Seydou Barro, président de l’ABCE « Nous n’excluons pas le boycott général des produits de Orange si l’augmentation des prix passe… »
Il est le Président de l’Association burkinabè des consommateurs de services de communication électronique (ABCE). Une association dont l’objet statutaire est la défense des intérêts des consommateurs et spécifiquement la défense des intérêts des consommateurs des services de communication électronique. Cette association existe depuis courant 2013 mais c’est en 2014 qu’elle a commencé à mener des activités. Avec Seydou Barro, nous avons évoqué l’augmentation annoncée par l’opérateur Orange Burkina de ses tarifs à compter du 17 février 2020.
Pourquoi vous avez créé une association de défense des droits de consommateurs de service de communication électronique alors qu’il existe une structure au Burkina Faso, dénommée la Ligue des consommateurs ?
Le domaine associatif relève d’une liberté constitutionnellement reconnue. La Ligue des consommateurs dont vous faites allusion existe en vertu de la loi portant liberté d’association au Burkina Faso. Cette loi n’interdit pas qu’il y ait plusieurs associations exerçant dans le domaine d’activité. C’est un engagement qui relève d’un sacerdoce. Bien évidemment si vous estimez que vous avez une contribution à apporter, vous pouvez le faire. Du reste, ce n’est pas une concurrence entre les acteurs de la société civile, c’est plutôt une espèce de complémentarité afin que les droits des consommateurs puissent être efficacement défendus. Chacune de ces structures jouent sa partition dans la défense des consommateurs.
Vous avez fait tantôt cas de procédures initiées par l’Association burkinabè des consommateurs de service de communications électroniques devant des instances nationales. Quel est le point que l’on peut fait aujourd’hui
Quelles sont les actions majeures que votre association a déjà menées ?
Notre première action a commencé par une plainte devant la Commission nationale de la concurrence et de la consommation contre l’opérateur Onatel Sa pour des faits de publicité mensongère. Également pour Airtel à l’époque pour des faits de publicité mensongère. La CNCC a vidé sa saisine. Il avait été retenu qu’il y avait des faits de publicité mensongère en ce qui concerne l’offre de la 3G. Une décision a été rendue. Mais nous n’avons pas jugé nécessaire d’interjeter les voies de droit quoique la décision ne donnait pas satisfaction sur tous les points. C’est un choix que nous avons fait et que nous assumons. Au-delà de cette action, on a initié une action relative au délai de validité des crédits que nous payons, tant en unité que les crédits pour la connexion internet. Vous n’êtes pas sans savoir que lorsque vous souscrivez pour avoir 500 mégas ou 1 giga, il vous est imparti un délai en vue de consommer ces unités que vous n’arrivez pas consommer très souvent en raison de la mauvaise qualité du service et dès que le délai imparti inspire, vous êtes privé de ce crédit. Nous avons estimé que c’était manifestement abusif et qu’un tel mécanisme était préjudiciable au consommateur. Nous avons saisi en son temps l’Arcep qui a vidé sa saisine en notre défaveur. Nous avons exercé des voies de recours et le dossier est pendant devant le Conseil d’Etat. Il y a une autre action en ce qui concerne l’augmentation du prix du pain qui a suscité un tollé général suite à une délibération de la faitière des boulangers, ils ont décidé de fixer le prix du pain contrairement à la législation en vigueur. Nous avons estimé que c’était contraire à la loi. En ce temps, nous avons fait une déclaration dans la presse pour dénoncer cette pratique mais on est allé au-delà. On a saisi la commission nationale de la concurrence et de la consommation d’une plainte relativement à ces faits. Et cette action également est pendante devant la Commission nationale de la concurrence et de la consommation. Il y a aussi l’affaire Sango Abdoul Karim et 115 autres contre l’opérateur Canal +, même si pour cette action, notre association n’est pas partie pour des raisons qui nous sont propres. On a saisi le Tribunal de grande instance d’une action. Le dossier a été appelé à l’audience et ramenée à la mise en état. Nous avons connu des déboires en raison des exceptions qui ont été soulevées par la partie adverse notamment en ce qui concerne l’identification de toutes les parties, plus précisément la nationalité et la profession. La partie défenderesse avait estimé que la non précision de ces éléments dans l’acte d’assignation était de nature à lui empêcher d’invoquer la caution judicatum solvi en raison éventuellement de l’origine étrangère de certains requérants et au cas où il y avait des demandeurs magistrats, que cela l’empêcherait de demander le renvoi à une autre juridiction pour cause de suspicion légitime- (ndlr de partialité) -.
