Xavier Lapeyre de Cabanes, Ambassadeur de France au Burkina « Le président Compaoré a laissé l’armée sans armes, sans entrainement, sans rien… »

Xavier Lapeyre de Cabanes, Ambassadeur de France au Burkina

« Le président Compaoré a laissé l’armée sans arme, sans entrainement, sans rien… »

Dans cette interview qu’il a accordée à Bendré le mardi 15 janvier 2019, l’ambassadeur de France n’est pas allé de main morte pour dire à ceux qui s’opposent à la présence de l’armée Française au Burkina d’aller plutôt se plaindre avec leurs dirigeants. Avec Xavier Lapeyre de Cabanes nous sommes revenus sur la coopération française avec le Burkina, notamment dans le domaine économique, judiciaire et militaire. Lapeyre de Cabanes est également revenu sur les gilets jaunes dans son pays et n’a pas manqué de signifier que si le Burkina Faso vit un tel niveau de crise sécuritaire, c’est aussi et surtout parce que l’ancien président Blaise Compaoré a laissé l’armée sans arme, sans entrainement, sans rien… ». Interview.

 

 

Comment se porte l’Ambassade de France au Burkina ?

L’Ambassade de France se porte très bien. Je crois que l’ensemble de l’équipe est très heureuse de travailler au Burkina Faso. Il y a une relation très dense entre les deux pays avec un programme de travail qui a été bien donné par nos deux présidents d’abord lors de la visite du président Macron en novembre  2018, ensuite lors de la visite du président Kaboré en décembre 2018. Donc on est content de pouvoir travailler avec nos partenaires burkinabè.

En terme chiffré, comment peut-on analyser les relations entre le Burkina Faso et la France sur le plan des investissements économiques ?

Les investissements économiques, ça il n’y a pas beaucoup malheureusement. S’il y a un domaine où la relation bilatérale est faible, c’est bien celui des opérateurs économiques français. Néanmoins, je suis quand même satisfait de Orange qui fait des investissements énormes. Sur les trois années 2017 à 2019, Orange doit investir à peu  près 150 millions d’euros pour améliorer le système qu’il offre au Burkinabè notamment avec la construction d’une fibre optique qui va permettre d’améliorer la rapidité de la connexion internet. C’est le principal investissement français de ces dernières années. Pour le reste, je pense qu’on peut parler de l’action de coopération qui est menée via l’Agence française de développement qui a un portefeuille direct d’action de 50 à 60 millions d’euros chaque année qui va augmentée en 2019. En matière d’urbanisme, il y a une grosse coopération menée par la municipalité de Ouagadougou dans le cadre du Programme de développement durable de Ouagadougou (PDDO). Là c’est un prêt de de près de 80 millions d’euros qui sera accordé à la municipalité. Il y a un projet de gare routière, de marché et des voiries pour faciliter la vie des Burkinabè. A cela s’ajoute le volet assainissement. J’ai inauguré avec le ministre de l’Eau au mois de décembre des canalisations d’eau, des adductions d’eau. Cette année, nous aurons d’autres programmes pour l’eau et l’assainissement à Ouahigouya d’une part et à Bobo-Dioulasso d’autre part. Il y a également l’énergie qui est un pan important de l’action de l’AFD, avec la participation de l’AFD dans le programme Yelen avec la BAD et la Banque mondiale qui vise à relier en fait le système électrique du Burkina avec celle du Niger. Je peux citer aussi le développement des centrales solaires. Celle de Zagtouli a été inaugurée par les deux présidents en novembre 2017. Il y a bien d’autres programmes qui sont un peu moins importants en termes de financement. Globalement  donc, on peut dire qu’il y a entre nos deux pays une coopération qui est très dense.

Vous aviez indiqué que le niveau de coopération économique entre la France et le Burkina Faso est très bas. Qu’est-ce qui peut expliquer cela?

