Nouveau gouvernement: Les dernières cartouches de Roch

32 soldats pour un ultime combat. Ainsi pourrai-t-on qualifier le gouvernement de Christophe Joseph-Marie Dabiré dévoilé dans l’après-midi du 25 janvier 2019. A plus d’un an de la fin de son mandat, le président Roch Kaboré a choisi des hommes et femmes qui sans doute, estime-t-il,  pourraient lui permettre d’engranger des résultats rapidement. Ce gouvernement-là est une sorte de dernière chance, tant beaucoup s’accordent à dire que  le MPP peine à marquer qualitativement la rupture d’avec les anciennes méthodes de gouvernance tant décriées et qui ont été le ferment de l’insurrection populaire. Au regard du contexte national, les Burkinabè n’ont d’yeux que sur certains ministères. La défense nationale, la sécurité, et les finances notamment. Le trio de  nouveaux venus Moumina Chériff Sy, Ousséni Compaoré, Lassané Kaboré cristallisent beaucoup d’espoirs. Et c’est une lapalissade de le dire.

 

La situation n’est plus aux calculs politiques. Dos au mur, le président Roch Kaboré n’a plus autre choix que d’être un chasseur de résultats, au plus vite. Cela y va du devenir même du Burkina Faso qui suffoque d’un peu partout, et disons-le tout net, qui ne contrôle plus l’entièreté de son territoire. C’est sous le pouvoir du président Roch Kaboré que des portions des plus de 274000 km2 sont en passe d’être cédées à l’ennemi. C’est une responsabilité historique qu’il risque de porter si la situation ne change pas. Il le sait. Ce premier gouvernement est la preuve qu’il a pris la pleine mesure du danger qui le guette.

Jean Claude Bouda, jusqu’alors ministre de la défense nationale et des anciens combattants; ami d’enfance du président et secrétaire  chargé de la réforme de l’Etat du MPP, parti présidentiel. Congédié!

Clément Pengdwendé Sawadogo, compagnon politique de longue date de Roch Kaboré, et 2e vice-président chargé des relations avec les partis politiques et les alliances au niveau national du MPP. Remercié. Ces deux poids lourds quittent le navire gouvernemental et ce n’est pas de gaieté de cœur que le chef suprême des armées l’a décidé. Dans l’histoire des nations, il y a souvent des décisions difficiles qu’il faut savoir prendre, surtout quand les agneaux sacrificiels flottaient dans leurs enclos. Avec Simon Compaoré, lui-même président par intérim du parti présidentiel et qui a aussi été mis au repos,  ils iront préparer les élections. Lesquelles élections vont se jouer à partir des résultats qu’aurait obtenus ce gouvernement qui s’attèlera à rattraper ce qui peut encore l’être.

 

Ces séparations sont un message de prise de conscience à laquelle nous n’avons cessé d’exhorter dans ces colonnes. C’est aussi et nous y croyons, un début d’émancipation du président Roch Kaboré vis à vis des diktats de sa chapelle politique. Comme lui-même l’a dit lors de son discours d’investiture, il est le président de tous les Burkinabè et il avait juré de les protéger. Il n’est pas le président du MPP, ni des caciques de ce parti politique. Il se trouve que les Burkinabè souffrent comme jamais ils n’ont souffert. Il se trouve que des mères ne dorment plus marquées par la mort de leurs fils au front. Des femmes à la fleur de l’âge sont veuves, parce que leurs maris partis défendre le territoire national sont tombés les armes à la main. Des orphelins se comptent de plus en plus à la pelle dans ce Burkina Faso jadis si paisible. Les morts se comptent par centaines du fait du terrorisme.

Le nouveau premier ministre, Christophe Dabiré
Le nouveau premier ministre, Christophe Dabiré

Si l’on est tous d’accord que la menace terroriste n’est pas seulement localisée au Burkina et que la guerre asymétrique qu’elle implique est difficile à mener, il faut toutefois reconnaître que l’acharnement des forces du mal sur le pays des hommes intègres finissait par convaincre que ce pays était devenu le ventre mou de tous les pays de la sous-région en matière de lutte anti terroriste. Ce n’est pas une question d’homme, me direz-vous ? Certes, mais l’immobilisme observée malgré les insuffisances de résultats doivent interpeller et quand les hommes que vous commandez grognent  et doutent de vos capacités à diriger le bateau, à défaut de tirer les conséquences, il faut vous aider à prendre le large.