Ce sont des arguments qui ont été avancés et retenus par le juge pour procéder à l’annulation de l’acte d’assignation. Nous avions pris acte. La procédure a été reprise et le dossier suite à l’exercice des voies de recours en la forme, il est pendant devant la Cour d’appel, au niveau de la mise en l’état, je crois bien.
L’actualité en ce mois de février, c’est l’augmentation annoncée par l’opérateur Orange Burkina de ses tarifs à compter du 17 février 2020. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle au niveau de l’ABCE ?
En temps que consommateur individuel et président d’une association de consommateur, nous avons été saisis par l’opérateur Orange d’une lettre nous informant que l’opérateur allait procéder à une augmentation de ses tarifs en raison d’une nouvelle taxe qui a été instituée. Suivant le régime juridique de fixation de prix en matière de télécommunication, la base légale, c’est le décret 2011-094 qui fixe les modalités d’établissement et de contrôle des tarifs des services de communication électronique dans notre pays. Si vous lisez ce décret, il est dit que les prix sont libres. C’est le principe de la liberté des prix qui est proclamé dans ce décret sous réserve pour les parties prenantes d’avoir à respecter les principes de transparence, de non-discrimination et d’objectivité. Mais qu’est-ce qu’on doit entendre par un tarif transparent, un tarif non discriminatoire et non objectif ? Pour le moment, le décret ne dit pas ce que l’on doit entendre par tarif objectif. C’est peut-être par l’œuvre prétorienne que l’on saura quel est le contenu de ce tarif objectif. Mais nous on peut imaginer que ce sont des tarifs qui au regard des charges des exploitations de l’opérateur et de sa marge bénéficiaire devrait lui permettre d’appliquer un tarif de sorte que le consommateur puisse avoir accès au service. Permettre à l’opérateur d’avoir une marge bénéficiaire en fonction de ses charges d’exploitation. Ça, c’est notre point de vue. Pour parler de ces tarifs, c’est le principe de la liberté des prix comme je l’ai dit. L’opérateur en se référant au principe de la liberté des prix en matière de télécommunication doit simplement respecter une formalité habilitante. Cette formalité habilitante consiste donc à notifier les nouveaux tarifs à l’Arcep, deux semaines avant leur entrée en vigueur. Cette prescription a été observée. Et on doit donner notification aux consommateurs pour informer les consommateurs individuels de ce que de nouveaux tarifs devraient entrer en vigueur. Il y a le mécanisme de publication du communiqué dans deux journaux de large diffusion du pays. Si Orange a respecté ses prescriptions, il n’est pas dit que l’avis émis par l’Arcep est un avis conforme. L’opérateur a respecté cette prescription, on peut dire qu’il a augmenté ses prix suivant la procédure règlementaire. De ce point de vue, il n’y a pas quelque chose à dire. Maintenant quant à l’opportunité de l’augmentation, on peut en discuter. On peut regarder la loi relative à l’organisation de la concurrence, la loi de 2017 prévoit la liberté des prix dans notre pays. Les aménagements ne concernent que certains produits notamment le pain, les hydrocarbures, les articles scolaires, les produits pharmaceutiques. Dans ces circonstances, si on n’a pas trouvé un aménagement à la liberté des prix en matière de télécommunication on ne peut pas se plaindre de ce que les gens procèdent à une augmentation. Même si on dit que l’augmentation de prix n’était pas opportune, ça c’est selon. Mais est-ce qu’il y a une interdiction formelle à ce que l’opérateur y procède, c’est là le hic.
Le problème donc, c’est au niveau de la loi, de la règlementation ?
Oui. C’est au niveau de la réglementation de mon point de vue. Nous sommes dans le domaine des télécommunications et dans ce domaine, je ne peux pas me lever moi pour aller monter une société tout de suite pour commencer à offrir un service de télécommunication. Les licences ne sont attribuées que sur la base de certains critères par l’autorité. Je pense qu’il y a une étude de marché qui est faite d’abord afin de voir la rentabilité d’attribuer la licence. Donc la concurrence est limitée. C’est pour dire que si l’opérateur vient il ne devrait pas pouvoir exploiter à perte. Du reste, c’est l’une des missions fondamentales de l’Arcep. Elle est commise à la fois à la promotion de l’activité de télécommunication et à la protection de l’intérêt des consommateurs. De notre point de vue, nous estimons qu’au regard du nombre d’opérateurs qui est limité, on ne peut pas venir commencer à exercer cette activité sans l’aval de l’autorité publique. Il était indiqué en raison de l’utilité aujourd’hui du service de télécommunication qui est un service public qu’on puisse procéder à un régime de réglementation des prix comme cela se fait en ce qui concerne le pain, les hydrocarbures et bien d’autres produits pour trouver un aménagement au principe de la liberté des prix. Mais ce n’est pas le cas en ce moment.