Le Burkina Faso a des atouts mais aussi des inconvénients malheureusement comme l’enclavement du pays. Donc, pour les entreprises françaises, c’est un problème majeur. D’où la nécessité  d’investir dans les infrastructures de transport et les voiries. Ce qui est en train d’être fait par le gouvernement burkinabè. De sorte que les zones agricoles puissent être désenclavées et qu’elles puissent  produire non seulement la nourriture pour les ménages mais aussi la culture de rente. Il y a d’autres problèmes liés à la sécurité du Burkina Faso qui peuvent faire peur à des investisseurs. En tout cas, l’investisseur peut se poser des questions de savoir si c’est raisonnable de venir au Burkina Faso.

Pourquoi la France est absente dans le secteur aurifère  au Burkina?

C’est vrai qu’il n’y a aucune société française au Burkina Faso dans l’exploitation minière. Il y a des entreprises russes, canadiennes, italiennes, etc. Cela est dû au fait qu’il n’y a presque plus d’entreprises françaises dans le secteur de l’or.

Mais il y a des activités connexes et très rentables ou vous êtes présents quand même…

Oui, bien évidemment, il y a des entreprises françaises qui apportent des services aux entreprises minières russes, canadiennes, etc. Il y a par exemple Total qui leur envoie de l’essence et puis il y a des entreprises, des services-traiteur qui envoient la nourriture à des centaines et des milliers d’employés qui travaillent dans les mines et qui bénéficient d’une concession du gouvernement burkinabè ou bien des services techniques. Mais il n’y a aucune entreprise française qui ait un permis d’exploitation.

Vous ne mentionnez pas Sitarail avec le groupe Bolloré qui représente tout de même un gros morceau dans les intérets français au Burkina Faso?

Vous avez raison parce que là il y a même un projet en cours qui envisage de rénover la ligne entre Ouagadougou et Abidjan. C’est un investissement important qui est en cours.

Vous êtes aussi dans les hydrocarbures…

Oui. Mais là c’est très ancien. A Total, il n’y a pas d’investissement nouveau. Si vous voulez, il y a plusieurs  entreprises françaises qui travaillent au Burkina. Même dans le domaine des banques. Mais je veux dire qu’il n’y a pas de progression spectaculaire de leur présence. C’est pour cela que je parlais tantôt d’Orange qui s’est installé il n’y a pas longtemps mais qui a une progression spectaculaire.

Etes-vous satisfaits du volume des intérêts que la France se fait au Burkina Faso?

Nous, on n’est jamais suffisamment satisfait.  Même si tout se passait très bien, on ne serait pas  satisfait. La France reste encore un partenaire important du Burkina dans le domaine pharmaceutique et  agricole. Mais c’est surtout dans le domaine pharmaceutique que les choses se déroulent bien. Ce n’est pas quelque chose qui est contestable. En matière pharmaceutique, la France reste le premier fournisseur du Burkina.

De tous vos investissements au Burkina Faso, desquels vous êtes le plus fier?

Ce n’est pas à moi d’être fier. C’est les bénéficiaires qui doivent être fiers. Au niveau des actions de coopération, je crois qu’on peut être fier de tout. Les actions que l’on mène en matière d’éducation même si elles sont quelques fois invisibles, c’est quand même une quinzaine de millions d’euros. On a aussi une action dans le domaine de la sécurité qui vise à aider les forces de sécurité burkinabè à gagner en capacité de résistance et d’opposition face aux groupes armés terroristes. Ça aussi c’est un élément dont on peut être fier. En matière d’eau et d’assainissement aussi. Quand on apporte de l’eau potable à la population, c’est claire qu’on fait œuvre utile. Vous évitez à des femmes de faire trois à dix kilomètres par jour pour aller chercher de l’eau potable… Voilà, c’est de petite chose peut être mais c’est quelque chose quand même. On a lancé des projets à Tougan qui permettent de raccorder les foyers, les ménages aux canalisations. On a des projets avec l’ONEA, avec plus de 15 communes et villes du Sahel, du Nord et de la Boucle du Mouhoun. Idem avec la Sonabel. On apporte de l’énergie et l’eau aux habitants. On a inauguré des lignes à Dori et à Djibo. C’est quelque chose qui permet à la population de recevoir l’énergie à un coût très abordable.

