Souleymane Badiel (F-SYNTER) : « L’un des objectifs de ces réformes dans l’éducation, ce sont des visées économiques »

Depuis plusieurs mois, le système éducatif traverse une crise marquée principalement par des contestations des réformes des examens du Baccalauréat et du Brevet d’étude du premier cycle (BEPC). Ces contestations ont débouché sur une crise scolaire qui a contraint le gouvernement a anticipé les vacances scolaires pour les élèves des classes intermédiaires. Dans une interview accordée à Bendré, le secrétaire général de la Fédération des syndicats nationaux des travailleurs de la recherche et de l’Education (F-SYNTER), Souleymane Badiel, professeur certifié de Français, donne analyse les réformes en cours dans le monde scolaire. Les assises nationales sur l’éducation, des infrastructures scolaires de mauvaise qualité contrôlées par le vent, etc. le syndicaliste répond sans ambages.
Quelle est votre position sur la réforme des examens du BEPC et du BAC ?
Dès le début, avons été clairs en affirmant notre position sur la question. Pour ce qui concerne le BEPC, nous avons donné notre position depuis novembre 2020 lorsque le ministère organisait un atelier à Loumbila sur la question. Nous avions dit que nous nous opposons à cette réforme pour un certain nombre de raisons. Nous avons dit que pour opérer une telle réforme, il eut fallu qu’on nous présente une étude qui montre les difficultés de l’organisation de l’examen du BEPC actuellement et les avantages que la nouvelle option peut induire aussi bien pour l’apprenant que sur le système éducatif.
Donc à l’absence de cette étude, on ne peut pas nous embarquer dans un système qui remet en cause une pratique de plusieurs années et qui présente des avantages pour les élèves. Nous avons dit que les programmes des deux matières (Histoire géographie et Science de la vie et de la terre, matières concernées par la réforme) sont tellement vastes que les enseignants de ces matières dans les classes d’examens sont obligés de distribuer de polycopies parce qu’ils n’arrivent pas à finir le programme. L’argument que nous avions avancé également est que l’on était déjà en novembre et que si on optait d’opérer un changement sur l’organisation de l’examen, cela ne pouvait pas se faire au cours de l’année. Et nous sommes confortés dans notre position à travers les arguments des autorités.
Et c’est pourquoi nous disons que l’un des objectifs visés à travers cette réforme, ce sont des visées économiques parce que si l’on prend le nombre de feuilles à raison de 25 F l’unité, on se retrouve avec plus de 300 millions de Franc. Donc, si vous regarder ce qui est recherché, c’est la maitrise des questions économiques liées à l’organisation des examens, et non la qualité. Pour ce qui est du Bac, là aussi, le gouvernement veut gérer les flux des étudiants qui entrent dans les universités. Si cette mesure venait à passer, vous n’avez plus le droit de dire au gouvernement de créer les conditions pour que bon nombre d’étudiants puisse avoir accès aux universités publiques.
Des élèves ont manifesté un peu partout dans le pays pour rejeter ces réformes entreprises par le ministre de l’Education nationale, Stanislas Ouaro. Le gouvernement et certaines personnes estiment que les élèves sont manipulés et votre discours va dans le même sens que les élèves. Finalement, est ce qu’on ne peut pas penser légitimement que c’est vous qui manipulez les élèves ?
Nous, nous disons que c’est ridicule de dire que les élèves sont manipulés. C’est la thèse la plus fallacieuse. Vous voyez, quand le ministre Ouaro (ndlr, ministre de l’Education nationale) part à une réunion des élèves et étudiants du MPP (ndlr, Mouvement du peuple pour le progrès), le parti au pouvoir, pour leur dire de prendre position sur la question de l’IUTS, on trouve cela normal.
Maintenant que les élèves veulent prendre position en qui concerne leur avenir, on trouve qu’ils sont manipulés. Du reste, les élèves ont répondu en disant que ceux qui pensent qu’ils sont manipulés peuvent aussi les manipuler s’ils sont manipulables. Donc c’est une thèse fallacieuse à laquelle je n’accorde aucun crédit. En tout état de cause, la F-SYNTER ne se sent nullement concernée par cette affirmation. Mais nous disons que nous soutenons la lutte des élèves parce que nos sorts sont liés et ils se battent pour une cause juste et cela ne veut pas dire que nous sommes en train de les manipuler.
Suite aux manifestations des élèves, il y a eu des casses dans des établissements comme c’est le cas au Lycée Philippe Zinda Kaboré à Ouagadougou. Est ce qu’il était nécessaire qu’on arrive à une telle situation ?
Pour le cas du Lycée Zinda, on n’avait pas besoin d’arriver à une telle situation et c’est ce que nous avions dit au ministre. Les élèves ne demandent pas à ce qu’on revoie le contenu des épreuves. Ce n’est pas cela qu’ils demandent. Ils disent tout simplement que le fait de supprimer les sujets au choix ne les arrange pas et cela ne touche pas le contenu des sujets. Nous pensons qu’on pouvait suspendre ces mesures et les renvoyer aux assises nationales qui sont annoncées. Nous, nous réclamons une refonte de notre système éducatif pour asseoir un système éducatif de qualité accessible aux enfants du peuple. Et s’il y a des reformes, elles méritent d’être discutées et on pourra le faire au cours des assises nationales. Peut-être que ce qui va sortir de ces assisses ne sera même pas une question de sujets au choix.
Maintenant si on crée une crise et on veut aller à des assisses, on ne réunit pas les conditions pour un débat sincère. Cela veut dire qu’on ne peut discuter dans le fond des problèmes qui seront posés. Nous disons qu’il faut aplanir cela, mettre les gens en confiance pour qu’ils se sentent concernées par ces assisses, mais si on part aux assises nationales dans ces conditions, c’est dire qu’on ne sortira pas avec quelque chose de sérieux qui va nous faire avancer.
Justement les assises annoncées, est-ce que vous avez été associés ?
Quand le ministre Ouaro a été reconduit en janvier 2021, il a rencontré les organisations syndicales pour le leur dire. C’est au cours de cette rencontre qu’il nous a informés qu’ils avaient un certain nombre de réformes en cours mais qu’il n’y avait pas de documents officiels sur lesdites réformes. C’est au cours de cette rencontre également qu’il nous a également parlé des assises nationales sur l’Education. Sinon jusque-là, nous n’avons pas été associés à ces assisses.
On assiste ces derniers temps à des écroulements d’infrastructures scolaires. Quelle est votre lecture sur cette situation ?
Ailleurs, on aurait vu le ministre en charge de l’Education rendre sa démission rien que pour cela. Mais ici, on a même des morts, mais les gens sont assis comme si de rien n’y était pourvu qu’on conserve notre poste. C’est pourquoi, nous disons qu’un vrai démocrate aurait tiré les conséquences d’un tel bilan.
Par Henri Zongo