 

Un chérif au front, le défi de sa vie

 

Il se dit que Moumina Chérif Sy désormais ancien haut représentant du chef de l’Etat n’est pas en terrain inconnu avec son nouveau costume, ou disons boubou, de ministre de la défense nationale et des anciens combattants. Son poste de haut représentant l’amenait à jouer des rôles de  sécurocrate. Lors de la restitution d’une étude menée par le thing tank Free Afrik à Bobo, il disait ceci : “ Je connais ce qui se passe au nord le jour le jour (…) je connais la réalité de nos troupes (…) quand à un moment donné vous avez eu un pouvoir qui a travaillé à fragiliser totalement notre armée, il faut reconstruire et rééquiper cette armée. Ce qu’on ne dit pas, c’est qu’il y a des milliards qui sont mis dans le rééquipement et l’entrainement de notre armée”. Maintenant aux affaires, ses actions et décisions seront scrutées.

Cheriff Moumina Sy, ministre d’Etat, chargé de la défense

Fils du Général de corps d’armée Baba Sy (Chef d’état-major des forces armées voltaïque de  1968 à 1979, et pendant quatre ans, ministre de la défense nationale et des anciens combattants), l’ancien président du Conseil national de la transition est jusque-là connu comme ce journaliste dont la plume n’a pas  fléchi, même dans les périodes les plus hostiles. L’homme qui par la suite a pris la tête de la résistance au coup d’Etat de septembre 2015 a  convaincu de son patriotisme. Désormais loin de son poste ambiguë et taillé sur mesure de haut représentant, le journaliste à la plume sans concession est très attendu. Inutile de faire un dessin de ce qu’est devenu le Burkina Faso sur le plan sécuritaire.   El commandante, comme certains l’appellent devrait tirer leçon des échecs de  ses prédécesseurs, prouver qu’il a l’étoffe pour le job,  travailler à unir les différentes forces engagées sur la lutte anti terroristes, taire les querelles improductives entre unités pour casser l’ennemi .  Et en la matière il ne sera pas seul.

 

 

Ousséni Compaoré, un homme du sérail

 

 

Le deuxième personnage de ce gouvernement très attendu, c’est Ousséni Compaoré nommé ministre en charge de la sécurité. Colonel de gendarmerie à la retraite, et magistrat militaire, ce proche du président Thomas Sankara a été commandant de la   gendarmerie sous la révolution avant d’entamer une carrière internationale notamment au haut-commissariat pour les réfugiés. Lors du 31e anniversaire de l’assassinat du leader de la révolution d’aout 1984, l’actuel ministre de la sécurité avait animé un panel sur le thème, “Politique sécuritaire sous le CNR : quels enseignements pour la situation sécuritaire actuelle au Burkina Faso” ? C’était à l’amphi A 600 de l’université Ouaga1 Pr Joseph Ki-Zerbo en octobre 2018. C’est donc un homme du sérail, qui saura sans doute trouver l’alchimie nécessaire pour sortir le Burkina Faso de l’impasse. Le nouveau ”flic” semble avoir vite compris l’enjeu. Dès sa prise de fonction dans la soirée du 25 janvier, il reconnaissait que l’heure n’est pas au discours. « Cette mission est une mission d’Etat, une mission d’engagement, une mission de combat, une mission qu’il faudra exécuter 24h/24. Et je sais compter sur vous tous. Je suis dans mon milieu. Les 23 années aux Nations Unies ne m’ont pas du tout délavé de mes engagements sécuritaires, de mes engagements de gendarme, de mes engagements de policier, de mes engagements de citoyen burkinabè tout court. Je suis toujours Burkinabè à 100% et je vais me battre avec vous pour que nous réussissions. Retroussons nos manches dès maintenant, car le travail est immense. Mon seul souhait, c’est que nous arrivons ensemble ». Le ton est donné.