On va aborder le volet coopération judiciaire. Le président Macron a tenu promesse en acceptant de déclassifier les archives concernant l’affaire Thomas Sankara…

Le président a pris une décision. Elle est mise en œuvre par l’administration. Le juge burkinabè avait demandé à la justice française d’obtenir des documents. Ces documents étant classifiés, il fallait une autorisation. Nous avons déclassifié un certain nombre de documents qui ont été envoyés via cette ambassade aux juges. On a envoyé deux paquets aux affaires étrangères burkinabè pour transmission au juge. Cela a été fait. C’est aux juges burkinabè d’exploiter ces documents qui sont assez nombreux. Le deuxième lot sera transmis au ministère des affaires étrangères et il y a même un troisième lot qui arrivera bientôt et que nous transmettrons au juge.

Mais qui nous dit que ces documents n’ont pas été soigneusement triés par la partie française?

Ah non. Des documents ont été demandés par le juge burkinabè à la justice française. Ces documents ont été déclassifiés et envoyés au juge. C’est assez long comme processus mais c’est comme ça. Nous,  nous recevons les documents. On ne les ouvre pas. On les transmet tel que nous l’avons reçu. Le juge a fait une demande sur des documents précis. C’est lui qui précise la liste des documents qu’il veut obtenir. Le juge burkinabè a été très précis. Il y a des documents qui n’étaient pas classifiés. Ce n’est pas juste une demande globale faite par le juge. C’est le juge qui a demandé à recevoir et à obtenir un certain nombre de documents.

Et ce sont ces documents qui ont été effectivement transmis?

Ah moi je ne peux pas vous le dire parce que je n’ai pas ouvert les documents. Maintenant c’est au jude de voir. S’il estime qu’il n’a pas assez, et que certains documents manquent, il peut en redemander. C’est entre justice que cela se passe.

Est-ce que le juge burkinabè a la possibilité d’entendre certaines personnalités politiques françaises de l’époque?

Ça c’est le juge burkinabè qui peut en faire la demande. Il peut se déplacer lui-même ou il le demande à la justice française. Et ça se fait généralement.

Sur le dossier Norbert Zongo, le président Macron avait fait des promesses sur l’extradition de François Compaoré. C’est en bonne voie apparemment ?

Le dossier François Compaoré est un tout petit peu différent. Ce que nous avons fait, c’est d’arrêter François Compaoré puisse que les autorités burkinabè le demande. Il a été arrêté en octobre 2017. On lui a demandé s’il souhaite être extradé, il a répondu non. En ce moment-là, le dossier passait à la justice. Selon la procédure indiquée, la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Paris doit rendre un avis. Cet avis lie le gouvernement. Le gouvernement n’aurait pas pu extrader si la chambre d’accusation avait dit non. La chambre d’accusation a estimé que François Compaoré peut être extradé. Sauf que les avocats de François Compaoré ont décidé de se pourvoir en cassation. Maintenant c’est la cour de cassation qui va décider si la demande d’extradition est légale selon le droit français. En ce moment, ce n’est pas le président qui décide. Si elle donne son accord, là en ce moment-là, l’exécutif doit prendre un décret d’extradition. Ce décret d’extradition peut encore être contesté devant le Conseil d’Etat. Il y a l’étape de la Cour de cassation. Ensuite, il y a le procès du conseil d’Etat. Et une fois, le Conseil d’Etat valide le décret d’extradition, là le gouvernement français pourra effectivement prendre M. François Compaoré le mettre dans un avion et le renvoyer à Ouagadougou. Ça s’appelle les droits de la défense. Ça existe dans les pays où la justice est indépendante. Il ne sera pas jugé comme ça en 48 heures mais il s’agit d’agir en sorte que les décisions qui seront prises par l’Etat soit conforme à la loi. C’est long mais le temps de la justice n’est pas seulement celui de l’attente que l’on peut  avoir quand on est citoyen ordinaire ou membre de la famille de Norbert Zongo qui veut savoir ce qui est arrivé à leur époux, frère, etc.

Malgré tous les investissements de la France que vous avez évoqué, les avancées notables au niveau judiciaire, etc. nous avons l’impression que le sentiment anti-français grandi au Burkina Faso. Vous faites le même constat?

