Corruption: Le Burkina s’enfonce, l’ASCE-LC prévient, «c’est une question de survie»

Les années se succèdent, le Burkina Faso plonge davantage dans le gouffre de la corruption. Les derniers rapports de l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE-LC) ont été remis au chef de l’Etat ce 4 janvier 2018. Le contrôleur général de l’Etat, Luc Marius Ibriga et ses collègues font un constat alarmant. Le Burkina Faso a mal en sa  gouvernance. 2016 et 2017 sont peints en rouge en termes de bonne gestion des deniers publics. Détournement de fonds, corruption et autres formes de manquements sont en recrudescence. Les fins limiers ne vont pas de lettre morte pour interpeller le président Roch Kaboré, son gouvernement et toute l’administration, «La prise de conscience de ce chaos est urgente. C’est une question de survie».

 

Trois rapport ont été  remis au chef de l’Etat. Le rapport synthèse de l’audit n-1 de la gestion 2017, le rapport de contrôle de 2016 et le rapport annuel d’activité 2017. Le constat est amer, plus on avance dans le temps, plus les deniers publics sont pillés avec ardeur. « Entre 2015 et 2016 on avait constaté une amélioration des indicateurs, ils sont repartis à la hausse en terme de dégradation», a regretté le contrôleur général de l’Etat à l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE-LC), Luc Marius Ibriga à sa sortie d’audience avec le chef de l’Etat, Roch Marc Christian Kaboré.

 

A titre d’exemple, alors que les détournements et les manquants de caisse étaient estimés à 0,32 % en 2016, ils sont passés à 75,15% en 2017. Les absences de pièces justificatives qui étaient de 0,66% en 2016, ont flambé à 13,05% en 2017. A ces niveaux, les montants cumulés sont de l’ordre de 10. 016.547.059 F CFA. Les manquements dans les commandes publiques et procédures exceptionnelles(ententes directes) alors de 0,57 en 2016 sont passées à 2,25% en 2017.

 

« Malgré la remarque faite par l’ASCE-LC en 2016 pour favoriser une gestion optimale des ressources publiques et une amélioration de la bonne gouvernance économique , force est de constater que l’utilisation et la gestion des comptes de dépôt , des régies d’avances , du carburant et des lubrifiants se font au dépens de la procédure normale d’exécution des dépenses, toutes choses qui constituent des risques de non atteinte des objectifs du gouvernement, de détournement de fonds , de corruption , d’enrichissement illicite , de perte d’image et de l’autorité de l’Etat», peut-on lire dans les documents remis. Pour l’institution de controle, la situation est donc préoccupante.

 

Ce laisser-aller à l’inobservance  des règles de gestion est la traduction du sentiment, au sein de l’administration , que les pratiques de corruption ne sont pas des opérations à risques du fait du manque de sanctions dissuasives et de l’impunité ambiante, constate l’Autorité.  Répondant aux questions des journalistes après avoir remis les rapport au chef de l’Etat, Luc Marius Ibriga a appelé à un «réarmement éthique» de tout un chacun. Au chef de l’Etat, les visiteurs ont demandé de secoué le cocotier pour faire tomber les voleurs de la république.

 

Pour ce faire, les visiteurs ont exhorté le président du Faso à oeuvrer pour l’effectivité et l’opérationnalisation des conseils de discipline au sein de l’administration. Il le faut car le constat actuel est que la situation installe et nourrit une culture de l’impunité et de la médiocrité. Aussi, l’ASCE-LC demande au président Kaboré, et à l’administration l’élaboration de manuels de procédure pour encadrer les actions de la maison commune qu’est l’administration. Les pratiques actuelles laissent entrevoir que la plupart des services et pas des moindres,  travaillent dans l’improvisation et de façon informelle, toute chose qui ouvre une voie royale à toutes les dérives.

 

Chaque année, des rapports sont produits. Des agents indélicats passés maitres dans le pillage des ressources sont débusqués. Mais les sanctions se font toujours attendre. L’institution de contrôle a ainsi l’impression de prêcher dans le désert. Pour changer la donne, ils ont suggéré au locataire de Kossyam, la mise en œuvre des recommandations à l’endroit du gouvernement.

 

Il s’agit entre autres, de privilégier la mise en concurrence pour plus de transparence et de gains économiques dans la commande publique ; de mettre d’avantage l’accent sur le strict respect des procédures de passation et d’exécution de la commande publique. Aussi, il faut réduire le nombre de comptes de dépôts de fonds par structure du gouvernement et encadrer leur utilisation par l’identification des dépenses y éligibles , la clarification des procédures d’acquisition des biens et services…

 

«Si on peut se féliciter de l’engagement du chef du gouvernement à veiller à cette mise en œuvre et à interpeller régulièrement les membres de son gouvernement à cet effet, reste qu’au bilan , les résultats sont mitigés »,  indique le rapport synthèse de l’audit n-1 de la gestion 2017. Une rencontre semestrielle entre l’ASCE-LC et le gouvernement pour suivre de près la mise en œuvre des recommandations est donc souhaitée.

 

Corruption et insécurité, un couple vicieux

 

Dans le rapport général annuel d’activité 2017, le message du contrôleur général d’Etat ne fait pas dans la dentelle. Il établit un lien consubstantiel entre corruption, détournements de fonds et la situation d’insécurité que vit le Burkina Faso. L’Etat a besoin d’investir d’importantes sommes d’argent afin de permettre à l’armée, à l’administration  d’être à même de répondre aux défis que lui oppose l’hydre terroriste. «A quoi bon mobiliser des ressources à cet effet si, du fait de la corruption, les budgets de plus en plus importants dépensés n’induisent aucun changement positif en faveur de la tranquillité́ des populations», tranche Luc Marius Ibriga. Pour lui donc,  il n’y aura pas de véritable sécurité́ sans une véritable lutte contre la corruption, sans un dépassement des égoïsmes individuels qui poussent à s’accaparer, à son seul profit, des ressources destinées au plus grand nombre ou à fermer les yeux sur des méthodes et pratiques illicites au seul bénéfice de ses intérêts personnels.

 

Le message est clair, il faut certes demander aux contribuables des efforts de guerre, mais il faut traquer les délinquants économiques qui assèchent les caisses de l’Etat. Sans quoi, milles taxes sur le dos des Burkinabè ne résoudront rien.

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