Recrutement douteux à la Cnss : Voici le mode opératoire

Le procès des personnes mises en cause dans le recrutement de personnel à la Caisse nationale de sécurité sociale (session 2018) se poursuit au Tribunal de grande instance de Ouagadougou. Le mardi 30 juin 2020, c’était au tour des témoins de dire aux juges ce qu’ils ont vu et entendu au moment des faits. Même si la fraude semble manifeste, le mystère demeure entier sur certains pans du dossier.

Rupture de l’égalité des chances. Ainsi peut-on résumer le test de recrutement à la Caisse nationale de sécurité sociale, session 2018. Des débats tenus ce mardi 30 juin 2020, il ressort, comme l’a toujours soutenu la coordination CGT/Burkina de la CNSS, que plusieurs candidats déclarés admis à l’issu du test ont des liens de parenté ou de voisinage avec des agents de cet établissement public de prévoyance sociale.

Selon les éléments de preuve rapportés à l’audience, des notes des proches de certains travailleurs de la CNSS ont été falsifiées après l’administration et la correction des épreuves. En réalité, une main invisible a sélectionné des copies portant les meilleures notes et les a reproduites (recopiées) au nom de leurs protégés. Ces meilleures copies ont été recopiées à la virgule près et même avec les fautes.

Mais le manège a été rapidement découvert grâce à la finesse et à l’expérience d’une des correctrices. Cette correctrice a pris par mesure de prudence le soin de reporter les notes et les anonymats sur une feuille qu’elle a gardée par son devers. C’est cet acte anodin mais utile qui a permis au procureur du Faso de confondre les prévenus et de démontrer l’existence de la fraude au test de recrutement.  Et pour preuve.

Une note majorée de sept points

Déclarée admise pour le profil d’agent de liaison, Salmata Sawadogo a été appelée le 30 juin 2020 à témoigner sur ce qu’elle sait du concours. Des irrégularités ont été constatées sur sa copie de culture générale. Cette copie ressemble mot pour mot à trois autres. Mieux, elle n’a pas pu reconnaitre la copie qui porte son nom. Même pas la signature apposée sur la copie. « Ce n’est pas mon écriture ni ma signature », a-t-elle déclaré à l’audience.

Aussi la main jusque-là invisible qui a repris la copie de la candidate Salmata Sawadogo a, comme par générosité, ajouté « a » au prénom de la candidate. Ce qui donne Salamata au lieu de Salmata.  « La fraude, c’est une manière de commettre du faux. Tous les éléments matériels attestent que cette copie est une fausse copie. Ils ont fait disparaitre la copie A (ndlr la bonne) pour faire sortir la copie B (ndlr fausse », a conclu le procureur.

La candidate se retrouve après la reprise de sa copie avec 17/20. Pourtant sa note originelle et originale affectée par la correctrice n’était que de 10/20. Soit une majoration de sept points. Selon le procureur, c’est cette majoration de la note de candidate qui a favorisé son admission au test de recrutement. La candidate Salmata a été reçue 1ère ex. Malgré l’insistance du tribunal, l’origine de la copie frauduleuse n’a pas été dévoilée. Mais « cette copie n’est pas tombée du ciel », a fini par dire le tribunal.

Face à la brillance de la démonstration du procureur du Faso, les avocats des mis en cause change un peu de posture. Pour une fois, ils reconnaissent qu’il y a quelque chose de pas trop clair dans ce recrutement. « Pour une des rares fois, je conviens avec le parquet qu’il y a quelque chose qui ne va pas…Son nom (ndlr Salmata) n’a pas été correctement écrit. Ce n’est pas sa signature (ndlr de la candidate Salmata Sawadogo) », débute maitre Timothée K. Zongo. Mais il se pose plusieurs questions. « Qui a fait ça ? Le procureur me laisse sur ma soif. Il nous présente des copies bizarres mais il ne nous dit pas qui a fait quoi. Ça ne peut pas balader sur la tête de tout le monde. Quand on a un souci avec une copie d’un candidat, il ne faut pas regarder systématiquement du coté de sa famille. Il faut faire attention à ce raisonnement qui a des tendances génocidaires », insiste maitre l’avocat Zongo.