Je n’arrive pas à avoir ce sentiment parce que c’est quelque chose qui est très diffus. C’est quelque chose qui ne se remarque pas toujours, qui ne se manifeste pas, que je ne perçois pas. Quand je vais dans la rue, dans les universités, on ne ressent aucune détestation contre nous. Jamais il n’a eu d’action anti-française. On reproche parfois à mon pays des éléments de sa politique passée ou récente. Souvent à tort d’ailleurs par manque d’informations. Ce n’est pas contre la France. D’ailleurs je suis assez frappé parce que même s’il y a des discours anti-français, il y a 12 à 15 milles personnes qui demandent chaque année le visa français. Il y a tous environ 13300 étudiants burkinabè qui veulent continuer leurs études en France chaque année. Tous n’arrivent pas mais il y a à peu près 600 qui partent. S’ils éprouvaient un sentiment anti-français, ils n’allaient pas aller en France, logiquement. Je ne pense pas que le sentiment anti-français est si fort que ça. Mais ce que je peux vous concéder, c’est qu’il y a un autre élément qui doit être pris en compte par l’Ambassade. Il y a une absence de connaissance de ce que nous faisons ici au Burkina Faso. Nous-mêmes, nous ne nous expliquons pas suffisamment sur ce que nous faisons et pourquoi nous le faisons avec le Burkina Faso. Et puis du coup, ça provoque des réactions d’incompréhensions, d’opposition chez certains Burkinabè. Et c’est aussi normal non ?

Je vais être plus précis en donnant un exemple concret. Plusieurs organisations de la société civile demandent le départ de l’armée française. Dites-nous, y a-t-il des bases de l’armée française officiellement installé au Burkina Faso?

Les ministres en charge de la défense ont signé le 17 décembre 2018, un accord intergouvernemental sur la coopération opérationnelle militaire qui permettra un certain nombre de facilités, qui prévoient le cadre juridique dans lequel les troupes françaises peuvent venir au Burkina Faso à la demande des autorités burkinabè ou venir en soutien aux actions de l’armée burkinabè dans sa défense du territoire. Il ne s’agit pas d’avoir de bases françaises, etc. Il y a effectivement des militaires français qui sont présents au Nord de Ouagadougou, avant l’accord de décembre dernier, mais cet accord renouvelle un autre accord qui datait de 2015. Ces troupes françaises agissent pour contrer le terrorisme au Mali mais également font de la formation au profit des forces armées burkinabè. Ces forces viennent en appui si les autorités burkinabè le demandent. Ces forces-là interviendront si les Burkinabè le demandent en appui des armées burkinabè. Jusqu’à présent, il n’était jamais arrivé que les forces armées françaises interviennent militairement au Burkina Faso. Ç’a été le cas en octobre lors de l’attaque de la gendarmerie d’Inata le 3 octobre 2017. Et les autorités burkinabè nous ont demandé si Barkhane pouvait intervenir. Et donc c’est les forces françaises qui ont permis d’abord de faire fuir les terroristes qui encerclaient la gendarmerie et qui l’attaquaient. Puis quelques temps plus tard ont neutralisé le petit campement de terroristes. On s’est dit qu’il était indispensable de prévoir un cadre juridique. On ne pouvait pas se permettre d’avoir un accord verbal ou d’une demande verbale du Président burkinabè ou du ministre des affaires étrangères ou du ministre de la défense pour couvrir juridiquement une intervention de l’armée française. Il fallait un cadre juridique. Nous sommes deux Etats souverains, on n’intervient pas comme ça chez l’autre sans l’accord du premier.

Si je vous suis bien, ça veut dire qu’avant la signature de la convention de décembre, les choses se passaient comme ça, de façon informelle?

Il n’y avait jamais eu d’intervention militaire française au Burkina Faso. Il y avait des troupes militaires qui étaient là en vertu d’un accord de 2015. L’accord de 2018 a un peu changé l’accord de 2015 mais pas beaucoup. Cette force pouvait intervenir à la demande des autorités burkinabè mais c’est vrai qu’elle n’était jamais intervenue. Mais dans le papier, elle n’a pas le droit d’intervenir au Burkina Faso. Il y a par exemple des éléments de la force barkhane qui interviennent au Mali dans la lutte contre le terrorisme. Avant, elles voulaient souvent rentrer sur le territoire burkinabè mais elles ne pouvaient pas. Maintenant, elles vont pouvoir en demandant l’autorisation aux autorités burkinabè.

