Burkina Faso : (re) naître des cendres du coronavirus et de l’extrémisme violent ou demeurer dans les liens

Depuis plus de 4 ans, le Burkina Faso fait face au terrorisme qui a endeuillé plusieurs centaines de familles (DR)

Une de nos ultimes convictions est que pour les individus comme pour les peuples, les épreuves sont les plus grandes opportunités de se découvrir, de se projeter et de se construire. Le Burkina Faso est à priori déjà le pays le plus éprouvé par l’extrémisme violent en Afrique de l’ouest. Il fait aussi aujourd’hui partie hélas dans cet espace, des pays les plus touchés par le covid 19, ce minuscule mais téméraire guerrier  qui a descendu toutes les grandes puissances du monde de leur piédestal. Les deux fléaux se sont donnés rendez-vous dans notre pays et ont mutualisé leurs capacités de nuisance pour mettre à nue la très grande fragilité de tous nos systèmes, en particulier ceux de la défense, de la santé, de l’éducation, de la recherche et de la solidarité. Il faut espérer donc qu’ils nous suggèrent d’interroger sincèrement et véritablement notre société, le contrat social qui nous lie et les domaines sur lesquels reposent notre existence et nos espoirs en tant qu’Etat.

Par BOUBACAR  Elhadji

 

Interroger le système sécuritaire actuel et repenser l’école

Il faut se convaincre qu’ils nous obligent à revoir notre système de défense et de sécurité qui a montré ses limites objectives face aux défis du moment. La force d’une armée réside dans sa capacité à défendre et à protéger la vie, à rassurer, à préserver l’intégrité du territoire,  à inspirer  aux citoyens non pas la peur mais la sérénité, à incarner la justice et l’équité. Depuis la fin de la révolution d’août 1983, la géographie et l’histoire de notre système sécuritaire ont offert beaucoup d’espaces de liberté et d’actions aux potentiels ennemis de notre pays. En zone rurale par exemple, la présence des forces de défense et de sécurité était devenue extrêmement faible et les représentations qu’avaient les populations de ces forces étaient très peu positives. Nous ne sommes pas certains que dans beaucoup de zones rurales qui échappent au contrôle de l’Etat, cette perception se soit améliorée dans le contexte de l’extrémisme violent actuel. S’il ne s’est pas dégradé davantage. Il faut rechercher les causes de tous ces problèmes et en tenir compte dans les années à venir pour construire une armée capable de faire face à tous les défis. Dès à présent, il est utile d’envisager de faire des zones rurales le vivier de recrutement des soldats, d’œuvrer au renforcement des équipements adéquats et de la formation, de définir une politique sécuritaire qui intègre effectivement l’organisation et l’apport des populations aux forces de défense et de sécurité dans l’exécution de leur mission.

Pour ce qui concerne l’éducation, domaine porteur de tous nos espoirs, le travail à faire demeure titanesque. D’ores et déjà, il faut commencer à réfléchir à l’après-crise en se penchant sur les scénarii de restauration de l’école dans les zones fortement touchées et qui ont vu l’essentiel de leurs établissements scolaires fermés. Il s’agit entre autres de la restauration des infrastructures, des équipements, de la disponibilité d’un personnel enseignant et d’encadrement qualifié dans l’immédiat, d’un investissement massif susceptible de réduire les disparités de toutes sortes créées par l’extrémisme violent. Le plus grand défi des pouvoirs publics dans les années à venir sera  d’avoir des perspectives pour les exclus actuels de l’école du fait de l’extrémisme violent, mais aussi, de prendre des mesures susceptibles de minimiser la distanciation en matière d’enseignement et de formation des enfants des régions du sahel et de l’Est en particulier, et en général de toutes les régions touchées, par rapport à ceux de celles qui ne seront pas ou qui seront moins déstabilisées par l’extrémisme violent.

Notre école doit être repensée à travers des contenus et des approches favorisant chez les apprenants la connaissance de l’histoire, de la géographie, des cultures et de la sociologie des peuples du Burkina Faso. C’est ainsi qu’on lui permettra de jouer un rôle majeur dans la formation de citoyens capables de favoriser la coexistence entre les différentes cultures et ethnies du pays. La connaissance mutuelle est l’un des facteurs majeurs qui favorisent le vivre-ensemble. Au-delà de cette perspective, il est utile de réfléchir à un encrage des contenus dans nos cultures et valeurs tout en restant ouvert au monde. Nul ne peut se développer à partir de la culture et des valeurs d’autrui mais aussi sans s’ouvrir aux autres. Notre entêtement à nous aligner derrière l’Europe a fait de nous jusque-là des êtres hybrides : ni européens, ni africains, incapables de trouver une voie originale de développement. Il faut affranchir notre école des objectifs de celle coloniale qui nous tiennent toujours en étau ; il faut la bouleverser. Vous ne pouvez pas emprunter le même chemin, utiliser les mêmes moyens que celui qui vous a distancé et espérer le rattraper ou le dépasser.

