Délit d’apparence au Burkina: L’ASCE-LC doit enfin agir

L’image a fait le tour des réseaux sociaux. Une grosse bâtisse construite par le ministre de la Défense du Burkina Faso, Jean Claude Bouda dans son village à Manga. L’indignation s’est tout de suite emparée de la jeunesse connectée qui ne comprend pas une telle attitude de la part d’un ministre issue d’un gouvernement post insurrectionnel. Mais ce que de nombreux Burkinabè ignorent (oublient), c’est que le chœur-d’œuvre du très controversé ministre de la Défense, n’est que la partie visible de l’iceberg.  Le Premier ministre Paul Kaba Thiéba himself, pourtant grand chantre des investissements structurants, et son ministre en charge des Infrastructures font partie de ceux qui se sont bâtis des palaces au milieu d’océans de misères et de souffrances. Par de telles attitudes aux antipodes de leurs mielleux discours,  ils narguent certainement le peuple travailleur et courageux du Burkina Faso.

Depuis que les gouvernants du Burkina ont eu l’idée d’organiser de façon tournante la fête nationale dans les chefs lieu de région, la célébration du 11 décembre est devenue l’occasion pour les ressortissants de ces localités d’étaler leurs capacités financières aux yeux de leurs compatriotes. Ainsi, depuis plusieurs années, de hauts fonctionnaires, des ministres, des députés, des hommes d’affaires, des commerçants, etc., rivalisent d’ardeur pour construire des bunkers, des palaces dignes des grands palais de Londres dans des localités où leurs propres parents dorment dans des cases et mangent à peine deux repas par jour. De grandes maisons qui ne servent souvent qu’à accueillir les hôtes de la fête du 11 décembre. Plusieurs centaines de millions sont ainsi immobilisés chaque année dans nos régions. Des sommes colossales qui auraient suffi à créer de petites et moyennes entreprises au profit de leurs propres frères et sœurs, en proie au chômage et à la misère.

Car, à proximité de ses grosses villas qui appartiennent aux propriétaires des grosses cylindrés qui écument nos petites ruelles mal bitumées, des familles entières peinent à s’assurer un seul repas par jour. Les enfants de leurs frères et sœurs étudient dans des écoles sous paillotes. Leurs mères et sœurs accouchent dans des conditions dramatiques, à la maison faute d’hôpitaux et de maternités. Les jeunes de leurs villages,  faute de travail ou de formation professionnelle sont soient contraints à l’immigration où s’adonnent simplement à la drogue, à l’alcool au sexe et au vol. Des enfants marchant pieds nus et qui ont à peine de quoi cacher leur nudité passent tous les jours à proximité de ses villas huppés en se demandant pourquoi tant d’injustices dans le monde. Les femmes, leurs mères, quant à elles sont obligées de parcourir des kilomètres pour avoir de l’eau de marigot, juste pour abreuver la famille. Bref, à proximité de ces grandes villas futuristes, squattent leurs propres parents dans des conditions les plus indignes. Mais de cette misère dans laquelle vivent nos populations, nos dignitaires  s’en accommodent, pour ne pas dire qu’il s’en contre balance.

C’est ainsi que cette année, à la faveur de la célébration du 58e anniversaire de l’accession à l’indépendance du Burkina Faso, organisée dans la région du Centre-sud, la tradition a été encore respectée. Les hauts cadres de la Région du Centre sud se sont offerts de belles villas dans leur région. Mais une de ces villas à particulièrement retenu l’attention de ceux qui ont effectué le déplacement de Manga. Il s’agit de la bâtisse du ministre de la Défense nationale et des anciens Combattants, Jean Claude Bouda. Ce dernier dit-on est parmi les hommes de confiances qui chuchotent aux oreilles du président Roch Kaboré. Depuis 2011, Jean Claude Bouda est le seul ministre de la Défense à n’être pas chef de l’État. En effet, après les mutineries de 2011 qui ont ébranlé sérieusement les fondements de l’État burkinabè sous l’ère Compaoré, tous les chefs d’État qui se sont succédé ont gardé très jalousement le stratégique portefeuille du ministère de la Défense. Seul Roch Marc Christian Kaboré a eu le courage de passer la main à  Jean Claude Bouda qui était avant cela le ministre en charge de la jeunesse. A l’époque, plusieurs connaisseurs du landerneau politique burkinabè avait indiqué que le choix du ministre Bouda était hasardeux et allait compromettre définitivement l’action du gouvernement dans la lutte contre le terrorisme. A l’heure du bilan, celui qui avait promis lors de sa prise de fonction, de ”terroriser les terroristes” est au cœur de plusieurs polémiques. Plusieurs organisations de la société civile ainsi que les partis politiques de l’opposition continuent de réclamer son départ du gouvernement pour son ‘’incompétence’’.  M. Bouda n’avait pas fini de gérer cette polémique et voilà qu’éclate aujourd’hui un débat sur sa nouvelle maison construite à coût de plusieurs millions.