Mais dites-nous, avant janvier 2015, l’armée française était déjà présente au Burkina. C’était sur quelle base?

Là c’était un accord à ma connaissance du précédent gouvernement burkinabè d’autoriser la force française à s’installer. C’était au moment où nous avions l’opération Serval au Mali et nous avions besoin de poser nos forces quelque part pas trop loin du Mali. On ne voulait pas que ce soit au Mali parce que le Mali n’était pas trop sûre…Il y a eu une négociation avec le gouvernement d’alors qui a accepté. C’était un accord qui n’était pas écrit, mais c’était tout de même un accord. C’est pourquoi nous avons travaillé à ce qu’il soit écrit.

Vous comprenez le sentiment de certains Burkinabè qui demandaient le départ de l’armée française?

Oui, mais c’est pour cela qu’on a signé un accord en 2015. Et on n’est plus à la période d’avant 2015. On n’est pas non plus en 2015. Si les Burkinabè se disent que ce n’est pas normal que les Français soient ici sans accord, oui ç’a été le cas. Mais ce n’est plus le cas. Et je dois ajouter que c’était avec un accord du gouvernement de l’époque que l’armée Française s’est installée. Le président Compaoré avait été réélu en 2010. C’était le président légal du Burkina Faso. Il pouvait prendre des décisions.

Dans son livre, Yacouba Isaac Zida, ancien Premier Ministre explique que la signature de cet accord a été obtenu au forceps.

Moi je n’y étais pas. Donc je ne peux pas vous dire un mot. Je ne sais pas si c’était aux forceps. Je sais que les négociateurs burkinabè, certains des négociateurs étaient les mêmes en 2018. Franchement, l’accord de 2015 était un accord qui était très équilibré. Donc qui était très restreint sur les capacités. Peut- être que ç’a été négocié comme ça mais je n’en sais rien. Le Lieutenant-colonel Zida avait peut être beaucoup regardé ça. Moi je ne sais pas. Mais cela n’autorisait pas les forces françaises à tout faire.

Zida indique aussi que cet accord a été antidaté.

Non. Non. La signature de l’accord a été faite en janvier 2015.

Le même livre indique qu’il y avait un militaire français qui avait perdu la vie au Burkina Faso et qu’il fallait justifier parce que l’Assemblée  nationale française n’avait pas autorisé la présence de militaire français au Burkina.

Je n’ai pas souvenir de militaire français mort au Burkina en 2015. Je ne suis pas persuadé de cela. Je n’ai jamais entendu parler de militaire français mort au Burkina en 2015 ou avant.

Des organisations de la société civile burkinabè demandent le départ des forces militaires françaises au Burkina Faso. Qu’est-ce que vous leur répondez?

Je leur réponds qu’il y a un gouvernement légal au Burkina Faso qui a été élu il y a trois ans. Que ce gouvernement prenne des décisions. Si des gens de la société civile ne sont pas contents, ils peuvent voter contre ce gouvernement aux élections à venir. C’est comme ça la démocratie, on confie le pouvoir à quelques individus, à des gens. Et puis quelques années après, si vous n’êtes pas content avec la politique qu’ils mènent, vous pouvez voter contre eux. C’est ça la démocratie représentative. Nous allons avoir plusieurs personnes qui ne sont pas contentes. C’est normal.

Donc si les Burkinabè ne sont pas contents de la présence de l’armée française, ils n’ont qu’à voir avec leurs autorités.

Ce sont les autorités qui nous ont autorisés. Nous on discute avec le gouvernement légal. On ne peut pas nier qu’ils ont été légalement élus. Vraiment, c’est ça la démocratie. Il y a toujours des gens qui sont contre ça. Je ne sais pas ce qui representent ces organisations de la société civile. Qu’il y ait des organisations qui sont opposées ne veut pas dire que tous les gens qui ne sont pas organisés sont forcément opposés. Les organisations de la société civile, ce n’est pas la meilleure en démocratie. La plus belle organisation de la société civile qui existe c’est le parlement où il y a des dirigeants qui ont été élus, qui représentent la société. Toutes les autres organisations, c’est très utile. C’est absolument indispensable. Ça permet aux gens de s’organiser. Elles ne représentent absolument pas la société. Elles ne représentent pas la population. Ceux qui représentent la population, ce sont les parlementaires.