Ousséni Compaoré en charge de la sécurité

Dans tous les cas, jugeons-les à l’action. Mais comme l’a dit et répété le chef du gouvernement à l’issue de la prise de contact avec la nouvelle équipe gouvernementale, la lutte contre le terrorisme ne saurait être abandonnée aux seules mains des ministres, du gouvernements ou même des Forces de défense et de sécurité. Chaque Burkinabè doit être une sentinelle, toujours éveillée pour donner l’alerte, signaler tout mouvement suspect. Le renseignement est le nerf de la guerre dans cette guerre asymétrique.

 

 

De la poigne pour gérer les finances

 

 

En plus de la situation sécuritaire, la priorité des autorités, c’est la relance économique du pays. La guerre coute chère, surtout pour une armée à reconstruire. Raison pour laquelle nous estimons que ces trois ministères sont intimement liés dans ce contexte.  Les chantiers sont énormes et il faut des ressources pour les relever. La désormais ancienne ministre de l’économie, des finances et du développement Rosine Coulibaly a fait des pieds et des mains pour rationaliser les ressources publiques. L’épineuse question des fonds communs a fait trembler la république. Son successeur prend là, un ministère hautement sensible où les intérêts des quelques bénéficiaires des fonds communs  ne devraient en aucune manière primer sur  les intérêts des millions de Burkinabè. Dame Coulibaly a révélé la caverne d’Ali Baba au grand public qui fut choqué. Lassané Kaboré devrait continuer le plafonnement de tous ces avantages qui assèchent le panier commun, alors qu’il est demandé au commun  des Burkinabè de consentir et de continuer de consentir des sacrifices.

Lassané Kabor, le nouveau argentier du Faso

Ancien directeur général de la coopération, Lassané Kaboré et cadre de la BCEAO, devrait consolider les acquis obtenus par dame Coulibaly et parachever les chantiers qu’elle a lancé. Dialogue avec les partenaires sociaux oui, mais il devrait savoir rappeler à l’ordre certains de ses interlocuteurs qui sont prêts à tout paralyser pour garder un statut de super fonctionnaire.

 

La cohésion sociale,  l’autre chantier

 

L’une des innovations du premier gouvernement  de Christophe Joseph-Marie Dabiré, c’est la création d’un ministre délégué auprès du ministre de l’administration territoriale, de la décentralisation et de cohésion sociale, chargé de la cohésion sociale. Ce porte- feuille est occupé par Madiara Sagnon. Le drame survenu à Yirgou en début d’année avec le massacre intercommunautaire, la  poussée de fièvre à Nafona, et Orodara, ont bruyamment rappelé aux Burkinabè que le vivre ensemble est fragile et se cultive chaque jour.  Il suffit d’une petite étincelle pour mettre le feu aux poudres.

Madiara Sagnon, chargée de la cohésion sociale

 

Ces cas répétés de tueries entre populations fragilisent et mettent à mal  la cohésion nationale. Et la nouvelle titulaire du poste de la cohésion, Madiara Sagnon a devant elle, un défi énorme, au-delà des discours. Travailler à raffermir les liens, et surtout à éteindre les foyers de tensions avant que le pire ne survienne. Les causes profondes devront être recherchées et sans détours les affronter, discutées pour une catharsis nationale. Sa place ne sera pas dans un bureau, mais sur le terrain avec ses collaborateurs pour prêcher la bonne parole, celle du pardon, de la tolérance, de l’acceptation de l’autre dans sa différence.

 

Yirgou doit être la fin de la barbarie humaine, et la ministre  déléguée auprès du ministre de l’administration territoriale, de la décentralisation et de cohésion sociale, chargé de la cohésion sociale n’aura pas beaucoup de temps pour apprendre à être ministre. La situation commande qu’elle enfile vite sa tunique de paix pour aller à la rencontre des communautés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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