Quid de la solidarité, de la santé et de la recherche…

S’agissant de la solidarité, le covid 19 et l’extrémisme violent nous ont aussi montré qu’il ne reste que le nom de la légendaire solidarité africaine. S’impose à nous le devoir de réinterroger le concept et la pratique de la solidarité en Afrique pour déterminer/définir un système/dispositif de solidarité inspiré de nos valeurs et de nos cultures, et porté par elles. Nos structures ethnoculturelles bien que fortement déconstruites, restent différentes de celles de l’Europe. Notre système de solidarité pour ne pas manquer ses objectifs, devrait donc se baser sur nos cultures et valeurs pour mieux les promouvoir. Les observateurs avisés ont pu remarquer à quel point les collectivités ont brillé par leur absence sur le terrain de la solidarité vis-à-vis des déplacés internes victimes de l’extrémisme violent. Très peu de collectivités ont prévu ou dégagé un minimum de moyen pour contribuer à offrir un minimum de dignité aux déplacés. Si l’on convient que la décentralisation est un choix politique qui ambitionne de faire des élus locaux (et avec eux les populations) des acteurs de développement à la base, il est utile que les collectivités soient des niveaux de réflexion et d’opérationnalisation d’un système (dispositif ?) inclusif de solidarité inspiré de nos réalités culturelles et de nos valeurs sociétales.

Le COVID-19 à lui aussi fait environ quarante décès au Burkina Faso à la date du 20 avril 2020

Un autre secteur qui appelle une nouvelle vision est celui de la santé. La qualification du personnel doit être la première préoccupation. Quelles sont les compétences, les aptitudes et les attitudes à donner aux acteurs de la santé dans un monde confronté à de perpétuelles crises sociopolitiques, sanitaires et à des catastrophes naturelles ? L’on pourrait définir le type d’infrastructures, d’équipements et de personnels nécessaires par niveau : commune, province, région et niveau national. En une décennie, nous pouvons créer dans au moins 1/3 des communes et dans chaque chef-lieu de région, des structures de santé modernes, animées par des personnels qualifiés, capables de gérer tous les cas ou presque.

La recherche, cette épouse marginalisée dans les Etats du sud comme le nôtre, doit porter la décennie à venir, nos politiques de développement. L’éducation, l’agriculture, l’élevage, la santé, l’environnement et la gouvernance doivent être au cœur des préoccupations et des occupations de nos chercheurs. La recherche appliquée en particulier, doit être une réalité si nous voulons être une nation innovante, capable de résoudre ses propres contradictions et de repousser les limites de son développement. Aucun pays au monde ne peut espérer le développement sans consacrer à la recherche la place qui lui revient. Jamais nous ne pourrons nous projeter et nous développer sans recherche. Il nous appartient de repenser notre politique dans ce domaine en lui consacrant les ressources nécessaires après lui avoir assigné les objectifs qui s’imposent dans un monde en perpétuelle mutation.

Terminons en précisant que vingt (20) années suffisent pour transformer radicalement et positivement les mentalités, la qualité, le cadre et le niveau de vie et l’environnement des burkinabè pour amorcer le développement véritable du Burkina Faso. Il suffit de donner la priorité à un ou deux secteurs maximum pour chaque mandat présidentiel (aussi au niveau des collectivités) et réussir à le faire. Et il faudra oser et avoir l’audace nécessaire de compter sur nous-mêmes pour le financement des investissements prévus. Et c’est très possible. Supposons que sept millions de burkinabè sont âge de voter. Si chacun d’eux donnait 125 f par mois, il est possible de construire chaque année un hôpital ou une grande école de dix milliards.  C’est probablement  bientôt les élections. Les futurs prétendants au fauteuil présidentiel (ceux des collectivités aussi) doivent faire des épreuves que nous vivons actuellement des sources d’inspiration profonde. Une chose est certaine : si au sortir des épreuves auxquelles nous faisons face depuis toujours et encore plus depuis au moins 2015, nous ne changeons pas de façon de voir et de faire pour nous construire, c’est que nous manquons d’ambition pour notre pays, nous ne l’aimons pas et nous avons pris l’engagement de compromettre pour un siècle au moins, l’avenir de nos enfants, de nos petits-enfants et de nos arrières petits-enfants. Dans un monde devenu de plus en plus impitoyable, il faut être téméraire comme le covid 19 pour tout déconstruire et envisager un nouvel avenir prometteur. Et pour le Burkina Faso, c’est le moment ou jamais de le faire.

 

. BOUBACAR  Elhadji est Inspecteur de l’Enseignement du 1er Degré à Dori dans la Région du Sahel au Burkina Faso

boubacar.elhadji@yahoo.fr

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