Une organisation comme le Mouvement burkinabè des droits de l’Homme et des peuples (MBDHP), une organisation assez représentative, très bien connue, demande aussi le départ des forces militaires étrangères au Burkinabè.

Non. Vous êtes important mais ne dites pas représentative. Ca je vous arrête. Vous n’avez pas été élu par les citoyens.

Mais c’est une organisation de la société civile assez sérieuse et représentative…

Non. Vous êtes une organisation très utile. Vous avez un volume de contrôle, de surveillance, d’alerte. C’est différent. Mais ne prétendez pas que vous êtes représentative. Pas de la population. Vous êtes représentative de gens intéressés par tel sujet. Vous ne pouvez pas utiliser le terme de représentation. C’est indispensable que la société puisse s’organiser spontanément avec des organisations dites de la société civile. Je préfère le terme organisation non gouvernementale. C’est encore mieux comme terme. Mais il ne faut pas utiliser le même mot que celui qu’on utilise pour parler des représentants du peuple. C’est tout.

Mais vous les comprenez?

Parfaitement.

Excellence cette présence militaire française n’est pas bien ressentie chez les Burkinabè?

Barkane n’est pas présente au Burkina Faso.

Si si. Il y a des citoyens qui estiment que cette présence de l’armée française n’est pas franche. Le soutien n’est pas assez conséquent pour lutter contre le terrorisme.

On ne peut pas dire une chose et son contraire en même temps. Soit vous voulez que l’armée française soit présente, soit vous ne voulez pas. Reprochez à la France d’être présente et vous lui reprochez de ne pas l’être. On est une puissance moyenne. On n’est pas les USA. On n’a pas les moyens énormes. Notre présence est plus forte au Mali. Puis que c’est ce pays qui était en crise en 2012-2013. Donc c’est ce pays-là qui bénéficie des opérations de maintien de la paix et qui bénéficie de l’opération spéciale des Nations unies pour mettre en œuvre les accords d’Alger visant à mettre fin au conflit et à résoudre le problème politique dans ce pays. C’est pour cela que nous sommes très présents au Mali. Nous étions aussi au Nigéria et au Tchad. C’est la zone de compétence de la France. Si d’aventure, les Burkinabè nous demandent d’intervenir, comme ce qui s’était passé à Inata, on le fera. Mais on ne peut pas être partout. On a donné du matériel au Bataillon burkinabè du G5 Sahel, on a formé deux fois les éléments du Bataillon, plus de 200 militaires en 3 ou 4 semaines. On a donné des formations spécifiées plus du matériel. Il y a d’autres partenaires qui peuvent aider.

Il y a le G5 Sahel qui n’est pas opérationnel sur le terrain. Qu’est-ce qui ne va pas?

Les critiques que l’on fait au G5 Sahel, on les entend partout. Elles sont un tout petit peu injustes quand même. La force conjointe a été décidée il y a deux ans. Le président Kaboré a beaucoup poussé l’avancement lors d’un sommet. Ce qui est devenu par la suite le fuseau centre de la force parce que c’a tardait. On a réussi enfin à avoir cette force conjointe. C’est quand même cinq pays. Certains ont désarmé. Au Burkina Faso, on s’est rendu compte qu’après Nassoumbou, l’armée burkinabè avait du mal à s’organiser pour lutter contre ce phénomène-là. Parce que c’est la première fois que le Burkina Faso doit faire face à ce phénomène-là. On s’est rendu compte que le régime du président Blaise Compaoré n’avait pas vraiment une armée digne de ce nom. Le président Compaoré a laissé l’armée régulière sans arme, sans entrainement, sans rien. Je n’invente rien. Ça se constate. Donc il a fallu. Si vous avez cinq armées de cinq pays différents qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble, c’est difficile. Il y a des armées qui sont très petites même en nombre d’hommes. Ça ne fait pas beaucoup. Les 12-15 milles soldats burkinabè, ce n’est pas énormes. Ce n’est pas de grosses armées et vous voulez leur demander d’être toujours efficace. C’est difficile. Je ne suis pas militaire mais ça fait 25 ans qu’on parle de politique étrangère et on n’arrive pas. Il faut être très réaliste et avoir des exigences qui soient à la hauteur des possibles. Je trouve que les progrès qui ont été  déjà faits sont importants. Le G5Sahel, il ne faut pas oublier qu’il a subi des coups au mois de juillet. Il y a eu des changements à la tête de la force conjointe. on reprend un peu tout. On est tous pressé. On a tous besoin que la paix revienne. Mais il ne faut pas jeter la pierre à la force conjointe. Moi je pense que ça marchera.

