An 5 de l’insurrection populaire : ‘’bourreaux’’ et ‘’victimes’’, réclament tous justice

Une trentaine de personnes ont perdu la vie au cours de ces deux jours des 30 et 31 octobre 2014

Cinq ans après l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre  2014 qui a balayé le pouvoir de l’ancien président Blaise Compaoré au Burkina Faso, les stigmates de la violence sont toujours perceptibles chez les protagonistes. Certains blessés en dépit des soins reçus, portent toujours les traces des blessures quand ce ne sont pas les balles assassines  qu’ils continuent de trimballer dans leur chair. De même, les parents des martyrs attendent toujours que la lumière soit faite sur les conditions dans lesquelles leurs proches ont perdu la vie. Que dire alors de ceux qu’on dit être à l’origine de ces violences, ceux qui voulaient ce jour-là voter la loi qui permettrait au président Compaoré de s’éterniser au pouvoir, les députés? Eux aussi, tout comme les ‘’insurgés’’ blessés, attendent impatiemment que la justice fasse son travail.

 

Par Inoussa Ouédraogo

Ils ont été au cœur de l’insurrection populaire d’octobre 2014. Les députés de la majorité de l’époque, ceux par qui la modification de l’article 37 de la constitution devrait passer, ont connu des fortunes diverses. La plupart d’entre eux n’ont pas été épargnés. Par exemple, le député Alain Yoda à l’époque président du groupe parlementaire CDP, a vu trois de ses domiciles brûlés. Gisèle Guigma, une ancienne ministre et député du CDP, a elle aussi assisté impuissante à la mise à sac et à feu de ces deux villas de Ouagadougou et de Léo. Idem pour le député Rasmané Ouédraogo du CDP qui a perdu deux véhicules, ainsi que son domicile qui a été  également saccagé et incendié. Gilbert Noël Ouédraogo qui était de la majorité et Président de l’ADF-RDA a lui aussi énormément perdu. Que ce soit dans sa ville natale, Ouahigouya  où dans la capitale burkinabè, l’homme politique a vu presque tout partir en fumée en l’espace d’une demi-journée.

Au soir du 30 octobre 2014, certains députés se sont  donc retrouvés pratiquement sans toit et n’ont échappé de passer la nuit à la belle étoile que grâce à la magnanimité de certains de leurs parents ou amis. « Certains de nos camarades ont d’abord passés quelques nuitées dans des hôtels avant de se trouver des maisons en location dans les périphéries de la ville », témoigne un député sous le couvert de l’anonymat.  « Vous savez, j’ai peur de ce pays. Nous autres, n’avons plus droit à la parole. Pour un rien, des personnes instrumentalisées reviendraient mettre le feu, donc je suis prudent », s’empresse-t-il d’ajouter.

Au total, ce sont d’après une des victimes, une quarantaine de maisons et ou véhicules, qui ont ainsi été calcinés les 30 et 31 octobre 2014. « C’était vraiment pénible. Nous avions pratiquement tout perdu. Nous n’imaginions pas que dans notre pays qui était magnifié pour sa tolérance, des contradictions politiques déboucheraient sur autant de violence et sur l’utilisation du feu», explique un autre député désabusé… « Pendant deux décennies, poursuit-il,  j’ai évolué dans le secteur privé. J’ai construit et gagné honnêtement ma vie. Et du fait de mon engament politique, des gens sont venus tout détruire. Pourquoi ? Avait-on besoin d’en arriver-là entre frères pour des désaccords politiques ? S’interroge-t-il. Ajoutant que ce n’ai pas l’argent de la politique qui a servi à construire sa maison.

Cinq ans après la tempête politique qui s’est abattue sur eux, ils sont nombreux ces députés de l’ex majorité à avoir du mal à se relever. Surtout que la plupart s’étaient endettés auprès des banques pour s’acheter des véhicules ou pour s’équiper à la hauteur de leur nouvelle fonction de parlementaire. Aujourd’hui, les banques sont à la trousse de certains, des huissiers menacent de saisir les biens d’autres. Et la plus part, même s’ils se refusent à l’accepter, sont devenus la risée des autres quand ils ne tirent pas simplement le diable par la queue.  « Nous avons le sentiment d’être des réfugiés dans notre propre pays», confie un autre, le regard lointain avant de se demander : «  aurions-nous un jour réparation de tous ces préjudices ? Même nos droits légaux de députés nous sont refusés. Mais pourquoi autant d’injustice ? Où est passée notre justice ? s’interroge-t-il.

De sources bien introduite, il nous est revenu que les députés se sont organisés en association et aurait saisi le Haut Conseil pour la Réconciliation et l’Unité Nationale afin d’obtenir réparation.

