Putsch manqué de 2015: Quand Me Séraphin Somé redonne des couleurs au procès

Le Général Gilbert Diendéré vient de battre le record en terme de temps passé à la barre. Déjà dix jours qu’il est entendu dans le cadre du putsch manqué de 2015. Et dix jours également qu’il tente de convaincre l’assistance sur sa responsabilité réelle dans cette affaire. Si déjà l’interrogatoire du général par les juges du tribunal militaire avait déjà tenu les Burkinabè en haleine, la partie la plus intéressante semble être l’intervention des avocats des parties civiles débutée dans l’après-midi du 4 décembre 2018.

Aya Ouédraogo

“Mon Général, dites-nous comment s’est passé la prise de pouvoir de Thomas Sankara ?Vous vous connaissez en terme de coup d’État, vous n’êtes pas un enfant de cœur”. C’est une phrase de Me Jean Degly, l’un des avocats du Général Gilbert Diendéré qui, le mardi 4 décembre 2018, tentait de démontrer que dans la nuit du 16 septembre 2015, son client n’était pas dans une logique de coup d’État. Mais que c’était un simple mouvement d’humeur. Ce bout de phrase a fait un peu sourire le Général qui a abondé dans le même sens que son conseil en déclarant que la radio était à 300 mètres de son domicile, la télévision à 400 mètres, comme pour dire que si c’était sa volonté  de s’emparer du pouvoir, il y aurait fait lire sa déclaration dès la journée du 16 septembre. Après une brève suspension de l’audience, le « show » a été bien assuré par les avocats des parties civiles. Si l’honneur est revenu à Me Prosper Farama  de commencer, c’est son confrère Séraphin Somé qui a poussé le Diendéré dans ses derniers retranchements . Morceaux choisis :  “Par la grâce de Dieu, le Général Diendéré est devant nous. Par la grâce de Dieu, le Général Diendéré doit s’expliquer. Cela veut dire que le Burkina Faso a vraiment changé. Cela veut dire que les mœurs politiques se  sont pacifiées dans ce pays. A l’entame de son interrogatoire, le Général Diendéré avait campé le décor par un contexte général. Un contexte général qui peut être qualifié comme l’ensemble des facteurs qui expliquent le coup de force. Mais nous sommes obligés de revisiter notre histoire. Dans ce pays, le CNEC a été dissout. Peut-être que des soldats n’étaient pas contents. Le BIA a été dissout. L’ETIR  a été dissout. Je ne pense pas qu’une assemblée générale a été organisée pour demander l’avis d’un soldat. Cela s’est passé dans ce pays. Les éléments de ses unités n’ont pas cherché à faire un coup d’État. Dans ce pays, des militaires ont été brimés, humiliés, assassinés mais leurs frères n’ont pas pris les armes pour faire un coup d’État. Dans ce pays, on a vu des militaires qui bénéficiaient des « merci papa ». C’étaient des largesses faites par Blaise Compaoré pour les enfants gâtés du RSP. Les autres militaires étaient frustrés. Mais ils ont tu leurs frustrations. Ils n’ont pas cherché à faire un coup d’État. Dans ce pays, on a vu des militaires imposer un chef d’état-major particulier à un président. Face à ces dérives gravissimes, où était le RSP? Le RSP était celui-là qui profitait de cette situation. C’est seulement pendant la Transition que le RSP se découvre cette vocation de justicier. J’ai entendu que pendant la Transition, des deniers publics étaient chiffonnés par Zida pour alimenter ses OSC, que le premier ministre a spolié des terrains à Ouaga 2000. Donc cette gouvernance peu vertueuse expliquait le coup d’État. Mais pendant le long règne de Blaise Compaoré, du géniteur du RSP, qu’est-ce qui se passait? Des scandales économico-financiers étaient connus et dénoncés à longueur de journée, mais où était le RSP pour s’insurger? Des pans entiers de l’économie était entre les mains d’un clan, d’une famille mais le RSP trouvait cela normal?  Où était notre chérif, notre justicier? C’est de l’imposture que de vouloir présenter le RSP comme un chérif, un redresseur…C’est comme si dans les gènes du RSP, on y a inscrit la violence qui était professée dans ce corps”.

Le salle retient son souffle après l’intervention de Me Séraphin Somé. Son éloquence n’a laissé personne indifférent même dans les rangs des proches des accusés et certains accusés eux- mêmes. L’un des comparants n’a d’ailleurs pas hésité à  nous dire ceci à la suspension: “Mon frère, il faut bien noter cette partie. C’est intéressant. Il y a certaines choses que le Général ne veut pas dire. Si les avocats continuent comme ça, il va parler”.

Me Somé coince le Général Diendéré

Durant toute la période de la suspension, Me Somé était la star. Ses déclarations faisaient le tour de la salle des Banquets de Ouaga 2000. “Ah. Non. Le procès là vient de commencer. Oui. Aujourd’hui, c’est aujourd’hui. Me Somé a bien parlé”, laisse entendre un de la  partie civile. A la reprise de l’audience, Me Somé a reprend la parole avec la même ténacité. Mais Cette fois-ci, pour un véritable interrogatoire corsé. Ainsi, il n’a pas hésité à citer le procès verbal de la première comparution du Général Diendéré qui déclarait spontanément à l’adresse du juge d’instruction: “Je reconnais avoir pris la responsabilité de ce qui s’est passé. Mais il y a des faits que je ne peux pas accepter. Pour des questions politiques et militaires, nous avons voulu changer les choses. Mais nous ne voulons pas de morts, ni de blessés ni de dégradations volontaires. L’action en elle-même n’a pas été violente. Mais c’est dans la réaction des hommes pour maintenir l’ordre qu’il y a eu des dérapages…”.

Qu’est ce que vous avez voulu changer, questionne Me Somé ? “Les choses qui n’allaient pas, les choses qui étaient mal gérées”, répond le Général. A partir de quel mandat, relance l’avocat. Et le Général d’assener:”C’est quel mandat qui a permis à votre client (ndlr Isaac Zida) de gérer la Transition”. Et Me Somé de saisir la balle au rebonds: “Ce qui s’est passé pendant l’insurrection, vous ne l’avez jamais digéré. Après la fuite de votre mentor Blaise Compaoré, il fallait tout faire pour rétablir l’ancien régime. Votre ambition, c’était la restauration de l’ancien régime. La réaction du Général n’a pas tardé à tomber:”Lorsque vous avez fait ce que vous appelez une insurrection, lorsque vous avez brûlé toute une Assemblée Nationale, lorsque vous avez brûlé des maisons, brûlé vifs des gens, il vous revenait de faire mieux que ceux-là que vous avez chassés. Mais la Transition a fait pire que ce que vous défendiez”. Et Me Séraphin Somé de rétorquer: “En 10 mois, la Transition a dépassé en bien tout ce qui a été décrié durant les 27 ans de règne. Oui, je suis convaincu que vous n’êtes pas convaincu de ce que vous dites”.

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