Nous le pensons aussi. Surtout avec la Chine qui a apporté un soutien considérable. Comment la France accueille ce nouveau partenaire du Burkina Faso?

Pour le moment, on n’a pas vu la Chine. Si la Chine veut appuyer, tant mieux. S’il y a d’autres partenaires qui viennent pour appuyer le G5 Sahel dans le cadre d’un dialogue multilatéral, c’est bien. Malgré tout, ça ne permet pas de renforcer cette unité. C’est un peu dommage.

Il nous est revenu que  France n’a pas bien accueilli la venue de la Chine.

Ah bon? Ah non. La parole de la France au Burkina Faso, c’est l’Ambassade qui l’exprime. Franchement, nous on est en relation avec la Chine depuis 1964. Cette année, ça fera 55 ans de relation entre la Chine et la France. Nous avons établi une relation diplomatique avec la Chine populaire avant les USA. ça ne va pas nous paraitre étrange que vous ayez des relations avec la Chine. C’est normal. C’est une décision souveraine de l’Etat burkinabè. La France n’a aucun commentaire là-dessus.

Parlons un peu des gilets jaunes qui secouent la France. La République n’est pas trop en marche en France.

Ecoutez, ce n’est pas la république qui n’est pas trop en marche en France. Je ne suis pas analyste de mon propre pays. Souvent, on voit les choses. Je me garderai bien d’analyser cette question. Même tout seul quand je réfléchis je ne sais pas ce que j’en passe de cette action des gilets jaunes. Il y a un débat, le président de la république a lancé un débat surpleins de sujets: la répartition des pouvoirs, la centralisation, la transition énergique, écologique. Il y a pleins de sujets. C’est ouvert à tous les Français même résidents à l’Etranger. Le débat ici sera coordonné par nos élus consulaires, ceux ont été élus par les Francais du Burkina pour les représenter à l’Assemblée des Français de l’Etranger qui elle-même réunit 340 Français élus. Ce sont eux les trois élus consulaires qui représentent trois partis différents qui vont organiser le débat. En tant que citoyen français, je vais participer. Je préfère garder ma réserve puisque je ne suis pas très très à l’aise. En tant qu’ambassadeur, j’ai un impératif de neutralité politique. Je ne suis pas très bien placé pour commenter cela. Je vois ça loin.

On voit des citoyens qui brulent, qui cassent. Ce n’est pas l’image qu’on a toujours eu de la France?

Il y a eu des épisodes de la violence en 2005 dans les Banlieues, en 2006. Ça arrive de temps en temps des poussées de fièvre comme ça.

Est-ce qu’il n’aura pas une insurrection en France?

Bon. Je ne pense pas. Comme la vôtre, vous voulez dire? Celle qui a abouti au départ du président Blaise Compaoré.

Oui, il y a des manifestants en France qui demandent le départ de Macron.

Oui bien sûr. Mais et alors? Sous Hollande aussi. Sous Sarkozy également.

Mais avec les gilets jaunes, les manifestations ont pris de grande proportion.

On est dans un Etat de droit.

Il y a eu pareille situation au Burkina Faso en 2014.

A l’époque, le Burkina Faso n’était pas une parfaite démocratie. Le président voulait tripatouiller la constitution une nouvelle fois pour pouvoir régner plus de 27 ans. Macron, c’est seulement 18 mois.