Les parents des victimes attendent aussi la justice

5 ans se sont écoulés, mais les stigmates des violences de l’insurrection populaire sont toujours gravés dans les mémoires des insurgés quand ce n’est pas sur leur corps. Dramane Ouédraogo fait partie de ceux-là. Ce jour-là, le 30 octobre 2014,  il a reçu sur le crâne un morceau de brique alors qu’il essayait de désarmer un militaire qui venait d’ouvrir le feu sur des manifestants. « Nous étions aux encablures du domicile du Président du CDP (Ndlr, Assimi Koanda, réfugié avec Blaise Compaoré et d’autres camarades en Côte d’Ivoire). Alors que j’essayais de maîtriser le militaire dans sa folie, un autre militaire est arrivé, s’est emparé d’une brique et l’a fracassé sur mon crâne », explique celui qui est aujourd’hui le président de l’Association des blessés de l’insurrection.

  1. Ouédraogo, la soixantaine, a ainsi passé 25 jours dans le coma et 4 mois alité. Aujourd’hui, même s’il se sent nettement mieux, il dit continuer d’en souffrir. Pendant longtemps témoigne-t-il, l’homme ne reconnaissait ni son épouse, ni ses enfants… Mais aujourd’hui, il dit rendre grâce à Dieu. Car d’autres, moins chanceux, ont perdu la vie. Toutes les richesses de ce monde, explique-t-il, ne pourront pas les faire revenir à la vie. « C’est à eux que je pense. Je pense aussi à ces gens qui souffrent toujours atrocement de leur blessure. « Il y a un autre qui a perdu un œil. A l‘heure où je vous parle, il est à Paris, errant, sans domicile fixe, abandonné à lui-même alors qu’il y a été transféré par les autorités pour recevoir des soins », détaille le président de l’Association des blessés de l’insurrection. De quoi faire regretter certains insurgés qui ont le sentiment d’avoir été abandonnés à leur sort par les autorités actuelles du pays. En tous les cas, Dramane Ouédraogo et ses camarades attendent eux-aussi que la justice burkinabè les situe un jour sur les responsabilités de chaque acteur. « Il faut bien que ceux qui tenaient coûte que coûte à rester au pouvoir en modifiant l’article 37 de la constitution puisse payer un jour » conclue-t-il.

 

Des regrets, oui… mais…

«  Il y a des moment où quand on regarde la situation du pays, on est découragé. Mais attention. On ne regrette pas d’avoir fait l’insurrection, mais de ne l’avoir pas achevée… », souligne pour sa part Amadou S, un autre jeune, qui était au cœur des manifestations ayant provoqué la chute de Blaise Compaoré. Le quadragénaire reconnaît que les pillages, les incendies des maisons de certaines personnes étaient des débordements. « Nous n’avions pas planifié tout ça. C’est le mouvement de foule. Nous ne connaissions pas ceux qui pillaient et brûlaient. Nous étions paniqués, excités et révoltés par l’arrogance de ceux qui étaient en face de nous  et qui ne voulaient pas entendre raison», explique-t-il. « Nous avions l’impression que c’était eux ou nous », ajoute-t-il avant de s’interroger : « Mais que vaut le matériel que ces gens ont perdu par rapport aux vies perdues et aux blessés à vie que nous avions enregistrés »?

Le Président de l’Association des blessés de l’insurrection va dans le même sens lorsqu’il martèle : « Ils ont joué, ils ont perdu. S’il y a quelqu’un qui doit les dédommager (ndlr, les députés de l’ex majorité), c’est bien Blaise Compaoré. Qu’ils aillent le voir à Abidjan, car c’est lui qui les a mis dans cette situation».

Ainsi donc, que ce soit les députés de l’ancienne majorité qui ont perdu le pouvoir les 30 et 31 octobre 2014 ou encore les manifestants qui se sont insurgés contre le pouvoir de Blaise Compaoré, chaque camp se perçoit comme étant une « victime » de l’insurrection et voit en l’autre son  « bourreau ».  Toutefois,  le facteur commun à ces protagonistes de l’histoire récente du Burkina, c’est leur volonté de voir la vérité, toute la vérité se manifester un jour autour des événements tragiques des 30 et 31 octobre 2014.  Les regards sont donc tournés vers la justice pour enfin situer les responsabilités des différents acteurs dans cette affaire que le pays traîne depuis déjà 5 ans et qui rend difficile la réconciliation tant souhaitée. Puisque, l’insurrection avait fait une trentaine de morts.

 

 

 

 

Laisser un commentaire

shares