Du Blaise sans Compaoré

Même sous le règne de Blaise Compaoré, les Burkinabè ont vu rarement de telles bâtisses de la part de ministres qui totalisent seulement trois ans dans le gouvernement. Or, si la jeunesse burkinabè est sortie massivement les 30 et 31 octobre 2014, ce n’était pas seulement pour dire non à la modification de l’article 37. C’était aussi et surtout pour dire non à un système de gouvernance où les riches s’enrichissaient tous les jours encore plus, alors que les pauvres s’enfonçaient dans la misère. L’insurrection aux yeux de la jeunesse symbolisait la volonté de changement, de rupture. L’insurrection était le rejet de l’arrogance, de la mal gouvernance, de la corruption, du copinage, bref de la Compaorose. Hélas, les dirigeants actuels semblent ne l’avoir pas compris. Ils font du Blaise sans Compaoré.

 

Où est passé l’ASCE-LC ?

A son arrivée au poste de ministre en charge de la jeunesse, Jean Claude Bouda avait déclaré ses biens comme l’impose les lois du Burkina Faso. On était alors en mars 2016. En ce moment, le ministre Bouda avait déclaré sur l’honneur qu’il ne possédait dans ses 3 comptes bancaires qu’à peine 4 millions de FCFA. D’où vient alors cet argent qui lui a servi à construire une telle bâtisse ?

Au Burkina Faso, nous étions habitués depuis le début des années 1990 à ces riches de types nouveaux qui poussent du jour au lendemain comme des champignons, brassant par on ne sait quelle magie plusieurs millions de FCFA alors qu’ils ne sont pour la plupart que de simples travailleurs de la Fonction publique. Le Burkina Faso étant un pays de savane, on se connaît tous, on connaît tous ce que chacun perçoit comme salaire et nous savons que la plupart de nos nouveaux riches sont des fils de paysans qui arrivaient à peine à joindre les deux bouts. D’où sortent-ils alors toutes ces richesses ?

Les Burkinabè ont des raisons sérieuses de se poser des questions et de demander que la loi sur le délit d’apparence s’applique. En effet,  l’article 69 de la loi CNT portant prévention et répression de la corruption au Burkina Faso, indique à son article 69 qu’est puni de deux ans à cinq ans et d’une amende de 5 millions à 25 millions de FCFA, quiconque ne peut raisonnablement justifier l’augmentation de son train de vie au-delà d’un seuil fixé par voie réglementaire au regard de ses revenus licites.  Or, si l’on en croit les déclarations de biens de nos autorités, nous avons de belles raisons d’avoir des doutes sur l’enrichissement subit de certains de nos gouvernants et sur leurs propension à s’offrir des palaces dans un vaste océan de misères.

Le Premier ministre et son ministre des Infrastructures dans la danse

Même le Premier ministre Paul Kaba Thiéba s’est offert dans son village un énorme bunker au milieu de ses parents misérables. A peine cette bâtisse terminée, qu’il a entamé la construction d’une autre dans le quartier chic de Ouaga 2000. Même si le chef du gouvernement est un ancien agent de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’ouest (BCEAO), les Burkinabè ont légitimement des raisons de se poser des questions.

Du reste, où sont donc passées les valeurs d’humilité reconnues aux Burkinabè ? Cette attitude du Premier ministre est d’autant plus surprenant que la région d’où il vient à connu deux présidents du Faso. Sangoulé Lamizana et Saye Zerbo. Ont-ils pour autant construit de telles palaces au milieu des siens? Pourtant, eux ne s’appelaient pas hommes intègres.

Et ce n’est pas tout. Le ministre en charge des Infrastructures Eric Bougouma a lui aussi bâti dans son village, un gigantesque palais au beau milieu d’une population souvent tenaillée par la faim. Et dire que ce sont les mêmes qui demandent aux Burkinabé de serrer la ceinture. Quel kilo… Et après, ils sont étonnés que le peuple s’indigne, se révolte.

Loin de nous l’idée d’empêcher nos dirigeants de se construire des maisons à la hauteur de leurs rêves. Loin de nous l’idée d’empêcher chacun de vivre de la sueur de son travail. Mais nous pensions que l’insurrection, puis la résistance de ce vaillant peuple avaient changé les mœurs politiques. Hélas… Que nous reste-t-il maintenant à faire ?  Une autre insurrection ?  Assurément pas. Mais pour paraphraser le Pr Joseph Ki Zerbo, lorsque vous faites un bond en avant et que vous tombez dans le feu, il vous reste nécessairement un autre bon à faire. Sinon vous périrez.

En tout état de cause, l’Autorité supérieure du contrôle d’État et de lutte contre la corruption (ASCE-LC), devrait actionner sa machine si elle ne veut pas passer pour être complice d’un certain nombre d’agissements dans un pays dit pauvre et très endetté comme le nôtre. La question du délit d’apparence doit être posée et résolue. Ceux qui n’auront rien à se reprocher seront félicités. Et ceux qui ont péché répondront devant les juridictions. Mais en attendant ce travail, c’est le chef de l’État lui-même qui doit prendre ses responsabilités face à ses ouailles si tant est qu’il a la volonté de nettoyer les écuries d’Augias dont il a hérité. A défaut de les nettoyer, il doit éviter que l’immondice s’amoncelle sous son magistère.

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