La littérature: L’autre passion de Norbert Zongo

Dans l’introduction au livre, « Le sens d’un combat » qui reprend les éditoriaux de Norbert Zongo,  il est dit de lui qu’il était un homme –orchestre. A vrai dire, on ne pouvait pas trouver une autre expression pour qualifier cet homme hors du commun et pour cause. Norbert Zongo était journaliste, directeur de publication, scénariste, conférencier, militant des droits de l’Homme, animateur d’association, photographe, guide de chasse, écrivain. En ce 20ème anniversaire de son assassinat, quoi de plus normal que de lever un pan du voile sur l’une de ses nombreuses passions en l’occurrence, celle de romancier. Il s’agit en réalité, d’un article que nous avons déjà publié il y a deux ans, à l’occasion du 18è anniversaire de l’assassinat de ce célèbre journaliste.

On dit de Norbert Zongo qu’il était un journaliste engagé. Mais ce n’était pas tout. Norbert Zongo était également un écrivain engagé. En effet, que ce soit dans Le parachutage ou dans Rougbenga, deux de ces romans, « il décrivait déjà la quête de la liberté, la nécessité de vivre, le droit d’être ». Il y dépeignait « sans fausse pudeur les sociétés africaines coloniales et post-coloniales marquées par la corruption, l’affairisme, l’intolérance, l’exclusion, le culte de la personnalité ».  De ses deux romans, Le parachutage est celui qui a connu et qui connait une meilleure fortune. « Parachutage » est au programme au secondaire au Burkina Faso et est abondamment lu. Quand on sait que les œuvres littéraires de Burkinabè qui sont au programme au secondaire se comptent  au bout des doigts, on ne peut que reconnaître la richesse littéraire de « Parachutage » qui a conduit certainement à son intégration dans le programme scolaire. Ce n’est certainement pas parce que ce roman est d’un auteur burkinabè qu’il est au programme au lycée,  mais bien parce qu’il le mérite.

Une littérature engagée

A l’instar des autres romans qui portent sur le discours politique, « Parachutage » s’inscrit dans la cadre d’une situation de conflit du pouvoir. Les protagonistes s’y affrontent sur  un fond d’intrigues politiques, de désirs de vengeance suite à des affronts subis, ce qui les conduits à la contestation politique. C’est un roman qui plonge son lecteur au sein d’épisodes truculents et parfois ironiques. Cependant le ton ne manque jamais pour ramener le lecteur à la réalité « brisée » et « déchirée » de la société. Pour certaines personnes bien averties, c’est Le Parachutage qui a déclenché les malheurs de Norbert Zongo. Dès l’avant-propos, Norbert lui-même explique comment ce livre a failli lui coûter la vie au Togo. Quand dans sa fuite il a pu rejoindre son pays, il n’était pas malheureusement pas au bout de ses peines comme il le croyait. On le jeta en prison où il subit des tortures atroces. C’est le déclenchement de la révolution burkinabè qui a permis au livre de voir le jour. Il partageait la même passion que Ahmadou Kourouma à qui il avait fait lire le manuscrit du Parachutage : le combat de la dictature. C’est ce même combat qu’il voulut continuer en journalisme d’investigation. Mais la suite on  la connait : Le 13 décembre 1998, il fut réduit en six kilos de cendres et de charbon dans sa voiture carbonisée par un commando qui reste toujours inconnu.

Quant à Rougbêinga, nous empruntons l’écrit de Barry Alceny Saidou paru dans les colonnes de l’Observateur Paalga, pour en dire quelques mots. C’est l’histoire de Soura Dakuyo et de Balily, un jeune Bwa et un Gourounsi qui s’évadent d’un camp de travaux forcés de Bamako et retournent sur leur terre pour organiser la lutte armée contre les colonisateurs français. Cela se passe au moment où la Métropole, engagée dans la Seconde Guerre, exige un effort surhumain de ses colonies pour soutenir son boulimique appétit de matières premières. Et le commandant, aidé de ses officiers et de sa garde nègre, va transformer le pays bwamu et alentours en véritable Pandémonium. Ils pillent, volent, violent, massacrent les populations locales sans états d’âme. Aussi, le village de Soura – un morceau de paradis- sera détruit par le fer et le feu. Il n’en restera que cendres et charniers. Tous les villages sont vidés de leur jeunesse, qui participe à la construction des routes et du chemin de fer Bamako-Dakar. Les impôts sont revus à la hausse et ceux qui ne peuvent s’en acquitter sont embastillés et parfois fusillés. On construit de véritables camps de concentration, qui n’ont rien à envier à ceux de Treblinka et d’Auschwitz. Tout cela se passe avec la bienveillante complicité de Naba Liguidi, roi sanguinaire, armé d’un immense gourdin et prompt à fracasser le crâne de ses sujets pour quelque verroterie offerte par le commandant. Le livre suit la trajectoire des évadés Soura et Balily. Ils parcourent les villages, sèment la graine de la rébellion et gagnent à leur cause de nombreux jeunes hommes lassés par les exactions de l’occupant. Ils s’organisent en petites unités mobiles, harcèlent les forces d’occupation et leur infligent des pertes, qui entament leur mythe d’invincibilité, uniquement armés de lances et de flèches. Les jeunes résistants dérobent une armurerie, prennent deux instructeurs parmi les gardes pour les entraîner au maniement des armes à feu. C’est un de ces instructeurs qui sabotera les fusils des résistants lors de la grande offensive. Défaits du fait de la trahison d’un des leurs, les rescapés se disperseront avec le projet d’organiser la révolte dans les différents villages.

 

L’actualité des œuvres de Norbert

Comme le disait le même Alceny Saidou, « Rougbêinga » est une œuvre très actuelle. La colonisation est finie. L’Afrique semble indépendante. Mais la vassalisation continue. Bien sûr les acteurs ont changé, mais la pièce demeure inchangée. L’Afrique reste la vache de trait de l’Europe et cela, avec la complicité des avatars de Naba Liguidi que sont les gouvernants actuels. D’où la justesse du proverbe turc en exergue du roman : « Quand la hache pénétra dans la forêt, les arbres dirent : le manche est des nôtres ». L’Afrique porte toujours la croix à cause des nombreux Judas qui la trahissent pour quelques deniers.

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