Paralysie des jugements dans les tribunaux correctionnels : Que fait-on ?

10 agents de la Garde de sécurité pénitentiaire (GSP) et leurs familles ont été envoyés au chômage. Le gouvernement a appelé leurs camarades à cesser leur mouvement de grève. Mais les choses n’ont pas bougé. Au contraire, elles s’enlisent et flirtent avec l’inquiétude.

Des agents de la GSP ont fait irruption dans la cour du ministre de la justice. Des faits pas très catholiques s’y sont produits. On est d’accord. Dans une république, c’est inadmissible. Cela est inscrit dans les rangs des actes d’indiscipline, d’impolitesse et d’agression contre un citoyen, indépendamment de son rang de « sujet » de la Nation.  Du reste, conformément à la loi, cet agissement doit être sanctionné car doublement indigne d’un agent de l’État qui a juré de préserver la sécurité de ses concitoyens.

De ce fait, une sanction était attendue et le gouvernement a eu raison, ne serait-ce que pour affirmer son autorité, de taper du poids sur la table.

Les temps ont changé

Toutefois, et c’est là que le bât blesse, cette sanction semble être disproportionnée à la faute commise et inopportune en ce qui concerne le timing de la crise que vit actuellement le domaine pénitentiaire. En d’autres temps, personne n’aurait osé lever le petit doigt pour protester. Peut-être que le fait lui-même n’aurait pas eu lieu. Mais les temps ont changé au Burkina. Le temps du Tout-puissant dirigeant qui prend des actes et des décisions parfois ubuesques sans conséquence n’est révolu. Il est venu le temps où le dirigeant doit regarder par deux fois à la popularité de ses décisions et à son véritable impact sur la résolution de la crise qu’il est en train de résoudre.

La décision de révoquer 10 agents de la GSP et de suspendre les activités des « anges gardiens » des prisonniers a-t-elle eu un impact positif, sous l’angle du ministre de la justice ? Il est possible d’en douter.

D’abord, sur le plan de l’opinion publique, les avis sont unanimes que les agents ont « déconné » et qu’ils méritaient une sanction exemplaire. Dans ce contexte de précarité, de difficultés économiques, de complications quant à la recherche de l’emploi, mettre à la rue 10 fonctionnaires, donc priver de sources de revenus 10 familles, sans compter que la notion de « famille » a une acception vraiment large dans l’entendement burkinabè, peut être considérée comme une mesure pas très bien inspirée. Il va difficilement s’en trouver des défenseurs pour être l’avocat du ministre.

Si l’on questionne bien le tréfonds d’un Burkinabè aujourd’hui, il trouvera avec difficulté les moyens pour soutenir cette mesure « extrême ». Il pourrait même suggérer qu’une rétrogradation, une mise à pied avec incidence financière, une suspension temporaire de contrat auraient pu faire l’affaire plutôt que ces tickets « gratuits » vers l’enfer décochés à ces agents.

Les justiciables livrés à eux-mêmes

Ensuite, concernant la résonance de cette « action » sur le mouvement des grévistes, on peut être dubitatif. Certes, la portée pédagogique de la sanction est certainement vérifiée. Pas sûr qu’un agent de la GSP se hasarderait à nouveau à aller chercher noise à un ministre à son domicile. Et pas seulement elle, d’ailleurs ! La perdrix acquiert de l’expérience en voyant plumer la poule ! Les autres corps de  fonctionnaires ont bien vu de quoi le gouvernement peut être capable et hésiteront désormais à employer les « moyens extrêmes » pour se faire entendre.

Toutefois, le ministre de la Justice se fait-il respecter pour autant ? Le mouvement de grève des agents de la GSP a-t-il été cassé pour autant ? Les prisonniers sont-ils conduits de leurs geôles aux palais de justice et vice-versa ? Les audiences correctionnelles ont-elles correctement lieu ? Le Syndicat des avocats du Faso (SYNAF), dans une déclaration la semaine dernière, a répondu non à toutes ces questions. Morceaux choisis de leur déclaration datée du 27 novembre : « Le SYNAF note avec regret qu’à ce jour des centaines voire des milliers de personnes, présumées innocentes, croupissent dans nos prisons – Et dans quelles conditions ?-, dans l’attente d’être jugées et situées sur leur sort, alors qu’ils  auraient dû l’être immédiatement après leur arrestation.  D’autres attendent entre les mains de la police judiciaire, défaut de ne pouvoir être déférées par devant le procureur du Faso ou sont tout simplement relâchés par les enquêteurs. C’est un spectacle désolant auquel l’on assiste depuis plus d’un mois  dans nos palais de justice  où les  couloirs  sont bondés de parents et  amis  des détenus et des victimes aux regards rivés sur les murs,  exprimant assez  la souffrance  et le désarroi, surtout  le sentiment d’être abandonnés à eux-mêmes ».

C’est donc dit. Pendant donc que le gouvernement est content d’avoir pris une décision qui semble restaurer son autorité, ce sont les citoyens qui en payent le prix. Comme toujours. Comme d’habitude. Mais pendant combien de temps cette situation va-t-elle durer ? Le gouvernement a annoncé avoir pris des dispositions pour que les maisons d’arrêt et de correction ne soient pas débordées par cette situation. Mais qu’en est-il des citoyens qui sont gardés à vue dans les gendarmeries et les commissariats de police ? Il y a bien un délai de garde à vue et il n’est pas extensible à l’infini.

Il est clair qu’il faut que le gouvernement trouve une solution. Il lui faut trouver une porte de sortie dans cette cage où il s’est enfermée en jetant la clé de l’ouverture et l’emmurant ensuite. Piégé comme dans une souricière, il va devoir négocier la préservation de son autorité, le rétablissement du service public et l’intransigeance des GSP, qui, sans aucun doute, ne pourront pas aussi facilement laisser leurs camarades licenciés à leur triste sort.

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