On peut dire sans ambages que de la manière dont Orange a procédé, qu’il n’y a pas quelque chose qu’on peut lui reprocher du point de vue de la légalité. C’est de cela qu’il s’agit. C’est une question d’opportunité. Maintenant cette opportunité, qui l’apprécie ? Là je n’en sais rien. Donc si on veut éviter que les opérateurs puissent appliquer des prix disproportionnés aux consommateurs, il va falloir qu’on trouve des mécanismes pour pouvoir encadrer la fixation de ces prix. Nous, c’est notre position. Nous avons été heureux de constater que le Premier ministre a fait une sortie publique pour dire que le gouvernement n’allait pas accepter cette augmentation des prix. Nous disons en passant, c’est déjà bien mais ce n’est pas arrivé en raison du fait que le pouvoir réglementaire peut donc agir pour que le principe de la liberté des prix puisse connaitre un aménagement en matière de télécommunication.
A vous entendre bien, cela veut dire que très bientôt l’on pourra s’attendre à un plaidoyer de l’ABCE dans ce sens ?
Un plaidoyer ? Nous l’avons déjà fait. Si vous vous rappelez, en 2014 ou 2015, les opérateurs avaient procédé à une augmentation des prix. En ce temps, on avait fait une déclaration dans la presse pour dire que la législation ne peut pas être de telle sorte que l’opérateur se contente de respecter la formalité habilitante consistant à notifier de nouveaux tarifs à l’Arcep qui se doit de se borner de constater que l’opérateur a augmenté ses tarifs en respectant les formalités habilitantes. Puisqu’il est dit que les tarifs proposés doivent être certes objectifs, transparents et non discriminatoires. S’agissant du caractère objectif, moi ça me cause problème parce qu’a posteriori c’est après coup qu’on va constater que ces tarifs ne sont pas objectifs et même si l’Arcep qui a toute l’expertise pour dire que les tarifs ne sont pas objectifs, il va émettre un avis défavorable comme je pense elle l’a fait dans ce cas d’espèce, les opérateurs vont passer outre. Parce que cet avis n’est pas un avis conforme, ce n’est pas un avis, donc ça ne les lie pas. C’est juste à titre informatif.
Dans ces hypothèses, il ne faut pas s’étonner de voir que les gens décident à leur guise d’appliquer les prix qu’ils veulent aux consommateurs…
L’autorité publique qui dispose d’un pouvoir réglementaire en la matière doit pouvoir prendre ses responsabilités pour encadrer ses tarifs. Le législateur même peut intervenir. Même la loi de 2017 qui prévoit le principe de la liberté des prix fait un renvoi à un texte règlementaire. Donc le premier ministre en tant que détenteur de pouvoir règlementaire peut intervenir. C’est vrai qu’il y a des sorties tendant à condamner ces augmentations mais les consommateurs vont continuer de subir ces tarifs. Et même s’il y a un texte réglementaire, il faut que les consommateurs aient une réaction appropriée à la gouloterie des professionnels. S’ils augmentent les tarifs, les prix sans tenir compte de notre pouvoir d’achat, il faut que nous travaillions à avoir une capacité de résilience dans ces circonstances. On peut changer, on peut décider de ne plus consommer le produit. On va souffrir certes, parce que les télécommunications sont des services vitaux mais on ne va pas dire qu’on va continuer à utiliser ces services et nous appauvrir davantage, nous disons non. On peut décider de ne pas consommer le produit ou bien le service. L’opérateur, il est fort mais le consommateur est encore très fort. Il suffit d’une volonté, d’une décision de sa part de dire que comme vous avez procédé à une augmentation disproportionnée des prix qui sont en déphasage avec vos charges d’exploitation, nous allons décider de ne pas consommer le produit. Sans consommateur, il n’y a point d’entreprise, point de commerce. Je pense que c’est de ça qu’il s’agit. Le consommateur a une arme fatale. C’est pourquoi on leur demande au-delà des condamnations venant de l’autorité publique, il y a des textes qu’on peut adopter mais il faut aller plus loin pour décider de sanctionner ses professionnels ou opérateurs gloutons à travers un refus, à travers le boycott de leurs services, de leur produit. Je le dis parce qu’en ce qui concerne l’augmentation du prix du pain, les gens sont sortis et il y a eu une désapprobation générale, il y a même eu des structures qui ont engagé des pourparlers avec des boulangers mais où en sommes-nous aujourd’hui ? Je suis sûr que vous avez payé le pain et vous continuer de payer le pain au prix fixé unilatéralement par ces boulangers contrairement à la loi. Si les consommateurs avaient décidé de se passer du pain pendant un mois, on allait voir de quoi ces boulangers allaient vivre.
