Ciné droit libre 2018: La justice moderne au tribunal de la justice traditionnelle

A l’occasion de la 14e édition du festival ciné droit qui s’est tenu du 8 au 15 décembre  dans la capitale burkinabè Ouagadougou, s’il y a un événement  qui a retenu l’attention des festivaliers, c’est bien le procès de la justice moderne par la justice traditionnelle. C’est à travers l’exemple de l’affaire du journaliste Norbert Zongo assassiné il y a exactement 20 ans que ledit procès a eu lieu. Ainsi, à travers une mise en scène dont eux seuls ont le secret, le conteur Kientega Pingdéwindé Gérard dit KPG  et sa troupe ont convoqué la justice moderne au tribunal de la justice traditionnelle. A l’heure du verdict, la première a proposé que chaque acteur de la deuxième jure devant les fétiches de son village avant tout procès.

 

21h 15 mn ce jeudi 13 décembre 2018. Les rideaux se lèvent pour le procès de la justice moderne par celle traditionnelle. KPG et son équipe sont au rendez-vous. Comme pour tout procès, les principaux acteurs sont-là. Ainsi, étaient convoqués devant le Tribunal Traditionnel  de Savanayiké de sa majesté Kompalgbanco, le procureur général de la République, Barry-sagnon-Yaméogo, l’avocat de la défense, Me Chiwawa, et celui de la partie civile Me Sankafa. En plus de ces acteurs de la justice moderne, ceux de la justice traditionnelle. En premier chef, le Baloum naba et son compère, le Rakisam naba. Après la mise en place des acteurs, place au procès proprement dit.

 

Comme on pouvait s’y attendre et ce malgré le froid, personne n’a voulu se faire conter cet événement. Le procès, de la justice moderne par la justice traditionnelle à travers l’exemple du dossier Norbert Zongo dont la lumière n’est toujours pas faite une vingtaine d’années après l’assassinat de ce journaliste d’investigation et de ses compagnons d’infortune. C’est pourquoi, le public ne s’est pas fait prier pour envahir le village du festival ciné droit libre dressé pour l’occasion au niveau de l’espace vide de la mairie de Bogodogo à quelques encablures du SIAO.

 

Appelé à s’expliquer devant le tribunal de la justice traditionnelle, le Procureur général de la République qui représente l’appareil judiciaire moderne a été le premier à se présenter devant la barre de sa majesté  Kompalgbanco. C’est un juge à la fois suffisant et imbue de sa personne qui s’est donné en spectacle. Ainsi, à la question de savoir pourquoi au tout début les acteurs de la justice moderne travaillaient tous dans le sens allant dans l’éclatement de la vérité dans l’affaire Norbert Zongo pour ensuite faire volte-face allant même jusqu’à un non lieu dans le traitement de cette affaire, le procureur général de la République n’a de cesse de répéter ce triste refrain  : « le temps de la justice n’est pas le temps de hommes ». C’est justement ce refrain qui revient fréquemment dans la bouche des acteurs judiciaires que ne comprend pas la justice traditionnelle. Dans ce contexte, sa majesté n’a pas manqué d’interpeller les acteurs de la justice moderne sur  leurs responsabilités. Ainsi, les intrigues et autres pots-de-vin dans le milieu judiciaire ont été dénoncés. Prenant la parole pour défendre son client « Basga » pour qui une demande d’extradition a été émise, Me Chiwawa, puisque c’est de lui qu’il s’agit, sans surprise, a clamé l’innocence de son client. Pour lui, il ne comprend pas l’acharnement que les uns et les autres ont contre ce dernier.

La justice traditionnelle également indexée

En réponse à la plaidoirie de Me Chiwawa, Me Sankafa de la partie civile a reproché à son confrère de se faire l’avocat du diable. Pour elle en effet, il ne fait aucun doute que « Basga » est responsable et donc coupable dans l’assassinat de Henry Sebgo et pour cela, il doit accepter de rentrer dans son pays pour répondre de ses actes. Me Sankafa ne s’est pas contentée de dire tout le mal qu’elle pense de ses collègues de la justice moderne. Elle a indexé également la justice traditionnelle qui selon elle, a  sa responsabilité dans l’état actuel de la justice moderne. En clair, l’avocate de la défense estime que     les dépositaires de la tradition n’ont pas toujours joué franc-jeu et se sont même par moment compromis dans des affaires « louches ». Piqué au vif surtout par une avocate qui ne semble avoir peur de rien et de personne, pas même de sa majesté, ce dernier a coupé court en redonnant la parole à l’avocat de la défense.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce procès, même s’il s’est déroulé dans le cadre d’une pièce de théâtre, a eu le mérite de dépeindre et de mettre à nue les tares de la justice moderne. Une justice dont le fonctionnement ne permet pas toujours de rendre justice a qui de droit. C’est pour y remédier que sa majesté  Kompalgbanco et sa cour ont plaidé pour que les acteurs de la justice moderne jurent devant les fétiches de leur village pour s’assurer qu’ils diront le droit et rien que le droit.

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