A l’époque on avait soupçonné la France de soutenir Blaise Compaoré.

Mais ce n’est pas vrai.

On vous a avait accusé aussi de soutenir le putsch.

Moi je n’étais pas là. Mais franchement, ce n’est pas correct. Mon prédécesseur, non seulement n’a pas soutenu le putsch mais il a même enguelé le Général Diendéré. Il me l’a dit lui-même. Il lui a dit mais “tu n’es pas digne”. On lui a retiré la légion d’honneur. il n’a pas vraiment soutenu le putsch et mon prédécesseur est allé aider à sortir le président Kafando. La France en tout cas, par mon prédécesseur, n’a pas soutenu le putsch. Non, ce n’est pas vrai. En revanche, son collègue des USA de l’époque ne s’est pas géné de dire au Général Diendéré “monsieur le président”. Rires. Lui, il était beaucoup plus douteux mon collègue américain.

Avez-vous un message à l’endroit des Burkinabè qui certainement ne comprennent pas la France et sa politique?

Il y a une chose qui m’a beaucoup frappé depuis que je suis arrivé, c’est que vous parlez très bien français. Mais beaucoup de Burkinabè parlent de la France en se fondant sur ce qu’a été la rélation entre la France et la Haute-Volta, en ayant une vision très ancienne de la politique française, en percevant la France comme l’ennemi qu’elle a pu être il y a 50 ans. Et pas en regardant la France  telle qu’elle est aujourd’hui. On n’est pas le même qu’on a été il y a 50 ans. Il faut que nous aussi on donne plus d’information sur la France, sur ce qu’on est. C’est quoi la France. En allant étudier en France, le jeune burkinabè découvre beaucoup mieux la réalité française, la vie politique. Tout n’est pas rose, tout n’est pas noir non plus. Il n’y a pas de raisons que les Burkinabè aient l’impression que la France leur fait du mal. Nous on a un intérêt au Burkina Faso qui est que le Burkina Faso soit stable. Puisqu’un pays stable on n’a pas besoin d’envoyer des soldats. C’est un pays qui se développe. Donc c’est bon pour les entreprises. C’est bon pour tout le monde. On n’est pas d’autres objectifs.

Excellence, est-ce qu’avec la situation sécuritaire, vous pouvez sortir pour prendre du thé au Cappucino?

Ça, je peux sortir. Mes collaborateurs qui sont plus libres que moi peuvent sortir. Je suis allé à Tougan, à Bobo et à Dori dernièrement.

Vous mangez des plats burkinabè?

Oui mais pas du to! Moi je n’aime pas du to. Sinon, il n’y a pas de problème.

On s’attendait à ce que l’Ambassade de France déménagé. Presque toutes les ambassades sont allées à Ouaga.

Ah là, non. Detrompez-vous. Les Suedois sont installés dans les locaux de l’Union européenne à Kwamé N’krumah. Les Autrichiens n’ont pas encore choisi. Il y a beaucoup de ministère ici. L’un dans l’autre, moi je travaille avec le ministère des affaires étrangères, le ministère de la sécurité, éducation, santé. Ce sont des ministères qui sont sur l’Avenue de l’Indépendance. Donc partir quand même à Ouaga 2000, ce ne sera pas moi. Peut-ètre mon successeur. Cette ambassade, je ne pense pas qu’on ait intérêt à déménager. C’est commode ici.

Qu’est-ce qui a changé depuis l’attaque du 2 mars 2018?

Il y a beaucoup de collègues qui ont été très frappés. Ce qui est normal. Surtout qu’il y avait des Français qui n’étaient pas très loin d’ici. C’est normal d’avoir peur quand on croit qu’on est la cible de quelque chose. Cela a beaucoup soudé les collègues entre eux. L’ambiance à l’ambassade est devenue encore de plus en plus meilleure. Malgré, on a pris des mesures de sécurité. La vie à Ouaga est facile. Il n’y a pas d’insécurité. Il n’y a pas de vol, il n’y a pas d’agression.

Et les enquetes?

Alors ça, c’est les juges, ce n’est pas moi.

Interview réalisée par Inoussa Ouédraogo

 

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