Au Burkina Faso de plus en plus, des consommateurs dénoncent une qualité défectueuse des réseaux mobiles comparativement aux autres pays. C’est aussi votre constat ?
La mauvaise qualité des réseaux de télécommunication est plus qu’une évidence. Même s’il y a des rapports qui disent le contraire, c’est une évidence. Lorsque vous utilisez le service, vous n’êtes pas satisfait ou vous êtes satisfait. Les émissions interactives sont prises d’assaut tous les matins par les consommateurs qui dénoncent la mauvaise qualité du service. Ce qui veut dire que c’est une réalité. Nous à l’ABCE, cela a été toujours notre combat. Et nous disons que la mauvaise qualité des services de télécommunication dans notre pays ne fait pas l’objet de débat. C’est une vérité. Maintenant lorsqu’on pose le problème, les opérateurs ont toujours un moyen de défense. Ils disent que la bonne qualité du service de télécommunication est tributaire des investissements qu’ils doivent faire et parmi ces investissements, il faut l’implantation des antennes GSM. Les opérateurs disent que lorsqu’ils se décident d’investir, les populations refusent qu’ils puissent implanter leurs antennes. C’est ce que les opérateurs disent. Il y a des gens qui les font chanter pour pouvoir extorquer des sommes d’argent. Et ça c’est une triste réalité, on ne peut pas vouloir d’une chose et de son contraire. On ne peut pas vouloir un service de qualité et décider que l’opérateur qui doit faire ses investissements ne puissent pas le faire. Lorsque nous entendons ce genre d’arguments, c’est de nature à nous désarmer. Il y a plusieurs facteurs. Mais ce n’est certainement pas ces difficultés liées à l’implantation de ces antennes GSM qui expliquent la mauvaise qualité de ses services. Tout le monde doit travailler à ce que les opérateurs ne puissent pas invoquer ce moyen pour justifier la médiocrité du service qu’ils nous vendent.
Quel message l’ABCE lance aux consommateurs ?
Je vous remercie pour cette approche qui nous permet de nous prononcer sur cette question d’actualité notamment l’augmentation annoncée des tarifs par l’opérateur Orange. Ce n’est pas toujours très évident la veille citoyenne. Il y a des gens qui estiment qu’on ne fait pas assez. Je les comprends parfaitement mais nous, nous faisons la veille citoyenne avec les moyens de bord. Nous demandons aux consommateurs pris individuellement de travailler à appuyer les différentes organisations de défense de consommateurs. C’est un engagement citoyen, tout le monde peut contribuer à ce qu’on puisse obtenir de bons résultats. Avec les activités professionnelles de tout un chacun, certains consommateurs pensent qu’on a levé le pied sur la pédale en raison des difficultés quotidiennes qu’ils vivent, nous sommes conscients de cela mais nous demandons à tout un chacun de travailler à ce que les choses puissent aller. Un moment donné, on va demander au consommateur individuel à faire quelque chose pour amener l’opérateur indélicat à courber l’échine. Nous pensons que c’est le consommateur qui doit travailler à avoir le dernier mot ou refuser purement et simplement de ne pas consommer le service. En temps opportun, nous n’excluons pas la possibilité de demander aux consommateurs de procéder à un boycott général des produits de Orange si toutefois, il venait à passer outre cette augmentation des prix. Nous ne sommes pas en train de discuter de la légalité de cette augmentation, mais nous discutons de l’opportunité. Est-ce que si Orange ne procède pas à cette augmentation de ces tarifs-là, Orange va fermer boutique ? Je pense que non. Ils vont dire qu’on a procédé à une augmentation de taxes mais ces taxes ne sont pas à répercuter sur le consommateur. Du reste, dans la même hypothèse, il y a une société de la place qui a subi la même augmentation. Je pense à la Sodibo mais est-ce que le prix de la bière a connu une augmentation ? Je pense que non. Donc c’est un effort, je ne vais pas dire que c’est un effort de guerre mais c’est un effort. C’est pour dire que l’opérateur doit savoir raison gardée pour ne pas chercher à faire souffrir davantage le consommateur au quotidien, lequel consommateur souffre déjà de la mauvaise qualité de ses services et cette mauvaise qualité est de nature à doubler ses dépenses de consommation. Nous souhaitons que Orange puisse entendre la voix de la sagesse, de ne pas procéder à une augmentation des prix même si actuellement le régime juridique qui encadre ses prix lui permet d’y procéder. Mais pour être en odeur de sainteté avec les consommateurs du point de vue opportunité, je pense qu’il conviendrait de ne pas y procéder.
Interview réalisée par Aya Ouédraogo