Sur la liste d’attente malgré tout

Etudiante en deuxième année d’Histoire, Djeneba Canao a pris part au test de recrutement de la Cnss. Elle a été déclarée admise, 2è sur la liste des admis. Mais sa copie a été épinglée parmi celles frauduleuses au nombre de 16. Comme la précédente, cette candidate n’a pas pu reconnaitre la copie qui porte son nom et les références de sa carte nationale d’identité. Selon la candidate, les idées contenues sur la copie ne sont pas d’elle. Pour le ministère public, la copie qui porte son nom ressemble mot pour mot aux copies de Marc Zeda et de Hamidou Ouédraogo. De la démonstration du procureur, c’est la copie du candidat Ouédraogo que le bienfaiteur « invisible ou inconnu » a recopié ou fait recopier au profit des deux candidats.

Les trois copies présentées, la correctrice a reconnu son écriture et ses remarques sur la copie du candidat Hamidou Ouédraogo mais ne reconnait pas avoir corrigé les deux autres (celles de Canao et Zeda). Les notes de ces deux candidats ont été majorées d’un point (de 11 à 12 sur 20). Le candidat Ouédraogo dont la feuille de composition a été recopiée intégralement (sans meme épargner les fautes) malgré sa note de 13 sur 20 en dissertation s’est retrouvé sur la liste d’attente. Alors que les candidats Marc Zeda, petit frère de l’ex-DRH de la Cnss et Djeneba Canao dont son oncle Sary travaille à la caisse ont été déclarés admis.

Et ce n’est pas tout. L’interrogatoire à la barre a révélé que Aminata Diarra, fille d’un travailleur de la caisse a été déclarée admise. Sa note est passée de 10 à 13 sur 20. Le père Seydou entendu soutient n’avoir contacté personne pour aider sa fille. Mais il a reconnu avoir accompagné sa fille à l’ANPE pour l’étape du tirage. « C’était pour l’alimenter et la soutenir », dit-il. Mais maitre Marcellin Ziba, avocat du RENLAC trouve la présence du père de la candidate à l’ANPE suspecte. Surtout au regard de l’âge de la candidate qui avait 27 ans en 2018.

La copie de Fatimata Ouédraogo/Ki est aussi prise dans le filet du procureur du Faso. Aucun membre de sa famille ne travaille à la Caisse nationale de sécurité sociale. Mais l’enquête prouve que sa note a été gonflée de 10 à 16 sur 20. La candidate même ne reconnait pas la copie qui porte son nom et ses références.  Comme elle, la correctrice ne reconnait pas les remarques ni la signature sur la copie. Malgré tout, la candidate a été déclarée admise et a intégré la boite. Etes-vous fier ? Est-ce que votre sommeil est profond ? Interrogent les juges. « Je ne sais quoi dire…Je ne suis pas au courant de quelque chose », répond-elle.

Cafouillage autour de la copie de Abel Sawadogo

Le ton est monté d’un cran dans la soirée du mardi 30 juin 2020 à la salle d’audience n°1 du Tribunal de grande instance de Ouagadougou. Les avocats des prévenus ont décelé « des irrégularités et des ratures » sur la copie d’un candidat nommé Abel Sawadogo. Selon maître Lamoussa Ouattara, le code d’anonymat (AD 177) du candidat Abel Sawadogo n’existe pas sur la fiche de la correctrice. Il explique donc qu’il est possible qu’il y ait des erreurs sur la fiche de la correctrice.

Mais pour le procureur, c’est la conséquence du faux. « Ceux qui ont manipulé les copies ont changé les corps (du devoir). Ils étaient obligés de modifier l’anonymat. Ils ont barré l’anonymat AD 186 pour mettre AD 177. En réalité, la copie du candidat a été reprise. Ils ont repris la copie et ont changé le code (ndlr l’anonymat). C’est la conséquence du faux », a expliqué calmement le procureur.

Des avocats des mis en cause ont tenté de confondre la correctrice et de remettre en cause la crédibilité de ses notes. C’est le plumitif de l’audience qui a permis à maître Ouattara de se réaliser qu’il a dû « être induit en erreur par ce qu’il avait entendu » à l’une des audiences passées. L’audience a été suspendue et reprend le vendredi 10 juillet prochain.

Par Fatim Traoré

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