A 16h moins cinq, le président Sankara m’a appelé. Je suis allé le voir dans son bureau. Il y avait seulement son chauffeur Der Somda. Le président m’avait demandé de faire un commentaire sur un article qui avait été publié par un journal privé sénégalais. Et j’avais dit que l’article était sans objet et ne méritait pas de commentaire. Le président m’a instruit d’envoyer un télex aux autorités sénégalaises pour annoncer qu’une mission du Burkina Faso allait venir remettre une lettre de protestation suite à cet article de presse. Je lui ai dit que c’est un journal privé. Donc les autorités ne sont pas responsables de ce qui a été écrit. Le camarade président m’a dit que si le journal parait au Sénégal, c’est que les autorités toléraient ce qui était écrit. Il m’a instruit d’envoyer le télex. Et qu’il veut voir une copie du télex envoyée à son retour », débute Serge Théophile Balima.

« Sankara, tu es où ? Sauves-toi. Ils vont te tuer »

Selon l’ancien responsable en charge de la presse internationale à la Présidence du Faso, lors de l’entrevue, le président a reçu deux coups de fil. « Le premier c’était la voix d’une dame. ‘’Elle disait Sankara, tu es où ? Sauves-toi. Ils vont te tuer’’. J’ai supposé que c’était l’épouse du président ou une de ses sœurs ou une connaissance de sa famille. Ensuite Alouna Traoré l’a appelé et a dit que tout le monde était là pour la réunion. Le camarade président m’a dit d’envoyer le télex, qu’il va à une réunion au conseil de l’entente et revient dans une heure. Dès que le président a bougé, j’ai entendu un coup de feu. C’était comme un tir en l’air. Pour moi, c’était une alerte pour dire que le président venait de bouger. Puis quelques minutes après, j’ai entendu des tirs nourris en provenance du conseil de l’entente, en tout cas c’était vers le ministère de l’économie. J’ai dit à mon collègue qu’il faut qu’on sorte. On a marché pour sortir les mains en l’air. On regardait de gauche à droite. On a vu des militaires couverts de poussière. Ils étaient couchés mais lourdement armés. Pour moi, ce n’était pas des militaires de Ouagadougou », révèle le témoin Serge Théophile Balima.

Blaise Compaoré et Thomas Sankara, les contraires

Plus de peur que de mal. Il se met en route pour son domicile. Une fois à la maison, il apprend avec son épouse que des militaires avaient fait passer des messages pour dire aux civils d’éviter la présidence ou le conseil de l’entente dans l’après-midi du 15 octobre 1987. « J’ai eu une sacrée chance. Mais si c’était à la présidence, on allait faire une économie de morts parce qu’on était que quelques personnes. Un mois avant les événements, nous étions apeurés parce qu’il y avait des tracts orduriers. Certains tracts descendaient en bas de la ceinture. J’ai dû demander un congé parce que c’était insupportable. Les rumeurs étaient folles. Mais le président Sankara disait qu’il n’y avait rien, que Blaise et lui sont plus que des frères. Nous avons cru que les tracts et les rumeurs étaient l’œuvre de groupuscules politiques anarchistes et comploteurs qui voulaient déstabiliser le régime », confie l’ancien cadre de la présidence du Faso sous le CNR.

Le professeur de journalisme Serge Théophile Balima a fréquenté Blaise Compaoré et Thomas Sankara, tous deux leaders de la révolution. A l’en croire, Thomas Sankara était un homme très curieux, qui voulait tout le temps apprendre des autres. « La vie terrestre ne l’intéressait pas. Le capitaine Sankara a contribué à désacraliser le pouvoir d’Etat. Sankara vivait dans la pureté. Il avait même voulu me sanctionner parce qu’il avait appris que j’étais l’amant de l’épouse d’un camarade. Je lui ai dit que ce n’était pas vrai, décrit le témoin. Blaise Compaoré, lui, était un homme qui aimait vivre normalement. »

Par Aya Ouédraogo

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